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Music

Seuls ceux qui l'ont connu peuvent parler !

Un week-end au Père Lachaise dédié à la mémoire de Jim Morrison avec Richard Bohringer et des philosophes écossais

Photos - Morgane Rospars Mettons les choses au clair : j'ai jamais pu piffrer les Doors, jamais. Jim Morrisson ne m'a jamais touché et la musique de son groupe encore moins, surtout le clavier de Ray Manzareck. Pour moi c'était le son le plus insupportable qui puisse sortir d'un instrument, et les morceaux les plus atrocement chiants qu'un groupe puisse produire. Matias Aguayo disait « 'cause this music got no groove, got no balls, no me hace pumpin' pumpin' pumpin' ». Bah voilà.

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Le deuxième truc qui me rebutait chez les Doors, c'était les gens qui aimaient les Doors.

Quand j'étais étudiant, je rencontrais plein de mecs qui étaient « fan des Doors ». Deux options s'offraient à moi : l'étudiant sous LSD occasionnel qui voulait vivre avec 35 ans de retard un truc que même ses vieux n'avaient pas connu, ou le connard en col roulé, prétentieux et totalement dépourvu d'humour, qui collectionnait les bootlegs de Pink Floyd et Miles Davis et était amoureux de Melody Nelson. Ce genre de mec finissait toujours par te parler du grain du vinyle au bout de deux verres de Gros Plant du Pays Nantais après avoir demandé à la cantonade : « personne n'a un cigarillos ? ».

Ça conditionne.

Je n'en menais donc pas large lorsque je suis part ce samedi soir de décembre, assister à rien de moins qu'une lecture de poèmes de Jim Morrison par Richard Bohringer, devant la tombe même du chanteur des Doors, au cimetière du Père Lachaise. C'était, en gros, pour moi, avec manger une soupe au cresson dans la file d'attente de Pôle Emploi ou participer à un ciné-débat «Économie de moyens et démesure des sentiments chez Eric Rohmer», l'épitomé absolu de l'ennui. Mais, selon Heidegger, faire l'expérience de l'ennui c'est connaître le vide qu'il y a à aimer le monde et par là même, se délivrer de cet ennui. Et c'est pourquoi j'étais là quand Richard a commencé sa lecture devant environ 180 personnes, soit quatre fois plus que ce à quoi on pouvait s'attendre.

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Étonnamment les poèmes passaient mieux en français avec « la gouaille Bohringer » que dans leur lecture en version originale par Phil Trainer - « un mec qui a connu Jim Morrisson et boeufé avec lui, mais c'est jamais sorti »- qui avait trop le trac pour se retenir d'en faire 10 000 fois trop. J’avais l’impression de voir un mec passer une audition pour une adaptation théâtrale libre du Cercle des Poètes Disparus. Quant à la légitimité de Bohringer à se retrouver ici, les avis étaient assez partagés : il aurait un temps côtoyé Jim Morrisson, mais personne n’en est vraiment sur, et Richard esquive tout le temps dès qu’on le coince sur ce sujet. Tout ça avait l’air assez flou. J’ai toutefois noté qu’au début, l’organisation voulait Bertrand Cantat. Mais, au bout du quatrième appel, le mec leur a dit qu’il n’en avait rien à foutre.

Un peu déçu de ne pas assister au « Show Bohringer », qui consiste pour ce citoyen du monde aux colliers à boules façon Spring Breakers à râler sur tout ce qui bouge et s'enflammer pour un rien, j'ai décidé de laisser tomber la lecture et d'aller faire un tour au bar pour rencontrer les fans.

Première constatation : aucun ne rentrait dans une case particulière, exit les connards à col roulé et les vieux cultivant l'héritage psychédélique, tous étaient très différents et assez cools. Je me suis vite rendu compte que les français étaient minoritaires et que les 70 ans de la naissance de Jim Morrisson, c'était surtout l'occasion pour un grand nombre d'européens de se retrouver entre eux et de faire la fête, comme ils en ont l'habitude. Ces mecs viennent depuis des années à Paris, deux fois par an : pour la date anniversaire de la naissance de Jim Morrisson et la date de sa mort. Ils se connaissent depuis cinq ou trente ans, et ne se voient qu'à Paris. Ils vont boire des pintes au Père Lachaise et écoutent « Light My Fire » en se tenant par l'épaule, et ensuite chacun rentre dans son pays.

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En allant pisser avec Jürgen, l'allemand taiseux et son pote turc j'ai appris que leur mentor était Yann, dit « The Philosopher ». Ce prof de philo écossais est un genre de doyen-des-mecs-qui-se-déplacent-tous-les-six-mois-à-Paris-pour-Jim. Depuis 1973, il vient à Paris été comme hiver et écrit depuis quinze ans un bouquin sur les connexions entre Jim Morrisson et Nietzsche, qui ne sortira surement jamais. Tous se sont retrouvés devant le bar et ont trinqué à Jim puis se sont mis à parler de leur vie, et je me suis tout à coup rendu compte que je restais une bière à la main à rire à côté d'eux sans rien entraver à ce qu'ils se racontaient, à mi-chemin entre Steve Carell dans Anchorman et un puceau paumé dans un speed dating.

Du coup je me suis tiré discuter avec Agnès, qui tenait un stand avec des bougies sculptées et des bustes de 15cm de haut à l’effigie de Jim Morrisson en plâtre, tout alignés. Ça donnait un effet très Mont Rushmore du pauvre qui m'a un peu déprimé.

Agnès est fan de rien. Elle le dit « je trouve ça un peu con d'être fan de quelque chose à mort, on finit par s'enfermer, les Doors c'est vraiment cool mais moi c'est pas mon truc d'idolâtrer quelqu'un. J'avais un magasin au Père Lachaise c'est pour ça que je suis ici. Je vendais des conneries sur les célébrités enterrées et ça marchait pas mal, surtout Jim. Après c'est pas facile de tenir une boutique de ce genre, c'est pour ça que j'ai arrêté. Le mec qui gère les droits de Morrisson est un putain de casse couilles. Les avocats me tombaient dessus dès que je vendais un truc, mise en de meure sur mise en demeure, ça m'a gonflé. En plus il gère Ottis Redding, Janis Joplin et Michael Jackson donc ça va il est pas à la rue, tu te demandes pourquoi emmerder une mini boutique comme la mienne. J'ai fini par quasiment tout vendre. J'avais un mannequin, genre tu vois un mannequin pour les vêtements, bah je l'avais déguisé en Jim. Trop bien. Un fan belge me l'a acheté pour son musée privé. Ces mecs là sont fous mais c'est marrant. »

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Dans un éclair de lucidité je me suis dit que ce serait pas mal de rencontrer le mec à l'origine de ce week-end commémoration et je suis allé parler à Gilles Yepremian, Au premier abord Gilles ressemble à un vieil ours acariâtre qui va te filer une torgnole sans la moindre raison mais au bout de deux secondes c'est le mec avec le pire sourire de Papy Gâteau putain de sympa que tu rêves d'avoir.

Il a un vrai boulot en dehors des Doors : manager d’Urban Sax, un groupe pouvant compter jusqu’à 60 membres, crée dans les 70’s, qui cartonne au Japon, et qui a l'air de mettre un beau bordel sur scène.

Il a monté l'association pour le 70ème Anniversaire de Jim Morrisson et organisé ce week-end de festivités. Pour certains, Gilles est une sorte de légende vivante, pour les autres, plus mesquins, c'est juste un type qui ne s'est jamais remis d'avoir rencontré le Roi Lézard.

« Je l'ai ramassé à la sortie du Rock'n'Roll Circus. Il était raide et venait de se faire dégager par la sécu. J'habitais avec mes vieux, j'me voyais mal leur ramener une rock star éclatée à dormir, on a filé chez Hervé Muller, un pote à moi. Il est resté deux jours là bas. Le lendemain on a brunché ensemble. Il était hyper cool, le seul truc, c'est qu'il ne fallait pas lui parler des Doors. Pour Jim, les Doors, c'était tabou, il s'énervait que t'abordais le sujet. Il avait quitté le groupe dans sa tête depuis bien longtemps. » Apparemment, le même soir, Johnny Hallyday était au même endroit, dans le même état désastreux, à casser les couilles de tout le monde. Mais lui, Gilles l’a pas ramassé.

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On a parlé d'Agnès Varda qui serait la seule à détenir le secret de la mort de Jim Morrisson, mais qui refuse de cracher le morceau. Pour elle « Jim était un être mystérieux, sa mort doit rester mystérieuse ». Personne n'est dupe et tous les fans sont ok pour dire qu'il n'est pas mort dans son bain peinard (version officielle) mais bien dans les chiottes du Rock'n'Roll Circus (version officieuse) et que « c’est seulement ensuite qu’on l’a foutu dans un bain chaud pour essayer de le ranimer et le sortir de son OD ». Je ne connaissais absolument pas cette technique et ne manquerai pas d’essayer la prochaine fois que je vois un pote en galère.

Gilles m'a invité au concert qu’il organisait le lendemain. Un live de The Strange Doors, un tribute band.

Les tribute bands : angoisse, incompréhension, fantasme inavoué et inavouable, autant de raisons d'y aller passer mon dimanche soir.

Avant d’aller en prendre plein la gueule avec un groupe de sosies, j’espérais sympathiser et boire des coups avec des mecs le dimanche sur la tombe de Morrisson. Tous les mecs présents le samedi s'y étaient donnés rendez-vous et avaient prévu une cérémonie avec des chants et autres réjouissances pour mec sous terre. Sous terre, j'avais un peu l'impression d'y être en me rendant compte que j'avais loupé la fête de 9h30 et qu'en me pointant à 11h30 là bas, et que tout ce que j'avais à me mettre sous la dent c'était trois touristes espagnols une famille de hollandais. Personne n'était au courant pour les 70 ans. J’allais me tirer pour le QG des fans, le bar OBODODO quand est entré en scène Jean-François, guide au Père Lachaise. Imaginez un mélange de Monsieur Garrison dans South Park et de Francis Huster qui engueule tout le monde. L’horreur.

Après avoir demandé à ce qu’on lui fasse de la place, il a présenté James Douglas Morrison avec un épique « SEULS CEUX QUI L’ONT CONNU PEUVENT PARLER ! Que les autres… se taisent ! », après ça, même la mère de Jim n’aurait plus envie de l’ouvrir.

Pipou Litzer n'a pas pu se taire. Il est sur Twitter - @pipoulongtime