Santé

Parasitée : six mois de ma vie avec le ver solitaire

Je ne suis pas une chochotte. Je suis de ceux et celles qui pensent qu’il faut se risquer, dans à peu près tous les domaines. En voyage, je suis le genre de meuf qui goûte les insectes frits et bouffe des plats douteux dans les pires bouis-bouis. Et si je me régale, je peux faire tomber ma nourriture par terre, la ramasser et la remettre aussitôt dans ma bouche. Le délire aseptisé, lavage de main et gel hydroalcoolique, ce n’est pas pour moi.

C’est à ce trait de caractère que je dois d’avoir fait l’expérience du ver solitaire, aussi appelé ténia. Le ver solitaire, c’est le truc dont tout le monde a déjà entendu parler et qui n’est jamais arrivé à personne. Sauf à moi. Je me suis en effet retrouvée à vivre avec un animal dans mes intestins, et celui-ci se nourrissait d’une partie des aliments que j’ingérais. La légende voudrait que le truc soit, d’un point de vue esthétique, totalement gore. J’ai appris que cette légende était vraie.

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Selon le site Passeport Santé, le ver solitaire est un animal de la classe des Cestodes, qui se développe dans l’intestin grêle humain dans lequel il peut vivre jusqu’à 40 ans. Ce qui veut dire qu’il y est très bien installé. De forme plate et segmentée, présentant l’aspect d’un ruban, le ver solitaire est hermaphrodite et peut mesurer jusqu’à 10 mètres de long lorsque celui/celle-ci atteint l’âge adulte. Dans la grande majorité des cas, le ténia est transmis par l’ingestion de viande de porc de mauvaise qualité – ce que l’on appelle le ténia armé. Le problème, outre le fait que vous ayez un parasite de 10 mètres coincé dans le bide, c’est que le ver peut aussi pondre en vous, et qu’il est tout à fait probable que vous évacuiez ses œufs par l’anus. C’est évidemment ce qui m’est arrivé.

Ça s’est passé à l’époque où je me suis installée à Bangkok, en Thaïlande. J’y ai vécu pendant deux ans, pour le boulot, et avec le recul, je suis en mesure de dire que j’ai passé les deux plus belles années de ma vie – culinairement parlant également. Ma bourse d’expatriée me donnait accès à de bons restos pour le prix d’un menu Big Mac en France. Aussi, pour l’équivalent d’un euro, je pouvais m’offrir de super encas dans la rue, puisqu’il est fréquent de tomber sur de petits stands qui vendent au tout-venant des brochettes de poulet au curry, des salades de porc à la menthe, de la salade de papaye, de la soupe à la citronnelle ou au lait de coco, bref, des spécialités à se taper le cul par terre. Dans ma vie, bouffer a toujours été un plaisir. C’est pourquoi en Thaïlande, les repas sont vite devenus les temps forts de mes journées, les possibilités étant infinies.

Puis un jour, suite à un passage aux toilettes, je découvre dans ma culotte une bizarrerie : un petit segment blanchâtre tirant sur le jaune, comme une nouille plate aux œufs – la nouille asiatique typique. J’attrape le truc et le regarde de plus près. C’est curieux. Je suis une femme, je me dis : « ça doit être de la mouille ». Mais en poursuivant mon investigation, je constate que c’est quand même bien ferme et bien jaune, c’est-à-dire que ça ne ressemble pas à de la cramouille du tout. Est-ce une nouille ? Mais c’est tout de même, bizarre, si c’est une nouille, qu’elle n’ait pas été digérée avec le reste. Mais bref, j’oublie.

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La tête d’un ténia armé. Image via Wiki Commons.

Je reprends vite mes activités professionnelles, sociales et culinaires sans plus y penser. Puis quelques jours plus tard, je me retrouve chez moi, aux toilettes. Avant de tirer la chasse, je ne résiste pas au plaisir coupable de me retourner sur la cuvette pour contempler mon ouvrage. Et là, horreur ; que vois-je ? Le truc est littéralement en délire. Au-dessus de l’excrétion gesticulent d’innombrables nouilles, les mêmes, plates et jaunes. Cette vision est infâme. Les nouilles nagent partout dans la cuvette. Je pousse un petit cri sourd. Je réalise qu’il y a plus de vers que, comment dire, de matière fécale à proprement parler. Je considère le spectacle avec dégoût. Et une pointe de fascination, aussi.

Le lendemain à la première heure, je prends rendez-vous dans une clinique locale. J’explique brièvement mon problème. J’explique très clairement que je n’ai aucun symptôme. Pas de mal de ventre, pas de fringale particulière. Manifestement, ils savent de quoi il s’agit. Ce sont sans doute de petits vers présents dans les selles, on me dit que c’est « courant » dans le pays. Fort bien. On m’informe que le traitement est « simple ». Il s’agit de prendre d’abord un comprimé, puis de renouveler l’opération trois semaines plus tard. Au bout de trois jours effectivement, je constate que mes selles sont redevenues stoïques. Je suis vraisemblablement tirée d’affaire.

– Je me suis demandé : ce petit jeu va durer combien de temps au juste ? Ce n’est plus drôle, bizarre ou fascinant, non, c’est clairement dégueulasse, je me sens parasitée, envahie.

Quelque six mois plus tard, je suis persuadée que le sinistre épisode est derrière moi. En réalité, pas du tout. Je retombe sur une nouille dans ma culotte. Cette fois, je sais ce que c’est. Et dès le lendemain, mon cas s’aggrave. Tandis que je suis au bureau, confortablement installée devant mon ordinateur, je sens comme une chatouille au niveau de mon anus. Je ne fais pas le lien immédiatement. Et je serre un peu les fesses – rien n’y fait. En réalité, ce que mon corps est en train de me dire, c’est qu’il est actuellement en train d’expulser un parasite. Ça commence à devenir badant.

Ce que je sens sortir, je l’apprendrais plus tard, ce sont des « anneaux ». Contrairement à ce que j’imaginais en ayant entendu le terme, les « anneaux » du ver solitaire, aussi nommés « proglottis », ne s’apparentent pas aux anneaux qu’on trouve sur le corps des vers de terre. Ils sont plus longs que larges et ressemblent à s’y méprendre à des nouilles chinoises plates, coupées en morceaux d’environ 18 mm de long sur 5 mm de large. C’est hideux. Lorsque le ver est arrivé à maturité, celui-ci libère alors quelques-uns de ses anneaux, lesquels sont remplis d’œufs, œufs qui iront alors parasiter d’autres bestioles qui auraient la mauvaise idée de se nourrir des selles contaminées.

Mais revenons à mon anneau : aussi sorti (et à présent, dans ma culotte), je me précipite aux toilettes pour le balancer aussi sec dans la cuvette. Puis je retourne à mon bureau. Puis 30 minutes après, rebelote. Je commence à serrer les dents ; ce petit jeu va durer combien de temps au juste ? Ce n’est plus drôle, bizarre ou fascinant, non, c’est clairement dégueulasse, je me sens parasitée, envahie. J’envisage désormais le fait d’héberger des aliens en moi. Vient alors l’heure du repas, et je me dirige avec une collègue vers l’une de nos petites cantines pas loin du bureau, où l’on mange des soupes de nouilles, justement.

À peine a-t-on quitté le bureau que je sens un truc glisser le long de ma jambe. Après une rapide inspection, je constate que c’est un nouveau ver – ou un anneau rejeté par le gros ver solitaire, ce que j’ignore toujours puisque je ne sais pas qu’un ver solitaire est en moi. Celui-ci se déplace à la façon d’un véritable ver de terre, en gonflant le dos. Grâce à sa forme plate et visqueuse, il demeure collé à ma jambe. Je le sens, il est là. Il est humide et chaud. J’ai honte. Je me dis que ça doit se voir. Pour l’heure, je l’envoie valser dans la rue d’une pichenette, l’air de rien.

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Le cycle infernal de la transmission du ténia armé, du porc jusqu’à l’homme. Image via Wiki Commons.

Mais arrivée au resto, le supplice se poursuit. Pendant les courtes 20 minutes durant lesquelles je suis assise, je compte trois mini-vers en train de se faire la malle. Je dodeline des fesses sur mon tabouret. La sensation est franchement perturbante.

Dans l’après-midi, je retourne à la clinique reprendre un traitement. À ce moment-là, je suis encore certaine qu’il s’agit de plusieurs vers et non pas du seul et unique ver solitaire, dispensant ses anneaux maléfiques par-delà mon intestin grêle. Donc on me file un traitement afin d’éliminer ces petits vers, le même que six mois plus tôt. Tout a l’air d’aller mieux pendant quelques jours. Jusqu’à ce que, au bureau toujours, je sois prise d’une grosse envie d’aller aux toilettes. J’ai un peu de temps, aussi je décide de prendre mes aises. Je m’installe confortablement dans les toilettes réservées aux handicapés, pour plus de confort.

C’est alors que je sens quelque chose d’anormal. C’est manifestement organique, et la composition semble élastique. Le truc tombe dans la cuvette. Je regarde, ahurie. Cette fois, plus de doute possible – c’est long. Putain. Je suis toujours assise sur la cuvette. Et essayez d’imaginer (ou plutôt non, n’essayez pas) ma stupéfaction devant cet organisme, long d’environ un mètre et demi, qui dépasse de mon cul et est en train de barboter dans l’eau des waters.

Sans réfléchir, je l’attrape à une main, le plus délicatement possible, afin de ne pas le broyer, ni le couper. Je fais le nécessaire pour contenir mes nerfs. Puis je m’aide de ma deuxième main afin de – littéralement – tirer dessus. Par miracle, je réussis à en faire sortir 50 cm de plus. Puis patatras. Il se coupe en deux et je le sens remonter dans mes intestins. Je sors de ce corps-à-corps transpirante, incrédule, abasourdie et quand même un peu contente de ma petite victoire. C’est mon côté scato, disons.

Devant la gravité des faits, je décide de passer à la vitesse supérieure. Je me rends dans la clinique la plus chère de la ville, afin de consulter un médecin compétent, et français. Je lui explique : « Je soupçonne d’être atteinte du ver solitaire. » Il est sceptique. « C’est rare, vous savez », me répond-il. Il veut s’en assurer. Il me tend, en plus d’un remède censé faire sortir tout élément de mon intestin, un petit pot en plastique destiné à l’analyse. Le docteur veut que, dans tous les cas, j’enferme les résidus dans le pot. À partir de là, il prendra une décision.

Et comme prévu, le soir même, le ver se manifeste à nouveau. Rendu KO par le vermifuge, ou alors, par esprit de bravache, le saura-t-on jamais, le parasite me refait le coup de dépasser. Il est visible. C’est authentiquement infernal. Rebelote donc : je tire dessus, comme je peux. Après quelques secondes de lutte, et les mains souillées, je place une partie du spécimen – un bon mètre, voire plus –, dans le petit pot destiné à cet effet.

« Ah oui, effectivement c’est bien un ver solitaire », me dit le médecin quand je lui ramène mon captif. Il n’est pas plus inquiet que ça. Il me prescrit un médicament.

Selon les divers sites médicaux en français consultables sur le Net, lorsqu’on est certain de la présence d’un ver solitaire dans l’organisme, on prescrit traditionnellement deux types de médicaments pour l’éradiquer. Les deux sont parfaitement opérationnels. D’un côté on a le niclosamide et de l’autre le praziquantel. C’est celui que j’ai ingéré, via une dose unique de 10 mg. En théorie, lorsque la molécule a fait effet, le ténia est tué, donc hors d’état de nuire, et l’on assiste à ce moment-là au drame à proprement parler : l’animal s’échappe avec les selles, via ce que le site Passeport Santé nomme poliment les « voies naturelles ».

Après avoir avalé le cachet, le médecin me fait un brief définitif sur le ténia armé, les complications éventuelles, rares, et m’assure que je l’ai ingéré de façon traditionnelle, en mangeant de la viande de porc mal cuite. Celle-ci contenait « des larves vivantes », me dit-il. Une dose unique suffira pour l’anéantir de l’intérieur. Cette fois-ci, définitivement.

À l’heure qu’il est, les derniers restes du ver solitaire ayant vécu six mois dans les abysses de mes entrailles continuent vraisemblablement leur route, quelque part dans le réseau d’égouts de Bangkok. Moi, je suis revenue en France, où aucun élément vivant n’a plus jamais été expulsé de mon corps.

*Léa Verstraeten est un pseudonyme. L’auteure, pour des raisons assez évidentes, a préféré ne pas révéler son identité.

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