Photos -Tengger Cavalry
À première vue, Nature Ganganbaigal est juste un étudiant de l’université de New-York parmi tant d’autres : il a la vingtaine, est intelligent, créatif, prend son travail très au sérieux, aime la bière, a encore un peu de mal à se repérer en ville et passe son temps à rigoler. Il est a New-York pour obtenir son Master en design sonore pour films et jeux videos. Il a refusé les offres de plusieurs universités européennes, parce qu’il aurait été plus difficile, selon lui, de s’y intégrer. Pas comme à New-York, où il estime que « les gens sont plus ouverts d’esprit, c’est une vraie terre d’immigration. Tout le monde peut y venir. »
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Nature est né à Pékin dans une famille mongole. Il s’intéresse au heavy metal depuis très jeune, mais ce n’est qu’en 2010 qu’il s’est décidé à monter son propre groupe. Il se souvient encore de la consternation qu’a provoqué chez ses parents sa passion pour Slipknot, Lamb Of God ou Metallica. « Mes parents ne comprenaient pas pourquoi j’écoutais cette musique, ils ne comprenaient pas pourquoi j’étais à fond dans ces groupes. À chaque fois que ma mère mettait un pied dans ma chambre, elle hurlait de rage. Elle ne comprenait vraiment pas pourquoi j’étais si investi dans cette culture. »
Et la situation n’était pas forcément meilleure à l’école, où Nature se heurtait chaque jour a un mur d’incompréhension. « Quand j’étais au lycée, les gens pensaient que j’étais fou. Ma prof de musique pensait même que je me droguais, juste parce que j’écoutais du metal. Parce que c’est bien connu, quand on écoute ce genre de musique, tout ce à quoi on pense c’est prendre de la drogue et essayer d’éradiquer la race humaine. Quelle connerie ! »
« Je pensais qu’aux USA, les gens seraient plus ouverts, mais après avoir parlé à certaines personnes, j’ai réalisé que ce n’était pas forcément le cas; les gens sont totalement fêlés, » dit-il d’un air frustré. « Le metal a souvent un aspect très positif. Ce n’est pas forcément quelque chose de violent. Je connais un tas de metalheads végétariens, par exemple. Les gens jugent souvent sans savoir. Pour eux, si tu es dans le metal, tu es aussi un sataniste violent. Allez donc vous faire mettre, vous ne savez rien de nous. »
En vieillissant, les goûts musicaux de Nature ont évolué vers des choses plus subtiles, plus nuancées. « Slipknot était un groupe vraiment énervé, et leur musique exprimait parfaitement la haine que je ressentais envers les chinois et leur façon de penser. Puis j’ai réalisé que je n’avais pas besoin d’une musique qui me mette la haine, mais d’une musique qui me donne du courage. Le power metal et le pagan metal m’ont apporté cette énergie positive dont j’avais besoin. A travers ces styles, je retrouvais l’attitude que je cherchais, ce truc qui peut se résumer à ‘peu importe l’avis des autres, je mène mon propre combat’. »
« Au lycée, j’avais un groupe qui s’appelait Hell Savior. C’était un groupe de thrash metal old-school traditionnel. Mais je me suis très vite rendu compte que tous ces trucs autour de Satan n’arrivaient pas vraiment à me toucher sur le plan émotionnel. Pour devenir artiste, la haine ce n’est pas suffisant. Ce n’est pas forcément une bonne source d’inspiration. Quand tu écoutes de la musique c’est parce que tu recherches une émotion, tu ne veux pas juste écouter un truc parce qu’il te donne envie de haïr la Terre entière. Et je pense qu’en ce sens, le metal a évolué, il est aujourd’hui passé à autre chose. »
Le message positif que Nature véhicule à travers sa musique, il le tire de ses croyances religieuses. « En Mongolie, le bouddhisme tibétain et le chamanisme sont deux religions combinées et je retranscris cette double croyance en musique. Mon message est universel, ce n’est pas parce que tu ne crois pas en ma religion que tu vas mourir. C’est comme la nature, tout le monde croit en la nature, » m’explique-t-il. « J’adorerais pourvoir intégrer de jolies choses à ma musique, comme des chevaux, de l’herbe, de l’amour, des rochers, le ciel. Grâce à la musique de Tengger Cavalry, les gens peuvent ressentir la force, la puissance mais aussi de l’amour et de la compassion. » Le nom du groupe incarne bien l’importance et le sérieux qu’accorde Nature à la spiritualité — dans le chamanisme mongol, « tengger » signifie « Dieu,» ou « Tout-Puissant ».
Entre New-York et les grands espaces d’Asie Centrale, le contraste est brutal. C’est pour ça que Nature part chaque semaine faire un peu de cheval à Jamaica Bay. Il a aussi été très marqué par un voyage à Austin, où il est allé rendre visite à l’un de ses amis. « Genghis Khan a conquis différents pays sans oppresser aucun peuple. Il a vu beaucoup de pays différents et a appris énormément de chose. C’était un homme qui savait ce qu’il voulait. Il avait un état d’esprit très américain je trouve, il se battait pour la liberté. Nous les mongols, on est pareil, on fait tout pour la liberté. On est les cowboys de Chine. Je suis allé au Texas et j’ai vraiment adoré. J’ai été dans un ranch et j’ai pu parler à des cowgirls. »
C’est aussi au Texas que Nature en a appris un peu plus sur la politique Nord-Américaine, et notamment sur les franges les plus conservatrices du parti Républicain. Ce qui peut sembler étonnant de la part de quelqu’un qui a grandi en Chine. « C’est fou mais on s’y habitue. On ne peut rien faire, juste accepter. On peut les détester, mais ils auront toujours le contrôle sur tout et vous ne pourrez que leur obéir. Vous n’êtes que de simples citoyens, tandis qu’eux forment un groupe très puissant. Ils ont des armées et des moyens de répression contre lesquels on ne peut pas rivaliser, » m’explique-t-il. « Notre gouvernement nous déconnecte du monde qui nous entoure. Imagine, en Chine on n’a même pas Facebook ! »
Et ses origines mongoles ne l’ont pas aidées. Pendant longtemps, la Chine a oppressé ses minorités ethniques (et la plupart de ses citoyens) et c’est assez incroyable de voir comment Nature a réussi à transformer cette négativité en un hommage vibrant à ses racines. « Ma famille vient d’une province chinoise qui a longtemps été aux mains des mongols. Genghis Khan a envahi le sud et un tas de mongols ne sont jamais revenus; ils sont restés vivre en Chine. Les chinois du nord du pays ont du sang mongol qui coule dans leur veines, mais les gens ne savent pas tout ça. »
Tengger Cavalry aimerait pouvoir changer tout ça, ou tout du moins créer un espace où les mongols pourraient célébrer leur histoire commune. « Au début c’était un projet solo. Il y avait bien du Viking et du Celtic metal, alors je me suis dit ‘Pourquoi par du metal mongol ?’ On a nos propres instruments et on pouvait tout à fait les intégrer. On a aimé le résultat et on a commencé à chercher du monde pour monter un groupe et faire des concerts. »
Aujourd’hui, Nature essaye tant bien que mal de réenregistrer une nouvelle version de l’album Blood Shaman Sacrifice, sorti en 2010 en Chine, en édition limitée. et pour le moment, c’est la session d’enregistrement la plus palpitante qu’ait connu — l’ambiance est plus moderne mais on retrouve toujours cette petite touche mongole.
Le 18 mai, Blood Shaman Sacrifice, premier album de Tengger Cavalry sorti en 2010 en Chine, en édition limitéee, sera réédité aux USA. Le disque a été entièrement ré-enregistré par Nature dans une petit studio de NYC. Mais le futur du groupe semble désormais incertain. Nature espère obtenir un deal avec un plus gros label pour la suite. Dans l’idéal, il aimerait travailler avec Napalm Records, label indépendant autrichien spécialisé dans le folk metal, et garde l’espoir de pouvoir, un jour, se lancer dans une véritable tournée américaine.
« C’est assez bizarre en ce moment car je suis à New-York et les autres sont en Chine. J’aimerai bien qu’ils puissent tous me rejoindre ici. Je ne sais pas vraiment quoi faire, à coté de la musique j’ai aussi mes études, j’essaye d’obtenir mon master, raconte Nature. Pour pouvoir jouer ici et mettre sur pied une tournée de San Francisco à New-York, il faudrait que je recrute des musiciens américains. Je pense que ça arrivera, mais avant de programmer une tournée, on doit s’assurer d’avoir une fanbase solide pour ne pas se retrouver avec trois pékins dans la foule. »
Il aimerait aussi tourner en Europe, mais l’origine du groupe peut poser problème. « Je viens d’un pays socialiste, donc il est super difficile de jouer partout dans le monde, dit-il avec regret. Dans certains pays, les gens ne croient pas en nous. Aujourd’hui ça a tendance à changer. La Chine veut faire plus de business avec le monde occidental, donc les chinois essaient d’être plus ouverts d’esprit et font leur maximum pour être appréciés. En venant étudier ici, j’ai appris des choses sur la culture américaine, les coutumes locales, et ce n’est pas toujours très glorieux. Les flics se montrent parfois très hostiles envers les étrangers, par exemple. Mais je peux comprendre, ils doivent protéger les leurs. »
Globalement, ces cinq dernières années ont été plutôt bonnes pour Tengger Calvary : ils ont réalisé six albums et sont sur le point de sortir le septième sur un label américain. Ils se sont construit une fanbase solide et dévouée, ils ont eu la possibilité de jouer lors de gros festivals en Chine, et Pékin — où la scène metal est plus important qu’à NYC selon Nature— a vu naitre d’autres groupes de folk metal mongol comme Nine Treasures et Hanggai. Pour Nature, c’est une énorme satisfaction. « C’est cool de savoir qu’on n’est pas tous seuls. La culture asiatique ne se résume pas aux sushis et au riz gluant, on a aussi le metal, souligne-t-il. On veut que tout le monde sache que nous aussi on a une culture et une scène metal. »
Nature est heureux de constater que son message a été entendu. « Certains fans de Chine, de Turquie, et d’Europe m’écrivent pour me dire que ma musique les rend heureux, et qu’elle les aide à affronter la vie de tous les jours. C’est le pied ! Il ne faut pas avoir peur de la vie, ni la détester, il faut juste lui botter le cul et profiter ! »
Blood Shaman Sacrifice sera disponible le 18 mai sur Metal Hell Records.
Kim Kelly est sur Twitter.