Avec La Meute, le mystérieux mouvement d’extrême droite québécois

Photo de couverture via le Facebook de la Meute

Aujourd’hui, au commencement de l’année 2017, la Meute compterait plus de 40 000 membres – des disciples officiellement solidaires de la position anti-islam du groupe et de ses leaders. Du moins, c’est ce que prétendent certains de ses membres. On peut en effet en douter. En dépit de son envergure supposée et de sa notoriété publique, le groupe se fait plutôt discret. Sa page Facebook est fermée au public, certaines sections de son site web ne sont accessibles qu’aux membres et ses chefs sont souvent frileux avec les médias.

Dans un entretien avec le journal canadien Le Soleil, le leader de la Meute, Éric Corvus, affirmait vouloir mettre en place « une véritable force politique » – ce qui s’oppose très clairement aux déclarations d’anciens membres du groupe que j’ai rencontrés et qui estiment que les activités de la Meute ne mènent à rien. Selon eux, la croissance de La Meute ne serait qu’une illusion que l’on devrait à quelques techniques de marketing bien senties – affirmations réfutées catégoriquement par un porte-parole de La Meute, qui m’a affirmé qu’elles émanaient de personnes qui, ayant été évincées du groupe, avaient aujourd’hui une dent contre lui.

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Quoi qu’il en soit, parmi les membres ou anciens membres qui ont accepté de me parler, tous sauf une ont exigé l’anonymat. Ce qui suit cherche à lever le voile sur un groupe encore peu connu en France, mais qui semble gagner en importance au fil des mois – ne manquant pas de provoquer quelques remous au sein des mouvements et médias les plus droitiers du pays, après que son responsable français a déclaré que les musulmans étaient les bienvenus au sein du groupe. 

Qui compose La Meute?

Fondée en octobre 2015 par les vétérans des Forces armées canadiennes Éric Venne – qui se fait donc appeler Éric Corvus – et Patrick Beaudry, la Meute a pour objectif principal de regrouper les gens contre l’islam radical – « idéologie totalitaire qui fait de la discrimination sexiste, vestimentaire, alimentaire, matrimoniale et sépulcrale », selon les dires de ses dirigeants. Le groupe affirme sur sa page Internet qu’il n’acceptera pas « les fatwas ainsi que le djihad sur [ses] terres ».

Si son contenu théorique est assez clair, son modus operandi l’est beaucoup moins. La Meute semble surtout exister sur Internet, par l’intermédiaire d’un réseau de groupes Facebook réunissant différents sous-groupes – consacrés à des enjeux divers, comme la sécurité et la politique. Du moins, c’est le cas pour le moment, même si certains rassemblements ont été organisés au cours de l’année 2016, permettant à quelques-uns de ses dizaines de milliers de membres théoriques de se réunir dans la vraie vie.

Parmi les nombreux groupes anti-islam ayant pris forme au Québec l’an dernier, La Meute serait le plus populaire – grâce à une image de marque et des stratégies efficaces. Son existence a fait, selon l’expression consacrée, « couler beaucoup d’encre ». Mais contrairement à PEGIDA Québec ou aux Soldats d’Odin, qui ont manifesté dans la rue, La Meute n’a pas encore eu son moment de gloire en public.  

« Ils ne voulaient vraiment pas qu’on sache ce qui se passe. Ils fonctionnent exactement comme une secte. » – Suzanne Tessier

Selon d’anciens membres, la structure organisationnelle de la Meute est hiérarchique à l’extrême. On y trouve un conseil dirigeant, formé par l’élite, des portiers, qui décident des admission, une garde, chargée de faire respecter la discipline, ainsi que de nombreuses cellules spécifiques, aux noms plus ou moins sibyllins : « logistique », « geek », « contre-espionnage » ou encore « services secrets ». Suzanne Tessier, ancienne membre de la Meute, m’a raconté qu’au moment de quitter le groupe en juin dernier, les six personnes en charge du mouvement étaient tous d’anciens militaires – ce qui influe directement sur l’organisation. « Ils n’acceptent aucune controverse », m’a-t-elle dit. Selon cette retraitée de 72 ans, on réprimande voire expulse ceux qui sortent du rang et posent trop de questions. « Ils ne voulaient vraiment pas qu’on sache ce qui se passe, affirme-t-elle. Ils fonctionne exactement comme une secte. »

Elle affirme également que la culture du groupe est très macho, touchant à la misogynie. Un autre ancien membre ajoute que les femmes sont souvent exclues des prises de décision et des postes à responsabilités. Face à ces affirmations, je n’ai pu entrer en contact qu’avec le porte-parole de la Meute, qui utilise le pseudonyme de « Sylvain Maikan ». Ce dernier ne souhaite pas révéler son identité car sa famille ne partage pas ses opinions sur l’islam, m’a-t-il précisé. Aucun des chefs du groupe n’a voulu me répondre. 

D’après Sylvain Maikan, le style militaire de l’organisation a une conséquence bien précise : les femmes sont traitées exactement comme les hommes. Certaines y voient de l’insensibilité ou de la misogynie, alors qu’il s’agit avant tout d’une égalité parfaite, selon lui. Aujourd’hui, 12 des 35 chefs du groupe sont des femmes, toujours selon le porte-parole. 

Quant à la personnalité d’Éric Corvus, l’un des deux fondateurs de la Meute et figure centrale du mouvement, le site web du groupe nous en dit plus – et lève le voile sur ses convictions et sa volonté de se défendre face à une menace qu’il juge immédiate. « Nous sommes la dernière génération avant que l’islam radical pro-charia prenne le dessus et crée le grand bouleversement. […] Nous devons trouver le moyen de nous unir et empêcher cette dérive sociétaire. Nous ne nous laisserons pas manger la laine sur le dos car nous ne sommes pas des moutons… nous sommes “LA MEUTE”. » Voilà en substance ce qui peut traverser l’esprit de cet ancien militaire reconverti en gourou politique. 

Éric Corvus ne manque pas d’encourager les membres à en recruter de nouveaux – le site de la Meute propose d’ailleurs un tract à imprimer. Pour en rajouter une couche sur l’allégeance des membres, les dirigeants de la Meute les invitent à se faire tatouer le logo du groupe – un rabais de 10 % est offert chez des tatoueurs partenaires, au passage.

Le nombre de membres réels pourrait être faible, autour de 4 000

Les anciens de La Meute estiment que le nombre de membres est surestimé. Il y aurait, par exemple, de nombreux comptes doubles – notamment sur l’ancienne page Facebook réunissant plus de 40 000 personnes. « Je pense qu’il n’y a que 4 000 ou 5 000 membres réels, estime une ex-membre. Il y a des gens inscrits mais qui ne font rien, des faux comptes, etc. »

Bien que ces allégations soient difficiles à confirmer, plusieurs données aident à mesurer l’importance du groupe. D’abord, la faible participation des membres aux événements créés par le groupe sur Facebook : de 125 à 150 personnes, tout au plus. Parallèlement, sur le site de La Meute, le nombre de visites s’affiche en bas de la page. Celui-ci serait d’un peu plus de 15 000 au moment de la publication de cet article – ce qui est assez faible, il faut en convenir.

Malgré ces chiffres, Sylvain Maikan maintient que la Meute rassemble 43 000 personnes  et qu’un système d’adhésion plus précis serait impossible à mettre en place, tant les ressources manquent. 

Photo via Facebook

Justement, venons-en à l’argent 

Au cours de notre entretien, Suzanne Tessier m’a affirmé à de nombreux reprises s’être opposée à la direction de la Meute au sujet du manque de transparence dans sa gestion financière – une inquiétude partagée par les ex-membres que j’ai rencontrés. 

Le registre des entreprises du Québec révèle que La Meute a été inscrite comme organisation sans but lucratif en avril 2016 par Éric Venne, Patrick Beaudry et Stéphane Roch – les administrateurs. Le groupe collecte donc des fonds mais les dirigeants ne révèlent jamais comment ces fonds sont obtenus et dépensés. Sur le site, une bannière invite les visiteurs à faire un don. « Beaucoup de personnes ont donné régulièrement, de 30 à 100 dollars par mois, parfois », me dit un ancien membre. Celui-ci estime que des milliers de dollars auraient été amassés. Le groupe a également organisé plusieurs dîners pour lever des fonds, à 25 dollars le couvert. De son côté, la Meute a confirmé avoir reçu près de 9 000 dollars de la part d’un type désirant rester anonyme.

De plus, La Meute vend des produits dérivés, créés par une entreprise nommée PTRK Design. Il s’agit d’un catalogue de 24 articles faisant figurer une empreinte de loup. Selon le registre des entreprises du Québec, PTRK Design appartient à Patrick Beaudry, l’un des cofondateurs de La Meute. Le conflit d’intérêt n’est donc pas loin, comme s’en inquiète Suzanne Tessier. « Ils prennent l’argent des membres, mais personne ne sait ce qu’ils en font », résume-t-elle.

Photo via le site officiel de la Meute

Des questions sur les finances du groupe auraient provoqué l’ire des chefs de La Meute. Sur son site, la colonne « Où va l’Argent ? » donne de vagues informations sur le sujet non sans manquer de tomber dans la remarque acerbe, comme en atteste le texte suivant : « Bon, j’ignore le degré d’implication de la personne qui pose la question tout comme j’ignore son revenu annuel et ses obligations tant monétaires que sociales. Mais, il m’apparaît évident que la personne qui pose ladite question n’a jamais vraiment mis de temps, d’énergie et sur tout pas d’argent de sa propre poche dans une quelconque cause », écrit le conseil de la Meute en réaction aux questions de certains de ses membres. 

Selon Sylvain Maikan, La Meute ne dissimule rien au sujet de ses finances. L’argent sert à acheter de l’équipement – à l’image d’une remorque et de matériel technique pour La Meute TV, un média que veut lancer le groupe. Alors qu’il refuse de communiquer avec nous en dehors de Facebook, Sylvain Maikan cite les « rencontres avec les médias » parmi les autres postes de dépenses.

Photo via Facebook

Sylvain Maikan ajoute que le groupe n’a organisé que deux dîners depuis sa création – contrairement aux quatre ou cinq dont m’ont parlé les ex-membres – et que cette idée a été abandonnée parce qu’elle n’était pas assez rentable. En ce qui concerne les relations d’affaires entre La Meute et PTRK Design, le porte-parole affirme que ce n’est que temporaire, le temps que le groupe puisse trouver une autre solution pour vendre ses produits dérivés – qui sont très populaires, ajoute-t-il. « Si des membres ont des doutes sur l’honnêteté des dirigeants et l’utilisation des fonds, nous les encourageons à ne pas faire de dons. Qu’ils gardent leur argent, c’est aussi simple que cela. »

Que fait la Meute de ses journées ?

Ceux qui ont quitté La Meute reprochent souvent au groupe de ne pas être assez actif et aux chefs de manquer de leadership. Les gens que j’ai contactés m’ont affirmé avoir rejoint d’autres groupes foncièrement hostiles envers les musulmans, qu’ils estiment plus portés à agir. La Meute ne fait rien « à part organiser des repas et vendre de la camelote », regrette Suzanne Tessier. Elle ajoute que les objectifs du groupe étaient mal pensés. « Un gars voulait qu’on aille dans les supermarchés pour mettre des étiquettes sur des produits halal. Il voulait faire des choses illégales et personne ne disait rien. »

Au cours des derniers mois, La Meute aurait distribué des tracts anti-musulmans à Sherbrooke. Plus grave, une membre du groupe a poursuivi et insulté une femme portant un niqab à Granby. Sylvain Maikan reconnaît que l’incident de Granby est l’œuvre d’une femme appartenant à la direction du groupe. La Meute ne tolère pas ces comportements, insiste-t-il, et la membre en question a été temporairement suspendue – avant d’être récemment réintégrée.

Sylvain Maikan affirme également que le groupe cherche à créer des cellules dans les 17 régions administratives que compte le Québec. Ces clans, comme il les appelle, seront responsables de l’organisation des rencontres avec les élus « afin de les sensibiliser aux dangers de l’islam radical ». Suzanne Tessier, elle, se dit soulagée d’avoir quitté La Meute. Elle encourage les membres actuels à ne pas être naïfs. « J’ai toujours un doute quand les dirigeants affirment ne pas vouloir créer une milice », précise-t-elle.

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