La sclérose latérale amyotrophique, ou ALS, est probablement l’une des maladies dégénératives rares les plus connues du grand public. C’est pour financer sa recherche qu’à l’été 2014, un paquet de célébrités et un paquet encore plus important de quidams se filmaient en train de se prendre un seau de glaçons en pleine tête – si vous vous posiez la question, l’initiative a d’ailleurs porté ses fruits, comme quoi -, et c’est aussi le syndrome qui cloua l’immense physicien Stephen Hawking dans un fauteuil depuis les années 70 (à bientôt 70 ans et 50 ans après son diagnostic, le cosmologue défie toutes les prédictions d’espérance de vie qu’on lui a attribué).
L’ALS cause une dégénérescence progressive du cortex cérébral, qui paralyse lentement toutes les parties du corps du sujet. A l’heure actuelle, son origine reste inconnue, et il n’existe aucun remède. Depuis le diagnostic d’Hawking, cependant, des systèmes informatiques ont vu le jour pour permettre aux malades de communiquer, le plus célèbre d’entre eux étant l’Equalizer, l’interface développée en 1985 qui permet au scientifique de s’exprimer en sélectionnant des lettres avec ses yeux pour former des mots, qui sont ensuite retranscrits par un assistant vocal intelligent. Mise à jour par Intel depuis 2012, l’interface nommée ACAT inclut désormais la navigation web et une plus grande facilité d’utilisation, avec un système de prédiction des mots – une sorte de super mode T9 personnalisé – régulièrement mis à jour. Si Hawking peut toujours donner des conférences de sa voix robotique, pour le plus grand bien de l’humanité, tout le monde n’a pas les moyens de s’offrir un tel système et la maintenance qu’il suppose, encore moins de le maîtriser aussi bien que lui.
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Mais depuis un an, raconte New Scientist, une femme de 58 ans, nommée « HB » par souci d’anonymat et atteinte d’ALS depuis 2008, expérimente un nouveau système de communication : l’écriture directement par la pensée. Le système, présenté par les chercheurs de l’université UMC d’Utrecht et publié ce mois-ci dans le New England Journal of Medicine, se base sur un implant cérébral relativement simple, appelé électrocorticographe (ECoG). Contrairement à une électroencéphalographie (EEG) durant laquelle le patient est coiffé d’un casque, les électrodes sont placées sous le crâne, directement sur le cerveau. Les résultats sont plus nets qu’un EEG, mais la procédure est moins invasive que la stimulation profonde, utilisée pour traiter Parkinson. L’implant d’HB est divisé en quatre bandes d’électrodes de 5 centimètres de long. Deux d’entre elles sont fixées sur la zone contrôlant le mouvement de sa main droite, deux autres sur celle qui contrôle le compte à rebours. A l’heure actuelle, le dispositif fonctionne grâce à la main, mais l’ALS étant dégénérative, il est possible que la patiente doive un jour changer de méthode.
Vers un cerveau-télécommande
Le principe en tant que tel n’a rien de nouveau : une interface neuronale directe (brain-computer interface, ou BCI), qui traduit l’activité cérébrale en signaux électriques et les transmet à un ordinateur ou une prothèse robotique. Le système, sans cesse amélioré, a déjà permis à des singes de se déplacer dans des fauteuils roulants contrôlés par la pensée, d’actionner un bras robotique et de taper « être ou ne pas être, telle est la question » sur un clavier (à 12 mots par minute, soit un peu plus lentement qu’Hawking lors de ses débuts). Les essais sur les humains ont quant à eux vus des patients paralysés piloter des prothèses robotiques. Au vu des progrès réalisés, les rêves d’exosquelettes contrôlés par la pensée ne semblent plus inaccessibles. La véritable performance réalisée par HB et l’équipe de chercheurs néerlandais, cependant, réside dans la facilité d’utilisation du système.
Car là où les BCI nécessitent un recalibrage permanent, pour ne pas dire quotidien, et un appareillage complexe peu compatible avec la vie d’un malade, le dispositif d’HB présente deux avantages : la légèreté et l’autonomie. Le transmetteur qui reçoit le signal des électrodes, de la taille d’un pacemaker, est également implanté – sous sa clavicule gauche – et transmet les données à la tablette et son logiciel de texte sans passer par des fils. Discret, et bien plus pratique au quotidien. Deuxièmement, le dispositif ne nécessite pas de recalibrage : HB a patiemment appris à générer des « clics cérébraux » en imaginant déplacer sa main droite, notamment en jouant au jeu de la taupe (Whack-a-mole) et à Pong. Au bout de six mois, explique le spécialiste en BCI Nick Ramsey, la patiente y parvenait avec une précision de 95%.
Pourtant, si HB parvient désormais à taper une lettre en environ 20 secondes, la BCI reste moins rapide que le dispositif oculaire, ce pourquoi elle ne l’utilise pas quotidiennement. En revanche, elle l’utilise systématiquement à l’extérieur, lorsque la lumière ambiante empêche la caméra de suivre correctement les mouvements de ses yeux.
Dans une fascinante interview donnée à New Scientist, HB explique qu’elle est « maintenant plus en confiance et indépendante lorsqu’ [elle] est à l’extérieur. » Tout le paradoxe du système est là : son avantage principal, sa simplicité, est également sa plus grande faiblesse, car il ne permettra pas d’effectuer des tâches plus complexes que la communication, comme le contrôle de prothèses. Néanmoins, maintenant que la partie technique a fait ses preuves, l’équipe espère améliorer la partie logicielle, notamment en augmentant sa capacité de prédiction des mots. Et, pourquoi pas, d’ajouter d’autres fonctions au système sans fil, comme le contrôle d’objets connectés. C’était déjà la promesse d’une interface développée par le consortium BrainGate en 2015, qui mêlait émetteur-récepteur et amplificateur de signal pour transmettre les données cérébrales à 48 mégabits par seconde, soit « aussi rapidement qu’une connexion Internet résidentielle », selon le MIT Technology Review. L’année dernière, l’entreprise a débuté les essais cliniques sur des patients atteints d’ALS, mais aucune nouvelle depuis. La même année, rappelle New Scientist, deux équipes –l’une turque, l’autre japonaise- ont exploré la facette commerciale des BCI, en transformant les cerveaux de sujets en télécommandes à objets connectés. Une fois équipés, ceux-ci pouvaient allumer la télévision, choisir un film, changer le volume, allumer et éteindre la lumière et utiliser le téléphone par simple pensée. Avec des taux de réussite de 80 à 100%.