Zoug est un petit bout de paradis (fiscal)

Lac placide, berlines de luxe, glaciers, banques et clubs de tir : bienvenue dans la Suisse primitive.

par La Fougère

19.10.15

Pilatus PC-24, Buochs.

Lac placide, glaciers, berlines de luxe aux vitres teintées, clubs de tir, façades de verre des banques et des sociétés de courtage internationales, bases militaires et réseau de bunkers souterrains : bienvenue dans la Suisse primitive – centre géographique et berceau historique du pays. Younes Klouche, jeune diplômé de l'ÉCAL, a consacré son projet de livre Trust Magnum (inspiré du nom d'un modèle de cartouche pour la chasse au gros gibier) à cette région à l'apparence trop tranquille.

Il s'est particulièrement intéressé à la petite ville de Zoug et son canton qui ont bénéficié d'un boum économique sans précédent après la Seconde Guerre mondiale, de par leur proximité avec Zurich mais surtout grâce à une fiscalité extrêmement avantageuse pour les particuliers comme les entreprises – bien plus encore que celle du reste du pays, à tel point que cette ville de province discrète d'à peine 24 000 âmes est aujourd'hui l'un des points cardinaux de la finance et du commerce globalisés.

Credit Suisse, Pfäffikon / Siège international d'Amgen, Zoug.

Le registre du commerce du Canton de Zoug compte plus d'entreprises que d'habitants dans sa capitale : près de 30 000. Entre les cabinets d'avocats et les sociétés de conseils en gestion d'actifs, on trouve les sièges de mastodontes de la finance tels Rothschild Continuation Holdings AG (qui contrôle la plupart des banques d'investissement du groupe Rotschild) ou encore Partners Group (une multinationale de gestion d'actifs), des sociétés pharmaceutiques comme Biogen Idec ou Amgen, et surtout un grand nombre d'entreprises liées au négoce, au courtage et à l'extraction de matières premières comme Precious Woods (bois exotiques), Nord Stream (qui gère le futur gazoduc du même nom) ou encore Transocean (la plus grande société de gestion de plate-forme pétrolière offshore au monde (propriétaire de Deepwater Horizon), et bien sur le géant Xstrata et sa maison mère Glencore. Ces sociétés ne sont imposées que sur les bénéfices générés en Suisse, une aubaine pour les sociétés de courtage opérant aux quatre coins du monde, bien souvent dans des pays pauvres où elles bénéficient aussi d'une fiscalité sur mesure.

Le cuivre des câbles de vos casques audio, le silicium des cartes mères de vos ordinateurs, le blé qui sert à fabriquer vos pâtes sont achetés et revendus ici. Enfin pas toujours, car des milliers d'entreprises n'y sont représentées que par une simple boîte aux lettres. Il est souvent impossible de savoir quelles activités et quels propriétaires dissimulent ces sigles et ces acronymes alignés sur les étiquettes au bureau de poste, car le canton sait protéger ses administrés. Les sommes en jeu et le rôle déterminant de ce marché d'un point de vue géo-stratégique expliquent le goût du secret de ces acteurs dont le grand public n'entend parler qu'à l'occasion de scandales internationaux.

Minibus Glencore, Zoug / Écusson militaire personnalisé, trouvé sur un marché de Zoug.

La société Glencore est un cas emblématique. Elle a été fondée par le courtier Marc Rich, surnommé le roi du pétrole pour avoir réussi durant les années 1970 à concurrencer le cartel des 7 soeurs (BP, Chevron, Exxon, etc.) qui contrôlaient alors le business de l'or noir. Il fut l'un des premiers traders à employer de façon systématique les achats par effets de levier dans ce domaine — bien avant que cela ne devienne la norme. Il est aussi célèbre pour avoir figuré 18 ans durant sur la liste des 10 fugitifs les plus recherchés par le FBI pour plus de 60 chefs d'inculpation (évasion fiscale, racket, fraude, commerce avec l'ennemi, etc.) Il s'était alors réfugié à Zoug, ce qui fit de la ville une destination courue parmi les nombreux paradis fiscaux de la planète. Il fut gracié par Bill Clinton quelques heures avant son départ de la Maison Blanche. On apprit par la suite que l'ex-femme de Marc Rich avait financé le parti démocrate et qu'Israël avait fait pression en faveur de ce pardon en raison de services rendus au Mossad. Mort en 2013, il avait quitté Glencore en 1994, mais la firme semble marcher sans ambage dans les traces de son fondateur.