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Les Étranges rites et coutumes anglaises


Photos de Homer Sykes

Le livre Once A Year du photographe canadien Homer Sykes, publié pour la première fois en 1977, offre une rare plongée dans les folklores inconnus et exotiques du Royaume-Uni. Ainsi, on peut y retrouver la tradition de l’arbre de mai relativement familière, comme des événements plus obscurs comme le Shrovetide Football ou la Middlesex’s Pinner Fair. Mais plus important encore, il livre un portrait honnête et sans fioritures des communautés britanniques. Ce travail de long cours vient d’être réimprimé en une édition étendue et repensée par Dewi Lewis Publishing. Je suis allé chez Sykes, à Londres, pour discuter de son travail, de l’inspiration des artistes, des téléphones avec appareil photo intégré et de la prévalence de la substance sur le style.

VICE : J’ai lu que l’ensemble des travaux qui a donné lieu à Once A Year était initialement un projet universitaire.
Homer Sykes : Je l’ai réalisé lorsque j’étais au LCP [désormais le London College of Communication] ; ils m’ont viré. J’aurais bien aimé avoir mon diplôme, d’autant plus que j’étais bon élève. Des rumeurs tournaient selon lesquelles je dormais dans les chambres noires de la fac. Elles étaient fondées sur le simple fait que j’arrivais le premier le matin et partais le dernier le soir. En fait, j’imprimais des images, je ne dormais pas. On m’a finalement demandé de partir, puisque je semblais avoir mieux à faire que de passer des examens. Mais oui, c’était mon projet de Pâques de première année. J’étais en internat depuis l’âge de sept ans. Je suis arrivé à Londres et j’ai décidé de faire de la photo. Mais comme beaucoup d’étudiants, je ne savais pas quoi faire ensuite. Puis j’ai découvert les Bacup Coconut Dancers. J’ai pensé qu’il serait intéressant de les voir en vrai. J’ai pris quelques photos en couleur et j’ai persévéré, sans véritablement y croire.

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Comment un projet de première année réalisé sans grande conviction a-t-il évolué en un livre ?
En 1969, je suis parti à New York et j’ai travaillé comme agent de nettoyage à Princeton, dans le New Jersey. J’ai visité le Museum of Modern Art et j’ai vu les œuvres de Lee Friedlander et Henri Cartier-Bresson affichées. J’ai pensé : « Oh, je pourrais faire ça ! » J’ai eu l’idée de poursuivre cette série sur les « coutumes traditionnelles nationales », mais en noir et blanc. J’ai été influencé par les photographes humanistes de Magnum comme Cartier-Bresson et Burk Uzzle, mais aussi par Garry Winogrand, Lee Friedlander et la photographie de rue plus généralement. Je voulais essayer de combiner ces influences pour créer ma propre vision. Ce fut comme une révélation. Il fallait que je reparte pour l’Angleterre et que je me concentre sur ce nouveau projet en noir et blanc.

Y a-t-il des images dans vos archives que vous auriez préféré avoir en couleurs ?
Non, je suis convaincu qu’il fallait que je choisisse le noir et blanc. Je suis très traditionnel, je sais ce que j’aime.

Vous photographiez encore aujourd’hui ces événements. Décider quand et comment en faire un livre n’a pas du être une décision évidente.
Ce fut très simple, en fait. Au début des années 1970, l’édition du livre photo en était à ses débuts au Royaume-Uni. Il était presque impossible de trouver un livre réalisé par un photographe britannique – il y en avait seulement une poignée. David Hurn, photographe de Magnum, et Barry Lane, chef de la photographie au Conseil des arts britanniques, ont essayé de changer tout cela. J’ai reçu une petite subvention pour travailler sur le projet. En 1976, j’avais couvert environ 100 événements et j’étais satisfait de mes photos. James Fraser, le neveu de Gordon Fraser – le brillant éditeur de cartes de vœux – voulait publier des livres photo. David Hurn m’a mis en contact avec James et il a publié Once A Year en 1977.

Comment voyez-vous la suite de ce travail ? Quel est le lien avec les premières étapes du projet ?
J’ai gagné ma vie en bossant dans une rédaction et en photographiant des sujets d’actualité, mais j’ai toujours été un photographe documentaire. Le contenu a toujours été vraiment, vraiment important pour moi. Il est aussi important que n’importe quelle valeur esthétique. La photographie est à son meilleur quand elle informe, et c’est ce que fait un bon photographe documentaire. Vers 2000, je n’étais pas employé autant que je l’avais été. Je me suis aperçu que je photographiais la même chose depuis près de 50 ans. Cela peut paraître ennuyeux, mais ça a une valeur en soi.

Comment ces événements ont-ils évolué au cours de ce demi-siècle ?
De nos jours, tout le monde a un téléphone avec appareil photo intégré. Tout le monde fait ça [il mime la prise d’une photo avec un portable]. J’ai dû inclure ça dans mes photos. Je n’y tenais pas, mais il le fallait. Aussi, il y a désormais beaucoup plus de gens à aller à ces événements. Ils se déroulent surtout le week-end et les gens s’habillent un peu mieux qu’en semaine. Ils portent des costumes. Heureusement, ils ne sont pas beaucoup à le faire.

Certains des événements dans le livre présentent des tenues très élaborées, mais je pense que mes préférées sont celles où l’on voit des types qui semblent sortir du travail.
J’aime les événements où les gens sont absolument ordinaires, où cela fait partie de leur vie normale. Et aujourd’hui, vous avez le problème du – comme je l’ai appelé dans une interview il y a longtemps – « tourisme de mairie ». Quand les « mairies » mettent la main sur ces événements en se disant que ça va attirer plus de gens dans le village et qu’elles vont obtenir des subventions pour les costumes.

À quel point ces événements vous paraissaient exotiques quand vous avez commencé à les couvrir ? Semblaient-ils anachroniques, même à l’époque ?
Curieusement, ils ne m’ont pas semblé anachroniques. Je pense que c’est parce que, comme je l’ai dit, ces événements faisaient partie de la vie de quartier et les gens les organisaient parce qu’ils l’avaient toujours fait.

Je voulais capturer ce qui se passait de manière documentaire et réelle. Il était important pour moi de ne pas me moquer des participants. Je me suis concentré sur les événements et ai utilisé le fond et les passants pour les placer dans le contexte des années 1970. Ce contexte apparaît dans tout le livre. Il y a une photo de deux garçons à Bampton, dans le comté d’Oxfordshire, avec des guirlandes de fleurs. Ils portent tous deux des chemises à fleurs et l’un d’eux des bottes à talons cubaines. Il n’y a aucune voiture dans la rue. Ces détails donnent le contexte de la photo. C’est ce que les gens portaient à l’époque et ce qu’Andrew Lloyd Webber porte depuis.

Votre but était-il d’immortaliser ces choses, de peur qu’elles ne disparaissent ?
Pas vraiment. C’est devenu automatiquement une obsession, dans un sens. Je suppose que j’ai une personnalité un peu obsessionnelle. Je me suis toujours accroché à ce sujet. Je ne m’inquiète pas du tout du fait que ces évènements puissent disparaître. J’ai adoré travailler dans la campagne hors de Londres et découvrir que j’étais le seul photographe à immortaliser une tradition obscure. J’ai aimé prendre ces photos et capturer ce qui se passait.

Comment avez-vous entendu parler de ces événements ?
Je n’ai pas découvert des événements dont personne ne savait rien. Je suis allé à la Cecil Sharp House, le bâtiment qui abrite l’English Folk Song and Dance Society à Camden. Ils ont une grande bibliothèque. Il y avait trois ou quatre livres à l’époque qui énuméraient un grand nombre de ces coutumes annuelles traditionnelles. Je me souviens avoir passé des heures au téléphone avec l’office de tourisme, le bureau de poste, le commissariat ou le pasteur. Avec ces contacts, j’étais en mesure de trouver quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui était impliqué dans l’organisation. Alors, je les contactais en leur demandant des informations sur l’évènement.

Quel est le lien entre Once A Year et vos autres travaux, comme ceux sur la culture punk, par exemple ? Est-ce une sorte de plan d’ensemble, de vision globale de l’Angleterre ?
Je pense que cela correspond effectivement à un plan d’ensemble. J’ai probablement photographié plus de menhirs et de monuments préhistoriques que quiconque en Grande-Bretagne, par exemple. J’ai fait deux livres sur eux et les légendes qui leur sont associés. J’ai réalisé une étude en profondeur sur les églises afro-caribéennes de Grande-Bretagne – elles sont vraiment fascinantes, mais personne ne s’y intéresse. J’aime savoir que je possède des archives très complètes sur la vie britannique. J’aime sentir que mon travail raconte une histoire, mais laisse aussi part à l’imagination. Actuellement, je travaille sur mes archives, je développe des idées de livre et je m’occupe actuellement d’un corpus d’images de la première partie de ma carrière. Espérons que je trouve un éditeur.

Once A Year : Some Traditional British Costumes de Homer Sykes est disponible chez Dewi Lewis Publishing.


Célébration du pommier, 1972, à Carhampton, Somerset, où les habitants tirent sur un pommier pour effrayer les mauvais esprits


Match lors du Royal Shrovetide Football à Ashbourne, Derbyshire


Des femmes lors du match du Royal Shrovetide Football à Ashbourne, Derbyshire


Coutume du « bottle-kicking » à Hallaton, Leicestershire, 1973


Cooper’s Hill Cheese-Rolling and Wake, Coopers Hill, Gloucestershire


Furry dance, Cornouailles


Bellerby Feast, Yorkshire


La tente dédiée au strip-tease lors de la Pinner Fair, Middlesex


Burry Man, South Queensferry, Lothian, Ecosse


Bell Ringers Feast, Twyford, Hampshire

Marshfield Mummers Paperboys, Gloucestershire


Election du maire, High Wycombe