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Sans Micky Milan, la club culture ne serait pas ce qu’elle est en France

Tout au long de son histoire, la patrie de Pascal Sevran a entretenu des relations houleuses avec la black music. Alors, lorsque disco et funk ont commencé à fusionner de l’autre côté de l’Atlantique, pour former ce que certains puristes haïssaient déjà sous le nom de boogie (voire dance-funk ou post-disco), les têtes se sont mises à tourner dans les discothèques de l’hexagone, avant de tourner sur le parquet des HLM. D’un côté, il y avait Sidney, Phil Barney, DJ Chabin, Dee Nasty ; de l’autre, la bande de l’Échappatoire, club mythique de Clichy-sous-Bois : François Feldman, Over Drive, Katia, Élégance. Leur meneur ? Micky Milan, Milan Zdravkovic de son vrai nom, danseur, DJ, producteur et programmateur qui sévira à la boîte du début des années 70 au milieu des années 80, soit l’âge d’or de la Fête. Lancé par deux morceaux phares (signés Chagrin d’Amour et Élégance), ce qu’Internet désigne aujourd’hui comme « French Boogie » reste la seule preuve de tentative de funk (synthétique) en français.

On a rencontré l’architecte de ce style, au sous-sol du Palais des Congrès, Micky Milan a accepté pour la première fois de répondre à une interview et est revenu avec nous sur l’épopée du clubbing français, des boîtes mods ultra sélects des 60’s aux méga-clubs des 80’s, avant d’évoquer les débuts de François Feldman, l’importance du disquaire Champs Disques, l’arrivée du rap et son aversion pour Stars 80.

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Noisey : C’était comment les clubs à Paris avant ?
Micky Milan :
Avant d’être DJ, à la fin des années 60, je sortais dans les trois boîtes références de Paris : le Milord Mod’s à Palais-Royal, le Tours Club à Stalingrad et le début de l’Atmosphère Black qui se trouvait à Opéra. Au Milord Mods, il y avait un DJ chinois qui adorait la black music. Au Tours Club, c’était un vendeur de chez Champs Disques et à l’Atmosphère, c’était un pote à moi, qui s’appelait Denis. J’avais 14 ans. Dans ces boîtes, on écoutait que de la black music, il y avait des concours de danse, j’adorais ça et j’en ai gagné beaucoup d’ailleurs. Parallèlement, je faisais de la musique, j’ai commencé la basse à 15 ans. On avait monté un groupe avec Gilbert Montagné au clavier, qui n’était pas encore connu, et un Black au chant qui s’appelait René Parker. On jouait dans les caves. Tous les dimanches à 14h, j’allais chercher Gilbert à la gare de Gagny, où je vivais, dans le 93. Et moi ça m’embêtait un peu, c’est l’heure à laquelle je me réveillais puisque je dansais toute la nuit le samedi. Un peu plus tard, au début des années 70, je suis allé faire un tour à l’Échappatoire qui venait d’ouvrir à Clichy-sous-Bois. J’observais le DJ, qui passait plutôt du rock d’ailleurs, c’était pas mon truc. Le patron de la boîte m’a alors demandé si je voulais travailler, je pouvais commencer tout de suite. Je n’avais jamais été DJ, je m’y suis mis comme ça, à 17 ans. Et il a fini par virer son DJ pour me garder. L’Échappatoire a existé jusqu’en 2000. Moi j’ai fait la période 1971-1984 et on m’a demandé de revenir en 2000 parce que la boîte ne marchait plus très bien. J’ai re-blindé la discothèque en 3/4 mois, entre 1999 et 2001.

Émeute quand Gilbert Montagné joue à l’Échapp’.

Tu as toujours vécu à Paris ?
Oui, à Gagny, en Seine-Saint-Denis. À l’époque, on sortait surtout le week-end parce les boîtes étaient fermées la semaine. Notre lieu de rendez-vous c’était sur les Champs, devant le Drugstore, en haut de l’avenue. En fait, il y avait deux bandes, la notre et celle de Jacques Dutronc. On nous appelait la Bande du Drug. On habitait dans le 93 mais on était sapés de chez sapés. On ne vivait que pour ça : la sape, la danse et les sorties. J’ai jamais pensé à l’argent, même après. Ce qui m’intéressait, c’était d’être dans la musique.

Au fil des années 70, l’Échappatoire s’est mis à cartonner et a ouvert deux autres salles. La boîte pouvait contenir entre 1500 et 2000 personnes et dehors, il y avait une file d’attente sur un kilomètre dès l’heure d’ouverture. Tout le monde venait pour mon son, de Rouen, d’Orléans, de partout. Je bossais là-bas le vendredi et le samedi. Parfois, le Palace et Champs Disques me demandaient de travailler chez eux le jeudi. J’étais ami intime avec Marcel Benbassat, le boss de Champs Disques, on décidait les achats ensemble, et on a même produit un titre tous les deux, « Don’t Stay » de Sidney Mood. Bref, à l’Échappatoire tu pouvais à la fois croiser Paco Rabanne, Yves Mourousi, l’équipe de NRJ, tout le monde se retrouvait là-bas, c’était la boîte phare. Le champagne était offert. Je faisais gagner des aller-retours aux États-Unis (c’était pas donné à l’époque !). Toutes les semaines, il y avait un spectacle. J’invitais des danseurs professionnels, j’avais des chorégraphes, j’avais également un contrat avec un cirque, donc tu pouvais croiser des cracheurs de feu, des funambules, des félins, une nana qui rentre en cheval dans la boîte, que des trucs tarés en fait ! J’avais besoin de me surprendre toutes les semaines. C’était non-limite.

Les danseuses de l’Échapp’

C’était la même époque que le Palace ?
Oui, en même temps. À partir de 75, jusqu’au milieu des années 80. Pour moi, c’est là que la musique était la plus intéressante. Avant aussi hein, mais c’est autre chose. Je me suis éclaté sur Aretha Franklin, Rufus Thomas, Wilson Pickett, Sam & Dave, James Brown, etc. James Brown je suis allé le voir 2/3 fois à Londres, aux États-Unis. Mais au niveau musique, sans être prétentieux, je pense que c’est moi qui aie amené la culture en France. C’est la première fois que je dis ça à quelqu’un, hein, je n’ai jamais dit ça de ma vie. La preuve, c’est que tous les gens venaient à la boîte, toutes les stars qui se sont faites connaître après, elles venaient chez moi. L’autre jour j’ai même reçu un message sur mon téléphone : « Salut, je suis un grand fan de toi. Bob Sinclar ». Il a tous mes vinyles et m’appelait pour remixer un des mes titres.

Ah ouais. Pour revenir à la fin des années 70, est-ce que la « black music » existait en France ?
Il n’y en avait pas. Ou plutôt un seul groupe : Le Royal Show avec Rene Parker (de son vrai nom René Hatchi). Pour moi c’était le top. Après, il y avait plein de groupes qui faisaient des reprises, des choses comme ça.

Solo de Guy Accardo dans son groupe Over Drive.

Et Black White & Co ?
Alors là oui, très intéressant, très très intéressant. Ils ont eu une place chez moi, c’étaient les seuls. La plupart des gens qui venaient chez moi pour passer leur disque, je leur refusais. Même François Feldman, qui habitait en face de l’Échappatoire, lui et toute sa bande me suppliaient de passer leurs trucs. Je disais « nan, vous êtes sympas les gars mais moi je passe que de l’Américain », et encore… J’étais tellement prétentieux qu’il fallait que j’adore ce que je passe et que surtout, ça ne passe nulle part ailleurs. Mes vinyles arrivaient à 2/3 exemplaires chez Champs Disques. Lorsqu’on pensait qu’il n’y avait pas de potentiel pour un plus grand public, on les gardait pour nous et on n’en recommandait pas. Quand c’était du Sister Sledge, ok, on en prenait un paquet. J’ai été le premier à diffuser Bohannon, Sylvester… L’époque du disco, elle est extraordinaire. La jonction entre la funk et la disco, c’est extraordinaire. J’avais au moins 30 ou 40 nouveautés par semaine, c’est énorme. Comme la boîte ouvrait à 21h et fermait à 6h (parfois 8h du matin), je ne passais jamais deux fois la même chose, sauf quand j’avais un gros coup de cœur. Un truc que j’ai beaucoup aimé, c’est « Galaxie » de War. Les danseurs s’éclataient à fond là-dessus. Même aujourd’hui quand je le joue dans certaines soirées, lors d’évènements sportifs ou autres, les gens sont comme des fous. J’ai une playlist qu’on ne retrouve pas ailleurs.

A l’Échappatoire, j’ai fait énormément passer de groupes. Parfois plusieurs le même soir. À l’époque, t’avais pas 56 chaînes de télé mais une seule. Alors dès 20h, les gens étaient déjà là. Ils savaient que toutes les semaines, il y avait une star. Si j’avais Imagination, je mettais aussi Guy Accardo (Plaisir), je mélangeais les styles, les genres, star ou pas. Mike Anthony avec d’autres, il adorait l’Échappatoire, dès qu’il arrivait à Paris, c’était l’Échapp’. Rod, c’était son quartier général. Les chanteurs venaient ici pour la musique et pour la danse. Et pour draguer bien sûr. Beaucoup de gens du Marais venaient aussi. Certains venaient pour copier, moi ça ne me gênait pas, j’étais réputé pour couper la tête dans les titres. L’enchaînement n’est pas important pour moi, ce qui est important, c’est le titre suivant. Clac, clac, clac. Ma piste a toujours été pleine. Je n’ai jamais vidé une piste avant 6 heures du matin.


Les new-yorkaises de New Paradise sous une pluie de serpentins.

Quelles autres boîtes passaient de la black music à cette époque ?
Toutes les boîtes en passaient, parce que c’était une épopée extraordinaire. L’Échappatoire, le Palace et le Styliss à Rouvray marchaient très forts parce qu’ils s’approvisionnaient directement chez Champs Disques.

Tu as connu les soirées à la Scala animées par Phil Barney ?
Alors, franchement, je n’aime pas casser du sucre sur le dos mais lui il n’a rien à voir avec la black music, il n’a pas la même culture que moi ou François Feldman, qui avons démarré là-dedans à 13/14 ans, on a entendu que ça et on connaît tout. On était capables de faire 600 km à notre âge pour voir untel ou untel. Lui, franchement, il était vendeur dans un magasin concurrent, et de loin, qui s’appelait Disco Montparnasse. Pour moi, ce n’est pas une référence du tout. Les grosses références de ces années-là ? Il y a le groupe Élégance, avec mon ami Pierre Zito. C’est avec lui qu’on a fait la première version de « Vacances j’oublie tout » et il réussit très bien aujourd’hui, c’est devenu une référence incontournable de la musique lounge, il fait la B.O. de tous les hôtels Costes du monde. Ensuite, il y a Sidney, que je trouve très très bon et qui a toujours eu des idées extraordinaires.

Ton premier disque sort en 1982, « Quand tu danses ». FF Yellowhand

. Le titre je le passais un peu, mais ça ne prenait pas du tout. Donc je lui ai dit « ça suffit, maintenant, c’est moi qui vais faire la musique, prépare-moi un clavier et on va s’en occuper ». Il faut savoir que François est quelqu’un de très doué hein, il n’a pas son égal au niveau toucher. Il avait trois titres que je trouvais super mais il n’en avait sorti qu’un seul. Donc on a fait « Quand tu danses » que j’ai proposé aux maisons de disques fin 79, début 80. Et j’ai été viré de partout. Personne n’en voulait. « C’est quoi ça ? T’es en train de parler ? Pas bon du tout… »

Le groupe Élégance.

D’ailleurs, d’où il vient ce « parler-français » ?
Parce que j’avais entendu ça sur des disques américains type Sugarhill Gang. J’ai été le premier à ramener Kurtis Blow en France. Quand j’ai commencé à passer ça, tout le monde se foutait de ma gueule ! Ah oui, il faut aussi savoir que toutes les maisons de disques venaient à l’Échappatoire pour tester leurs disques, les patrons de Sony, Epic, etc. Ils savaient aussitôt si le titre prenait ou pas. Quand j’ai passé Kurtis Blow, ça a cartonné, tous les gens me demandaient le titre. J’avais un carnet dans la cabine, je notais le titre et l’adresse de Champs Disques. Et le lendemain même, il y avait entre 500 et 1000 ventes. Le patron était comme un fou ! C’est impensable aujourd’hui. Quand un disque marchait très fort, tu arrivais au magasin, il était empilé et tu ne pouvais même plus voir la tête des vendeurs. À l’époque où j’étais acheteur, tu avais trois vendeurs : Steven, un gars de Los Angeles (un ami de Fabrice Emaer du Palace – la communauté gay très importante de Paris, des gens d’une finesse extraordinaire qui connaissaient tout en musique)… Il y avait aussi Guy Cuevas et Michel Gaubert, qui est aujourd’hui illustrateur sonore pour Chanel. Voilà avec qui tout se décidait.

Pour revenir à mon disque refusé, un jour je rencontre un Hongrois, Korac, qui l’écoute et me sort « mais c’est extraordinaire ! ». Il était accompagné du patron de Salsoul Records qui m’a dit « allez, on le prend ». 15 jours après, mon disque passait en rotation lourde sur NRJ. Au bout de 4 semaines, j’en avais déjà vendu 70 000 ! Tout le monde m’appelait, le Hit Parade des clubs sur Europe 1 avec Yan Hegann, Bernard Schu sur RTL, etc. Ils m’invitaient, ça me plaisait parce que je parlais des clubs mais je n’aimais pas les radios grand public, je refusais que mes disques passent sur les grandes ondes. Je voulais juste passer sur la FM, pas dans les endroits où ça parlait de politique, tu vois ? « Quand tu danses » cartonnait tellement que j’ai dit non. Pourquoi ? Pour sortir « C’est une bombe ». En fait, j’ai cassé les ventes. Aujourd’hui, je sais que je n’aurais jamais dû faire ça, mais bon, j’avais envie d’exister à travers autre chose. Un mois après « C’est une bombe », je voulais déjà passer à un autre titre.

Et Chagrin d’Amour dans tout ça ? J’aime quand tu danses Drôle d’histoire d’amour Gay Men


Il y avait Katia aussi, « La pin-up des pick-ups ».

Elle, c’est ma meilleure copine ! Elle est aujourd’hui à la tête de la plus grosse agence évènementielle du monde. Elle a toujours été forte là-dedans. Dès 73-74, elle travaillait pour l’Échappatoire et s’occupait de la programmation avec moi. La première remise des disques d’or, le premier Téléthon, on l’a fait ensemble.

Le early François Feldman en compagnie de Bernard Schu de RTL, qui lui remet un prix.

1982 est l’année la plus fertile en disco-funk français. Vous avez senti une scission à cette époque entre vous, qui faisiez une musique de divertissement, et certains « puristes » de la black music ?
Moi je suis un grand fan de ce qui est sorti fin 60, début 70, c’est ça LA black music, les cuivres, pas de boîte à rythme, etc. Maintenant, la jonction entre les deux époques, effectivement, c’était plus variété, pas ce que je préférais, mais je ne crache pas dessus, je me suis fait plaisir. J’ai voulu faire un truc gimmick comme il y en existait plein. Quand la mode française est arrivée, toutes les semaines il y avait une nouveauté, et c’est à ce moment que c’est devenu variété. Nous, on a démarré et tout ce qui est arrivé derrière, c’est de la variété dans le même style, avec un meilleur niveau de chant et tout, mais nous, on était dans le gimmick, des gimmicks pour danser. Ensuite, j’ai voulu faire « C’est une bombe » qui est plus musical, c’est pour ça que je n’ai rien à voir avec Phil Barney. Quand on écoute ce qu’il a fait lui : la variété c’est lui ! Il ne peut pas respirer ce que moi je respire en musique. J’ai toujours côtoyé de vrais musiciens. Les gens qui jouent sur « Quand tu danses » ce sont les Gibson Brothers, Feldman au clavier, y’a aucune boîte, tout est live. D’ailleurs, pour me faire plaisir, je viens de ressortir un petit truc funk avec Jonice Jamison, que tu devrais bientôt entendre sur Canal+ et ailleurs.

Les Gibson Brothers, certainement en train de performer leur tube « Cuba ».

Cool. Tu crois que c’est un complexe français de déconsidérer la musique conçue pour danser ?
Eh bien avant, tu pouvais faire ce que tu voulais, il n’y avait pas les médias. On pouvait faire passer un courant en fait, sans forcément être grand public. Aujourd’hui, on dépend de toutes ces chaînes de télé, ces radios, qui passent toujours la même chose, et les gens veulent entendre ça. Même maintenant, quand je sors dans certains endroits, on entend ce qui passe à la radio, et je trouve ça vraiment dommage. J’espère que ça va cesser. Je sens que nous allons être obligés de revenir à des choses originales que nous n’entendons pas ailleurs.

À propos, ce matin j’étais avec un mixeur en train de travailler sur un titre important. Il me dit « on va faire intro, couplet, refrain » et je lui ai répondu « stop, moi j’ai plus rien à prouver », je veux me faire plaisir. Y’a plus de couplet, y’a plus de bon sens, y’a ce que j’ai envie d’entendre et de vivre. Ça ne passera pas ? C’est pas grave !

Micky & François, inséparables.

Qui écoutait du disco-funk français dans les années 80 ? On a souvent l’impression que c’était un milieu dominé par les Séfarades.
Oui, c’était nous hein ! Michel Eli, le producteur de « Cargo » d’Axel Bauer, par exemple. Les gens avaient du goût, de l’argent et tu as complètement raison de parler du Sentier, c’est un endroit qui bougeait énormément. Rue des Haudriettes, il y avait une boîte qui ouvrait de midi à 14h et on venait tous là. Ca s’appelait le Kikméon et ça a démarré en 72 je crois. Y’avait des caves, on dansait, on écoutait des sons. C’était la seule boîte de ce genre !

C’était un grand mélange.
Oui, on voyageait beaucoup. Je travaillais uniquement le week-end et je gagnais comme un PDG, donc je me payais mes voyages aux États-Unis. Toutes les semaines j’allais à Londres pour acheter mes disques. Ce qui est important, c’est de vivre ce que j’aime et de ne pas mettre un sou de côté, ce que je n’ai jamais fait ! Chaque fois que je gagnais de l’argent, je le dépensais le lendemain, dans la production ou la réalisation.

Kid Creole et les Coconuts.

Pourquoi on ne trouve rien sur le funk dans les médias français de l’époque ?
Ça a échappé à tout le monde ! Aucune maison de disque ne voulait jouer le jeu. La preuve, personne n’a voulu de mon disque, ni celui d’Élégance, ni celui de François. On a réussi à imposer, grâce à notre petit groupe, et un seul magasin, Champs Disques, tout ce qu’on a vendu, des milliers et des milliers d’exemplaires, dans un seul magasin. Là ils se sont dit : « il se passe quelque chose ».

Et en province ?
Pas trop non, mais j’y étais demandé en tant que DJ. Tous les mois il y avait la remise des disques d’or dans les plus grosses discothèques de France. C’étaient les mêmes qui les recevaient, on était une dizaine dont les « intellectuels » n’ont jamais voulu parler, et pourtant, l’élan était d’une richesse énorme. On va en parler de plus en plus je pense, il s’est passé beaucoup de choses dans les années 80, et ce n’est pas fini. Quand tu écoutes le dernier Daft Punk, ce n’est pas fini !

Justement, le boum du style en France a lieu entre 82 et 85 on va dire. Pourquoi ça s’estompe ensuite ?
Avec l’arrivée de la new wave, vers 85/86. C’était un son anglais, agressif, qui ne nous correspondait plus. Même moi j’ai voulu suivre la tendance en allant vers le style (avec « Allo Police ») et je reconnais que ce n’était pas bon. Je regrette, c’était une mauvaise expérience. Je me reconnais plus dans « Champion » par exemple, ou des slows comme « Tu m’as usé ».

En parlant de « Champion », comment tu vis l’arrivée du rap au milieu des années 80 ?

Pour moi c’était une tuerie ! Mais en France ils n’étaient pas prêts. Ils n’ont pas voulu de mon disque d’ailleurs. Pour moi, les plus belles années c’est l’époque de Sugarhill, Kurtis Blow, Rick James, j’ai adoré tout ça. Le rap n’a jamais arrêté après ça et il ne s’arrêtera pas. J’ai un titre sur une de mes compiles d’ailleurs, une tuerie d’un rappeur qui venait souvent à l’Échapp’, je lui avais fait une rythmique façon Delegation, ça s’appelle « La Blonde ou la brune » de SH, un truc fabuleux. Le texte, c’est vraiment lui : il débarque à l’Échappatoire, il fait le beau, il regarde à droite, à gauche, il se met à danser comme un ouf, il fait péter – comme il dit – sa carte bleue, et il repart fauché. J’adore ce genre de trucs. Pour moi, le rap a toujours été là mais il n’a pas eu la place qu’il méritait en France.

Sydney est venu pour danser, Rod est venu pour chanter.

Les disques de rap de cette époque sont tous des « disques-blague » en fait.
C’est ça. Tout le monde l’a fait. Dans les maisons de disques, et j’en ai connu beaucoup, il y avait beaucoup de nuls. Il a fallu que ce soit un label américain qui me repère, et je suis le seul Français à avoir signé sur Salsoul, il n’y en a pas eu d’autre. En France ils n’avaient pas l’oreille. Quand ils ont vu que je marchais, on m’a proposé d’être directeur artistique chez Sony Music mais j’ai refusé pour monter mon label, Do Re Mi Productions, et j’ai arrêté parce que c’était trop de travail.

Pour les maisons de disques ça, a été un choc. Elles vivaient à l’époque d’Europe 1, RTL, où ça parlait beaucoup et où il y avait très peu de musique. Ils diffusaient alors surtout ce qui se vendait : Hallyday, Vartan, etc etc… Nous, au milieu de ça, on était des extraterrestres. On était au début d’une révolution en fait, d’ailleurs on ne voulait même pas entendre parler de ces gens-là et eux ne voulaient pas entendre parler de nous non plus. Ensuite, par la force des choses, il y a eu une évolution…

Aujourd’hui, L’E chappatoire est une maison de jeunes. Reste ce flyer, impecccable.

Il y a eu Stars 80...
Stars80, j’aurais jamais choisi ça moi. C’est de la variété… Par exemple j’aurais interdit à François de chanter ce qu’il chante, je lui aurais dit de chanter FF Yellowhand, tu vois ? Faudrait faire une tournée mais uniquement dans les clubs. Ce que j’aimerais faire aujourd’hui, c’est une soirée 70/80 exceptionnelle, ça pourrait être en collaboration avec un journal, avec une radio, ou pas du tout. « Micky Milan & Friends ». 100 % plaisir. Tout un concept. Au niveau de la playlist, ce serait une grosse surprise. Je continue à mixer, tous les 15 jours j’ai une soirée. Mais là, ce serait exceptionnel. Je ramènerai tout le monde, et la presse, ils seraient comme des fous.


Toutes les photos proviennent des archives personnelles de Micky Milan et ont été prises à L’Echappatoire.

Une histoire orale du boogie français , l’article complet à lire dans le numéro 3 de la revue Audimat.

Rod Glacial connaît les paroles de « Champion » par coeur. Il est sur Twitter.