Humiliations, cocaïne et burn-out : pourquoi j’ai cessé d’être journaliste

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Humiliations, cocaïne et burn-out : pourquoi j’ai cessé d’être journaliste

Comment mon « job de rêve » de journaliste pour pétasses s'est transformé en une longue descente aux enfers.

J'avais tout. Le boulot que tout le monde veut, les amis qui vous veulent du bien, une certaine forme de gloire, la renommée, les palaces, les grands chefs, les pizzas de chez Domino's et les bières entre potes le vendredi soir. Dans les faits, des trucs tels que la joie de vivre, une situation stable, un salaire correct, je ne les avais pas. Mais je m'en foutais. Ma boss était folle ? Je m'en foutais aussi. Ce n'est qu'aujourd'hui que je mesure pleinement les conséquences de cette époque. Ce n'est qu'aujourd'hui que je réalise à quel point je n'avais rien.

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Tout le monde le sait : vouloir être journaliste, c'est se tirer une balle dans le pied. D'ailleurs, au plus loin que je m'en souvienne, on m'a toujours dit de ne pas faire ce métier sous prétexte que les places sont chères. Il existe 14 formations pour devenir journaliste reconnues par la profession. Ça coûte une blinde, mais ça vaut le coup. D'autres formations, comme Sciences Po, sont tout à fait crédibles également. Si tu es jeune et plein d'espoir, passe obligatoirement par cette case si tu ne veux pas devenir la galérienne que je suis.

J'ai commencé à bosser dans le journalisme de tourisme au cours de ma dernière année de Master à la Sorbonne. Je suis rentrée en stage. Un stage que j'ai trouvé en deux clics, pas plus. C'était à cinq minutes de chez moi, on me vendait du voyage de rêve et un boulot auprès de journalistes pro. À ce moment de ma vie, j'avais envoyé en tout et pour tout, deux CV.

Je me suis retrouvée à bosser tous les jours pendant quatre ans chez l'habitant, au domicile personnel de l'éditeur. Mon tuteur de stage avait décidé de ne pas foutre un pied à la rédac. Le premier jour, il m'a demandé par mail de faire le sommaire du magazine en me basant sur le chemin de fer. Je n'avais pas la moindre idée de ce que c'était. Il m'a aussi demandé d'appeler en Ukraine pour demander, je cite, « des visuels HD » de je ne sais plus quel musée. J'ai dû apprendre et être autonome très vite. Cette expérience fut formatrice.

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Au fil du temps, j'ai appris que tous les rédacteurs en chef du magazine avaient fui la société et attaqué leur éditeur aux Prud'hommes. J'avais entendu plusieurs histoires de harcèlements, et autant de démissions pour cause de burn-out. J'étais naïve, j'avais peur de me retrouver au chômage sans aucune expérience professionnelle. En gros, je me suis faite à la situation.

À cette époque-là, j'aimais écrire. Je m'entendais bien avec le graphiste, qui bossait en free-lance mais que j'avais toujours au téléphone. Le rédac chef était aussi plutôt cool au téléphone, même si étrangement, j'avais beaucoup moins de contacts avec lui. Nos échanges se limitaient à la relecture de mes papiers, sans jamais trop de modifs – voire aucune.

Bien évidemment, en travaillant dans l'appartement personnel de l'éditeur, qui est une femme, j'en suis venue à connaître toute sa famille. Je voyais régulièrement ses enfants, son mari, ses parents et ses frères et sœurs. Ils formaient leur clan issu de la petite bourgeoisie FN décomplexée, en pantalon blanc.

Photo via Flickr.

J'ai dû apprendre les codes du métier assez vite. La majorité des journalistes dans le milieu sont de grandes bourgeoises. Moyenne d'âge : 55 ans. Elles font ça pour les voyages gratuits et surtout, pour oublier que leurs riches maris se tapent la secrétaire de 20 piges. L'important dans le tourisme, c'est l'apparence. Il faut donc être élégant, connaître les règles, s'entendre avec tout le monde même si tout le monde se déteste.

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Un jour, je suis partie en voyage de presse où je me suis retrouvé avec un journaliste en totale roue libre. Je rappelle que le principe du voyage de presse est simple : il s'agit d'inviter un journaliste à visiter hôtel/destination/musée, pour que ledit journaliste en parle dans son magazine. Voyage comme hôtel sont toujours pris en charge. On appelle ça un « reportage ». C'était donc l'un de ceux que j'affectionnais : pas très loin, dans une « campagne chic » comme on dit dans le métier. Le but était de faire découvrir à plusieurs journalistes une demeure d'hôtes, au cœur d'un petit vignoble. Et là, le type en question est donc arrivé : petit, ventripotent, chauve, il embaumait le vin de table et l'amertume. Sans crier gare, après environ deux minutes de conversation, il nous sort un : « Toutes ces petites salopes d'attachées de presse, je peux plus les encadrer. Elles t'humilient et ça les fait jouir ! » Ça partait bien.

Dans ce milieu, il y a deux types de journalistes : ceux à qui on cire les pompes, et les autres, ceux qui doivent supplier pour le moindre petit goodie. Dans la première catégorie, on trouve les grands quotidiens ou les hebdos que les gens lisent encore. Dans l'autre, les petits magazines, les magazines de niche, ou pire, un petit site Web monté par un journaliste à la retraite pour justifier sa présence aux voyages de presse. Il est facile de savoir dans quelle catégorie ce journaliste était classé. Quoi qu'il en soit, ça a été un festival d'insultes et de mépris de sa part pendant trois jours. Même devant la propriétaire, qui ne savait plus où se mettre. Le petit chauve avait décidé de profiter du vignoble et s'y donnait à cœur joie.

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C'était plein de petites choses. Des week-ends travaillés impossibles à rattraper, parfois un appel de ma boss le soir pour me demander « comment regarder une série en streaming ».

Je travaillais pour un magazine de niche, certes. Néanmoins, j'avais la chance d'être jeune, blonde et cynique, des qualités très appréciées du milieu. Il faut dire que par qualités, on parle rarement de compétences, ou de travail acharné.

À Shanghai, au cours d'un autre voyage de presse, je devais passer deux jours tous frais payés par une compagnie aérienne afin d'assister à une conférence de presse. Le billet était réservé en business class, l'hôtel réservé un 5 étoiles. Un soir, tout le monde finit raide mort dans un bar pour expatriés. Là, je tombe sur une journaliste, 50 piges, ivre comme jamais, qui me raconte en larmes que son mari la trompe depuis des années mais que, je cite, elle « s'en cogne, ce qui compte c'est la fidélité intellectuelle ». Plus loin, je croise plusieurs journalistes de TF1 et le P.-D.G. de la compagnie aérienne, tous complètement cocaïnés, ainsi que le mec de mon rédac chef – un petit monde, vous dis-je. Lui est sobre parce que, de fait, il travaille pour la compagnie et surtout, son boss est à côté. Je me planque, essayant de cacher mon état.

Déprimée, et ronde comme une boule, je finis la nuit avec un type qui écrit une pige par an. Ce dernier est envoyé par un « magazine pro en ligne », pour ce qui est semble-t-il, la pige de sa vie. Le lendemain, dans une gueule de bois infinie, je ne me déplace pas à la visite presse prévue et fais monter à la place mon petit-déjeuner avec du Doliprane. Il est 15 heures, je suis dans ma chambre, en attendant le transfert à l'aéroport.

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À l'aéroport, le mec avec qui je viens de passer la nuit commence à vider les frigos du salon. Je n'ai même pas honte.

Photo de Sjoerd Lammers, via Flickr.

Ma vie était en apparence plutôt marrante. Pleine d'aventures, de jugements, de regards moqueurs et de péripéties. En sous-main, c'était une autre affaire. Tous les problèmes se sont mis en place et solidifiés petit à petit.

Pendant mon stage, j'ai dû par exemple garder les enfants de ma boss après un reportage où je m'étais tapé 13 heures d'avion, parce que celle-ci avait un « rendez-vous super important », et où j'apprendrais plus tard qu'il s'agissait en réalité d'un déjeuner avec une amie. Parfois, je devais ranger ses courses dans le congélateur parce qu'une nouvelle fois, ma boss avait un « rendez-vous téléphonique important ». Puis d'autres petites choses. Des week-ends travaillés impossibles à rattraper, « mais c'est le métier », parfois un appel le soir pour me demander « comment regarder une série en streaming ».

Puis est venu le moment de l'embauche. Le si convoité CDI dont tout le monde me parlait était finalement réévalué à un simple SMIC. Évidemment. Bref, au cours des 15 jours qui séparait mon stage de mon embauche, le temps de rédiger mon mémoire donc, ma boss m'appelle. Elle sait pertinemment que je suis à la bourre, mais ça n'a pas l'air de la préoccuper. Je dois donc DE TOUTE URGENCE rédiger une newsletter pour un annonceur. Pas pour la boîte ; pour un annonceur. Comme je ne suis plus sous contrat, je refuse poliment. Là, elle menace de ne pas m'embaucher, ce pourquoi j'obtempère finalement. Mon mémoire fut bâclé de la pire des façons.

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Peu après, comme elle décide de partir en congés la totalité des vacances scolaires, prétextant là encore, un excellent argument – « un reportage » –, c'est à moi d'écrire un papier à sa place pour faire la promotion de la destination qu'elle a choisie, et où elle est sobrement en train de se dorer la pilule tous frais payés par sa société. À mon retour, c'est également à moi de justifier sa note de frais s'élevant à 5 000 euros auprès de l'expert-comptable.

De mon côté, je n'ai pas le droit de partir en week-end. Encore moins en vacances. Il y a une clause dans mon contrat qui stipule, je cite, que « je comprends que ma mission de reporter nécessite des déplacements, quelles que soient la période, la durée ou la fréquence ». Je dois être à disposition. C'était l'une des conditions négociées pour mon avenant, qui transforme mon statut d'employée commerciale en un statut de reporter signé après deux ans de boîte.

Là, je suis passé à un autre niveau dans la subordination à ma boss. Entre autres, je dois désormais installer sa box perso dans son appart, rester des heures au téléphone pour régler des problèmes de factures avec son opérateur téléphonique et son abonnement télé, ou encore, réceptionner tous les jours ses colis de fringues, ou les rapporter à la Poste pour les renvoyer. C'est aussi moi qui ai dû tenir la boîte seule, plusieurs années de suite, tout le mois de juillet et tout le mois d'août. Tout ça s'est terminé un après-midi de novembre, un mercredi.

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J'étais cliniquement déprimée. Épuisée nerveusement, physiquement, j'enchaînais les reportages, les mycoses vaginales, les antidépresseurs. J'avais perdu le goût d'écrire à coups de publi-rédactionnels bien dégueulasses. J'étais devenue la secrétaire et l'assistante personnelle. J'écrivais la moitié du magazine. J'avais trop de boulot, je me sentais vide et multipliais les erreurs. Je demandais de l'aide, un stagiaire, plus de pigistes. Ma boss n'entendait rien.

Ce jour-là, elle entre donc dans le bureau avec le cahier de devoirs de son fils. Me demande si je sais dessiner, parce que son « fils n'y arrive pas ». Je termine un papier, et elle me relance. Je craque. Non, je ne ferai pas les devoirs de son fils. Elle me répond sur son ton de chiotte préféré que je n'ai « pas à faire ce genre de réflexion », se montre menaçante. Elle finit par hurler. Le vendredi soir, je partais pour deux mois et demi d'arrêt maladie. Cause : burn-out.

Parce qu'il n'y a plus de boulot dans le journalisme, j'ai dû m'accrocher à un job qui me rendait malade, pour quelque 1 400 euros par mois. Mon CDI m'a poussé à tout accepter. Y compris de répondre aux questions salaces du mari de ma boss. OK j'avais un CDI. OK je partais au Maldives. Mais je ne souhaite cette vie à personne.

Poussée à la faute grave, je n'ai plus jamais mis les pieds à la rédaction. Si ce n'est pour assister, accompagnée d'une syndicaliste enragée, à mon entretien préalable de licenciement.

À l'heure où certains s'inquiètent des répercussions financières pour l'entreprise engendrées par la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle, moi, je ne sais pas ce que je vais faire de ma vie. 90 % de mes contacts pro ne répondent pas à mes mails. Les 10 % restant crèvent de faim, mais essaient quand même de m'aider, ou en tout cas me soutiennent. Je n'ai pas encore 30 ans mais je suis épuisée. Pour la fin de l'histoire, on reste en contact. Wink wink.

Pour plus d'informations sur le burn-out, ses conséquences, et comment le traiter, allez voir le site de l'association France Burn-out.