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Sports

Comment moi et mon frangin nous sommes devenus supporter de l'Aviron Bayonnais

Une histoire de famille, de traditions, et de derbys gagnés.
Crédit : Flickr

Tout commence dans un vieux vélodrome. C'est le premier souvenir brumeux d'un dimanche après-midi au stade Saint-Léon (rebaptisé stade Jean-Dauger en 1999, ndlr). Nous sommes un peu plus de 500 dans les tribunes pour un match face à Marmande. Eh oui, je suis devenu supporter de l'Aviron à la grande époque de l'élite 2 Amateur. À la fin de mon match dominical, vers 15 heures, les cheveux encore humides de la douche, sandwich au jambon à la main, je rejoins mon père dans les gradins. Même pas le temps de débriefer notre danse contre Hasparren que Titou Lamaison vient de transformer un essai, puis remet la manche de son maillot trop grand, floqué Air France. Comment voulez-vous qu'à cette époque-là on ne devienne pas supporter de Bayonne quand même le soigneur du grand Toulouse, Christophe Foucault, est en bleu ciel et blanc tous les samedis sur Canal +.

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Fernand Forgues, et ses frères, ont transmis leur amour de l'Aviron à toute la famille.

Mais, pour nous, tout est une question d'ADN. Mon petit frère et moi sommes, comme la plupart des supporters bayonnais, victimes d'un prédéterminisme non consenti. En effet, notre arrière-grand-père Marcel Forgues, ainsi que ses trois frères, Charles, Jules et Fernand, furent quatre joueurs historiques de l'omnisports (l'Aviron bayonnais est un club omnisports, ndlr), enchaînant pour certains, aviron, pelote et rugby. Trois ont participé au premier titre du club en 1913, pratiquant le jeu « à la Bayonnaise », ce qui permit à Fernand de partir avec le XV de France, avant d'aller avec ses frères défendre son terrain sur d'autres champs de bataille en 1914. Deux laissèrent leurs vies au front et les frères Forgues entreront plus tard dans la légende du club bayonnais.

Crédit : Flickr.

S'enchaînera pour moi un parcours classique à l'école de rugby de l'Aviron Bayonnais, de mini poussin à junior. Très vite, la petite tribune est retapée et va pouvoir accueillir les ultras et néo-supporters qui migrent là-bas pour laisser place aux loges et aux invités de la tribune d'honneur. L'engouement est tel pendant le match que la structure tremble. Interdiction de sauter jusqu'à nouvel ordre, au risque de transformer l'édifice en un nouveau Furiani. La Peña Baiona fait retentir ses chants comme dans un stade anglais, chatouillant les oreilles de nos voisins. À 4km de là, les « culs rouges » d'Aguiléra ont déjà compris qu'ils n'auront jamais le titre de meilleur public de France.

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Février 2000, mon frère fait le ramasseur de balle au bord du terrain. Il observe déjà les tribunes, et quelques années plus tard il fondera le Kop AB, premier club de jeunes supporters de France, à 14 ans. Mais là, l'équipe galère dans son championnat, l'éternel milieu de tableau, un ventre mou permanent qui ne dégoûte pas les aficionados bayonnais. Dès les premiers regroupements, après un balayage de Bixente Fagoaga, le nouveau numéro 9, Wataru Murata, s'empare du ballon en mitaines et ouvre. Ex-joueur de l'équipe Toshiba, il est le premier et seul joueur japonais à évoluer professionnellement hors de son pays, et a choisi le Pays Basque pour son exil occidental.

L'Aviron a toujours eu une attention particulière à choisir ses mercenaires. Par exemple, pendant la saison 2005/2006, avec l'arrivée de Pila Fifita aka le « boxeur des bas-fonds de Wellington ». Quatre matches pour deux cartons rouges. Le nez de Brad Flemming et les côtes de David Skrela s'en souviennent encore. Mais il n'y a plus rien d'étonnant à Saint-Léon, dix années auparavant, les All Blacks de Jonah Lomu, avaient foulé la pelouse contre la sélection Côte basque, devant 18 000 spectateurs.

Avant l'ère professionnelle, dans la plupart des collèges, nos profs d'EPS nous entraînaient sur le terrain le mardi et le jeudi soir à l'école de rugby, et certains enfilent le maillot le dimanche. C'est d'ailleurs comme ça qu'un été, grâce au ticket sport offert par la mairie, je tâte le cuir pour la première fois sous la direction de Stéphane Aussel, 3/4 centre de l'Aviron.

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À cette époque encore, les « pilards » de l'équipe bossent aux espaces verts de la ville, et sont des seigneurs quand ils se baladent dans les petites rues du centre. On leur serre la main, on débriefe le match de la veille. Comme Jean Marie Usandisaga, le pilier basque aussi dur à l'impact que la pierre de la Rhune, qui bosse toujours à la ville, même après la fin de sa carrière.

Durant ces années, les balbutiements du professionnalisme n'ont pas encore défiguré le rugby, et fait arriver les fils ou filles de chefs d'entreprise et sponsors du club, venus en grande tribune pour se montrer de septembre à juin, avant de migrer rapidement aux corridas l'été. C'est un rugby qui se dilue dans la population toute la semaine dans les cafés des halles et au bureau. On discute tous les soirs sur Messenger du match du week-end et on se chauffe sur les forums.

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S'organisent alors les grandes années des déplacements de la Peña Baiona, en bus, en train, en bagnole. Drapeaux, maquillage, fanions, et glacières. Passoã et Manzana pour tout le monde, histoire d'arriver en forme au stade. En 2004, après dix ans de seconde division, l'Aviron se déplace à Périgueux pour jouer la victoire afin de finir premier et ainsi remonter d'office en Top 16. Coup de sifflet final, les supporters envahissent le terrain, ce qui permet à Francis Gastambide, président de la Peña Baiona de se faire le genou en passant les barrières, et à la foule de déployer en chantant la banderole « Blanco serre les fesses, on arrive à toute vitesse ».

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Mais pour nous tous, les plus belles victoires sont face à notre meilleur ennemi, le Biarritz Olympique. Le derby à Aguilera en 2004 est sûrement le plus grand. David contre Goliath. C'est l'époque du grand BO, champion de France, avec des internationaux et le patron de la thalasso en président de la ligue. Tout le monde annonçait une branlée, mais finalement les Bleus accrochent un une belle victoire (27-22), grâce notamment a un contrôle du pied foiré de Phillippe Bernat-Salles, qui permet à Bayonne de marquer. Le tout suivi d'une transformation du prince de Souraide, Daniel Larrechea, à 55 mètres. Poteau du milieu. Le journal Sud Ouest titrera le lendemain "Bayonne roi d'Aguilera" et ce match a permis à certains supporters de changer leur code pin en conséquence.

Pottoka, la mascotte de l'Aviron Bayonnais | Photo AB rugby.

Et puis Afflelou a filé à l'anglaise. Après dix ans en Top 14, à jouer une année sur deux le maintien, l'Aviron est retourné en Pro D2 de façon amère, frustré d'avoir fait le maximum pour se maintenir, et descendre quand même, puis trahi par des bureaucrates qui ont tenté une fusion dans le dos des supporters. L'équipe emmenée par Jean Monribot est aujourd'hui en haut du classement, avec une formation jeune, épaulée sur le terrain par des Jean Jo Marmouyet ou Aretz Iguiniz, et encadrée par notre sorcier bayonnais, Vincent Etcheto.

Aujourd'hui, une semaine sur deux, en moyenne 12 000 supporters prennent place à Jean-Dauger. Grâce à la Pro D2, l'équipe a retrouvé un second souffle et une insouciance bénéfique pour son jeu. Malgré tout, on retrouve les mêmes supporters de 50 kilos qui gueulent sur les joueurs, et insultent les arbitres. Le Vino Griego qui résonne jusqu'à la cathédrale, Pottoka qui balance ses roulades, et les bières qui coulent à flot dans les verres consignés, sous les gradins au fronton côté Lauga. Même si maintenant il y a quatre tribunes, rien ne changera jamais à Bayonne. Blanc et rouge pendant 5 jours, le reste de l'année, nous sommes tous ciel et blanc… Marqués à vie.

Remerciement à mon frangin Oscar, pour les précisions historiques et anecdotiques.