Epidémie de Covid-19 oblige, le football est à l’arrêt et les bars ont pris le relais du ballon rond dans nos fantasmes les plus secrets. La situation s’éternise et les drogues de substitution n’y suffisent plus. Parce qu’au même titre qu’un apéro en visio est une insulte à cet instant sacré de la vie sociale, PES ou FIFA ne sauraient remplacer une soirée Champions League ou le match du lundi soir en FSGT entre potes. Il est donc temps d’utiliser et d’user votre frustration pour hisser votre niveau de jeu. Quelques conseils « culturels » pour vous rappeler que le foot est une chose trop sérieuse pour la laisser aux footballeurs.
Les films
- Sunderland’til I die, Netflix
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Au cœur de l’Angleterre du Nord, ouvrière, dévastée et déprimée, le club de Sunderland, vénérable institution patrimoniale du foot made in britain tente de survivre dans le contexte particulier du foot moderne ou même les Girondins de Bordeaux lui pique ses perles rares [Josh Maja, NDLR]. Entouré de l’amour de ses supporters qui votent le Brexit et n’attendent plus rien des lendemains, on suit la descente aux enfers du club jusqu’en troisième division. Le foot est toujours plus beau quand il est triste.
- Forza Bastia 78, l’Ile en fête, Jacques Tati
En 1978, le SC Bastia, aujourd’hui lui aussi relégué dans les tréfonds des divisions inférieures, arrive en finale de la coupe de l’UEFA et affronte le PSV Eindhoven. Son président demande à Jacques Tati, cinéaste inclassable à la folie maitrisée, le démiurge des « Vacances de Monsieur Hulot » de capter ou capturer l’événement. Le résultat reste une immense déclaration d’amour au droit du peuple à aimer sans modération ce machin étrange qui roule au pied des petits géants des pelouses.
- Coup de tête, Jean-Jacques Annaud 1979
Patrick Dewaere en footballeur en perdition quelque part dans une ville moyenne, un récit entre téléfoot période Thierry Roland et François Mauriac. Le foot en toile de fond des affres des destins humaines dans le gris vaguement froid et monotone de la province, un peu à l’instar du roman « L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty » du prix Nobel Peter Handke, porté à l’écran par Wim Wenders. Heureusement que le foot existe et compte autant, cela permet de parler si bien de tout le reste, et donc ici de la bassesse humaine, la pire, l’ordinaire.
- The firm, Alan Clarke, 1989
Ce téléfilm produit par le service public anglais constitue un peu le summum de ce qu’il est possible de voire à l’écran en matière de hooliganisme, et l’occasion de suivre les grands débuts de Gary Oldman. Inspiré par les « exploits » de l’ICF de West-ham, le cinéaste en profite pour livrer une vision quasi-anthropologique, loin du manichéisme habituel (ses hools ne ressemblent que fort peu à leur caricature du bœuf bedonnant et raciste), décortiquant la fascination pour la violence et les doutes identitaires de la virilité des classes moyennes de la perfide Albion.
Les livres
- Les terrains, Pasolini
Si tout ne traite pas du foot ici, ce recueil des écrits sportifs du « maitre » de la dissidence esthétique à l’italienne évoque très souvent le ballon rond. Tout simplement par ce qu’avec les garçons, ce fut son grand amour profane, à l’écart de la politique ou du sexe qui travaillèrent en permanence par ailleurs son œuvre. Et il en parle avec beaucoup d’affection, sans illusion, habité d’une candeur lucide d’un autre temps
- Rouge ou mort, David Peace
Liverpool. Un club. Un entraîneur, socialiste de conviction, Bill Shankly, qui pérorait « « Le football, ce n’est pas une question de vie ou de mort. C’est bien plus important que cela. » ». Une histoire déclinée match après match de la saison. Du rouge partout. Le reste est littérature
- Une histoire populaire du football, Mickaël Correia
Le livre d’histoire à lire sur le foot. Mickaël Correia, dans le sillage de l’historien américain Howard Zinn – Une histoire populaire des États-Unis – révèle un autre visage, subversif et abrasif, de cette passion plébéienne. Un tour du monde et chronologique qui nous transporte aux cotés des ultras égyptiens ou dans les foulées de Rino Della Negra, jeune joueur du Red Star de Saint-Ouen, membre du groupe Manouchian, fusillé en 1944, sans oublier les inventeurs libertaires d’un football à sept auto-arbitré dans les usines occupées de Mai 68. Les héros du peuple sont immortels, surtout quand ils portent le bon maillot.
- L’homme qui n’est jamais mort, Olivier Margot
Un roman presque vrai. Le parcours de Matthias Sindelar, joueur d’origine tchèque qui fit le bonheur de la Wunderteam autrichienne, cette équipe qui révolutionna le football dans les années trente avant que l’Anschluss et le nazisme la dévore. Une occasion de retrouver aussi Vienne la rouge, son effervescence intellectuelle, ses architectes qui croyaient au progrès social et ses artistes qui pensaient que la beauté était partout, même dans l’horreur. Il sera retrouvé mort avec sa compagne juive en 1939. Un équivalent à crampon de Stephan Sweig.
- La saison des roses, Chloé Wary
De toute ce qui vous sera possible de dénicher sur le foot féminin, cette BD en est surement la plus bel éclairage. A hauteur de femme. D’une jeune joueuse quelque part en banlieue. Tout est dit, montrée, illustrée au vrai sens du terme. Du plaisir de joueur aux sexisme quotidien. Et l’idée qu’au final la victoire est toujours possible.
Les sons
- « Evoluer en troisième division », Miossec
La chanson française est un piège souvent. En matière de foot aussi. Une astuce facile pour se la raconter populaire, un peu dur, presque rock. Même Vincent Delerm s’y est aventuré. Mais plutôt que de déguster une Tsingtao dans une resto vietnamien à Évreux, on préférera retrouver Miossec, ses pintes avenue Jean Jaurès à Brest, sans alibi ni culpabilité intello, ni chemise trop sage sous le pull. Comme nous « un arrière droit assez brutal qui sent la bière et l’animal ». Bref un camarade
- « I’m forever blowing bubbe », Cockney Reject
Pour les Cockney, supporters intégristes de West Ham, la culture ouvrière s’exprime d’abord dans les stades. . Provocateurs, facilement bagarreurs (ils retaillèrent les jolis costumes des mods de Secret Affair dans les coulisses d’une émission de télé), la sortie en mai 80 du 45t “I’m forever blowing bubbles”, hymne officiel des hammers -à l’origine aimable chanson de Music-Hall composée en 1919 (reprise depuis par Dean Martin )- explicite donc, bien mieux qu’une thèse de sociologie, la particularité toute britannique de ce culte prolétaire pour le football. Dans les bacs pour la finale de la Cup que West-Ham s’apprêtait à disputer (et remportée 1 à zéro contre Arsenal), le single entra même dans les charts. Au même moment, quelque part en France, les keupons de Sherwood Pogo chantaient aussi l’amour de leur club, “Paris-SG”. Mais ceci est une autre histoire,
- « Liquidator », Harry J All Star
Ce petit bijou instrumental fabriqué par Harry Johnson, producteur reggae prolixe à la fin des années 60, s’avère la bande son son idéal d’une certaine idée du foot. L’intro est pompée sur un hit des Staple Singers (de chez Stax), mais l’essentiel qui déchire tout, réside sans conteste dans le phrasé de l’orgue hypnotique de Winston Wright, qui campe à merveille la frime d’avant match, les regards qui tuent et les préliminaires à la fight : «Tu kiffais pour l’esprit de gang, la musique et la danse », comme le chantera plus tard La souris déglinguée.
- The Masterplan, Oasis
Ils n’ont rien sorti sur le foot. Ils en sont pourtant une des meilleurs incarnation que la pop ait jamais vomi depuis Manchester. Sur cette compilation de faces B, un titre tel que « Talk tonight » demeure l’un de rares morceaux que l’on puisse écouter autant après un soir de défaite injuste que pour songer à l’absence de l’être aimé. Après cela, on leur pardonne tout aux Gallagher.
- « Champions du Monde », Flynt
Immense amateur de foot, le rappeur Flynt, plume délicate dont solitaire du rap français, a composé le titre ultime sur la victoire des bleus en 2018 ou tout le parcours et les raisons de leur succès sont mis en lumière, certainement plus clairement que lors d’une causerie d’avant match de Didier Deschamps . A réécouter en boucle en feuilletant le très beau livre de photos « Contre Allez » d’Alexis Berg. Parfois les émotions les plus simples se contentent de peu.
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