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Interview

La rédemption tragique du narcotrafiquant devenu agent du FBI

Comment Barry Seal est devenu « l'homme à abattre » du cartel de Pablo Escobar.

Cet article est présenté par Barry Seal : American Traffic.

Cet article a été initialement publié en mai 2016.


Au début des années 1980, le trafiquant de drogue Adler Berriman « Barry » Seal a orchestré l'importation de plusieurs milliers de kilos de cocaïne aux États-Unis, depuis un aéroport perdu de l'Arkansas. Mais alors qu'il travaillait avec les frères Ochoa, membres du cartel de Medellin de Pablo Escobar, il se fait attraper en Floride en 1983. Afin de sauver sa peau, ce natif de Louisiane retourne sa veste et commence à travailler pour les agents fédéraux : le Philadelphia Inquirer le décrira plus tard comme étant le « plus important témoin dans l'histoire de la Drug Enforcement Administration (DEA) ».

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Quelque temps après, le Washington Times dévoile son rôle d'agent double contre le cartel, signant ainsi son arrêt de mort. Maintenant que la DEA n'a plus besoin de lui, le FBI lui tombe dessus en Louisiane, dans la ville de Baton Rouge. Seal écope de cinq ans de liberté conditionnelle, dont six mois dans une maison de transition.

C'est là que le 19 février 1986, Barry Seal se fait assassiner à bout portant par un Colombien muni d'un pistolet-mitrailleur MAC-10.

Le contrebandier a fait l'objet d'un film en 1991, La stratégie de l'infiltration, dans lequel Dennis Hopper joue son rôle, quelque peu romancé. Mais la vraie vie de Seal est relatée dans Smuggler's End: The Life and Death of Barry Seal, un livre écrit par un ancien agent de la marine et du FBI, Del Hahn.

Cet homme originaire de Cleveland a travaillé pour le FBI pendant 22 ans, sur des cas de violences raciales, d'officiers corrompus et de criminalité en col blanc. Hahn raconte qu'il a été confronté à la cocaïne pour la première fois en 1967. Mais avant que les services de lutte antidrogue ne commencent à pousser comme des champignons sous l'administration de Reagan, il n'avait jamais travaillé sur une affaire de stupéfiants. L'ancien agent, qui a joué un rôle majeur dans l'opération du FBI à Baton Rouge et qui travaille désormais comme détective privé, a souhaité rétablir la vérité face à la multitude de rumeurs quant à cette histoire. Voilà ce qu'il avait à dire.

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VICE : Racontez-nous comment vous avez rencontré Seal et comment il a été attrapé par les fédéraux.
Del Hahn : Il s'adonnait au trafic de cocaïne et de marijuana en 1983, quand la DEA a mené l'opération d'infiltration Screamer en Floride. L'agent de la DEA infiltré était Randy Beasley. L'un des potes trafiquants de Seal avait été chopé pendant cette opération. Il avait passé un accord avec la DEA et accepté de leur livrer Seal.

Peu après qu'il a été inculpé, Seal est entré en contact avec Beasley et Bruce Zimet, l'assistant du procureur chargé de l'affaire. Il leur a proposé de coopérer et de leur livrer les frères Ochoa du cartel de Medellin. En retour, il voulait qu'on ne le mette pas en prison, que ses coaccusés soient relâchés, et que son avocat ne soit pas au courant. Il était très arrogant. Beasley et Zimet ont refusé.

Il est alors rentré à Baton Rouge et a essayé de parler avec notre procureur, Stan Bardwell, mais ce dernier ne voulait pas s'en mêler. Il a pris l'avion pour Washington pour aller voir le service de lutte antidrogue du président et a proposé de devenir leur informateur. Ils l'ont envoyé à la DEA, à Miami, où les agents Joura et Jacobsen l'ont encadré. Le 28 mars 1984, il a signé un accord avec le procureur de Miami.

Au fil du livre, Seal apparaît comme un mec marrant. Que vouliez-vous faire de lui à l'époque ?
Nous savions qu'il faisait passer la drogue par avion, et nous savions où se trouvaient ses avions. Grâce à Randy Beasley et à l'opération Screamer, nous savions qu'il avait orchestré pas mal de ses actions via des cabines téléphoniques. Nous n'avons pas appris où et quand la cocaïne devait arriver, mais nous avions de bons informateurs et trois solides chefs d'accusation. William Earle Jr, le type à l'autre bout de ces coups de fil, a donné son accord pour témoigner contre Seal. Il était en garde à vue à la Nouvelle-Orléans à cause d'un chargement de marijuana, il voulait se tirer d'affaire. Les trois appels avaient pour objet le voyage de Earle en Piper Navajo jusqu'à Mena, dans l'Arkansas, pour installer un système de carburant illégal. Le Navajo était le tout nouvel avion de Seal.

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J'ai rencontré Seal à deux reprises. Il avait beaucoup d'humour, mais il était loin d'être aussi intelligent et futé qu'il le pensait. Par exemple, un de ses laquais fournissait des informations à la police de Louisiane et à la DEA. Seal s'est fait arrêter au Honduras et a passé presque un an en prison. Il appelait souvent depuis des machines téléphoniques pour organiser ses petites affaires, il pensait que c'était plus sûr. Mais en le surveillant, nous avons pu identifier ses cabines favorites et mettre dix d'entre elles sur écoute. Il pensait aussi que ses potes de la DEA à Miami l'aideraient – ils ne l'ont pas fait.

Seal était aux premières loges quand la cocaïne a commencé à rentrer dans le pays depuis la Colombie. Quelle a été votre approche le concernant, sachant que vous n'aviez jamais travaillé sur une affaire de drogue ?
J'en ai appris assez sur le trafic de stupéfiants pour savoir comment cela fonctionnait généralement. Je savais que Seal était aidé par pas mal de types, et nous savions qui ils étaient pour la plupart. Beaucoup des affaires de drogues se règlent grâce à des opérations d'infiltration, de bons informateurs, des mises sur écoute, ou une combinaison de tout cela. Aussi, la brigade des stups de Louisiane et la DEA avaient de bons informateurs qui faisaient affaire avec Seal.

Nous voulions le condamner pour « entreprise criminelle continue » et le faire enfermer à perpétuité. Une telle condamnation nécessite trois condamnations antérieures liées à la drogue. Dès le départ, nous en avions deux : (1) La condamnation suite à l'opération Screamer, qui avait donné lieu à un procès, et (2) son plaider-coupable lors de la seconde inculpation Screamer, lorsqu'il est devenu informateur. Nous savions qu'il blanchissait de l'argent à Mena (Arkansas) et nous avons découvert qu'il faisait la même chose à Baton Rouge.

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Dans quelle mesure la CIA et les autres autorités fédérales étaient-elles impliquées dans le commerce de la drogue ?
La seule autorité fédérale avec laquelle Seal a travaillé était la DEA. Il a affirmé sous serment ne jamais avoir travaillé avec la CIA. Après sa négociation de plaidoyer, il n'a jamais mentionné une quelconque collaboration avec la CIA ou une agence autre que la DEA. Nous n'avons jamais eu la moindre preuve concernant l'implication de la CIA dans le trafic de drogue. Et la CIA a nié tout lien avec Seal.

Dans mon livre, je ne parle pas de ces allégations au sujet de la CIA, je parle seulement du rapport Kerry – quatre pilotes qui transportaient des armes et des fournitures humanitaires pour la CIA étaient aussi impliqués dans le trafic de drogue. La CIA aurait dû enquêter sur eux, elle aurait beaucoup appris sur leurs relations dans le monde de la drogue et aurait évité nombre d'accusations et de théories conspirationnistes. Je crois que la CIA avait désespérément besoin de pilotes et a tout simplement fermé les yeux.

Que savez-vous sur les circonstances qui ont mené à ce meurtre ?
Seal a signé un accord de plaidoyer avec nous. Il avait déjà une peine de dix ans en Floride. Son contrat avec nous stipulait que sa peine pour possession de 200 kg de cocaïne avec intention de la revendre n'excéderait pas la peine de dix ans qu'il avait en Floride. Dans la seconde charge de notre inculpation, pour blanchiment d'argent, il était stipulé qu'il aurait une peine de probation. Lors d'une peine de probation, la loi permet au juge d'ordonner une assignation à résidence.

Le juge Polozola a donné son accord pour le contrat de plaidoyer, à contrecœur. Seal devait rester dans une maison de transition gérée par l'Armée du Salut de 18 heures à 6 heures. Seal savait que les Ochoa voulaient le voir mort. Ils ont envoyé des mecs de Baton Rouge, qui l'ont tué alors qu'il était assis dans sa voiture, sur le parking de la maison de l'Armée du Salut.

Étant donné son profil, pourquoi n'avait-il pas de protection policière ?
Seal se croyait plus futé que les Ochoa. Il sous-estimait leur volonté de le voir mort et surestimait sa capacité à se montrer plus malin qu'eux. Un accusé ne peut être contraint à prendre une protection des témoins – un juge ne peut l'ordonner. C'est strictement volontaire et c'est géré par le US Marshals Service. Des accords ont été mis en place pour transférer sa probation à New York ou en Floride. Il a refusé New York et le juge Palozola pensait que la Floride était une mauvaise idée.

Le pilote de Seal nous a appris par la suite qu'il prévoyait de violer sa probation et de s'envoler pour le Costa Rica – afin de continuer son trafic de coke – dès le lendemain.

@SethFerranti