Finale de la Summoner’s Cup de League of Legends, 31 octobre 2020. Louis Vuitton
Finale de la Summoner’s Cup de League of Legends, 31 octobre 2020.
Gaming

Comment le luxe s’empare de l’esport, maintenant que c'est branché

Montre gaming Gucci, malle à trophée Louis Vuitton et Pikachu géant qui déambule lors de la fashion week : comment les marques de luxe veulent en être.

C’est dans le stade Pudong de Shanghaï que s’est déroulée ce 31 octobre dernier la finale du championnat du monde de League of Legends, l’un des jeux les plus importants de la scène esport. Les joueurs de Damwon, favoris de la compétition, ont finalement soulevé la « Summoner’s Cup » après un match intense. Le prestigieux trophée était transporté dans une malle créée par Louis Vuitton pour l’occasion. L’an dernier déjà, la marque de luxe avait conçu en partenariat avec Riot Games un écrin de voyage (un sac pour montres de luxe N.D.L.R) pour abriter le Graal des esportifs, tout comme lors de la Coupe du monde de football en 2018 et de la Coupe Davis en 2019 où trophée était transporté dans une malle Louis Vuitton. Il semble que l’esport soit maintenant assez branché pour intéresser les marques de luxe.

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L’intérêt du luxe pour l’esport a d’abord commencé avec le gaming. Pour sa campagne été 2016, le directeur artistique des collections femme de Louis Vuitton, Nicolas Ghesquière, avait choisi comme égérie Lightning, héroïne du jeu vidéo Final Fantasy. En avril 2019, le créateur de Moschino, Jérémy Scott, avait annoncé une collaboration avec le jeu Les Sims et un an plus tard, un Pikachu géant déambulait sur le podium de la fashion week de Londres. Puis en janvier 2020, la maison Louis Vuitton - qui figurait parmi les premières marques à s'intéresser au gaming - revient à nouveau en imaginant les tenues de deux personnages de League of Legends. Enfin, la griffe de luxe italienne Gucci avait annoncé fin juin sa « montre Fnatic », nom de l’une des équipes les plus connues dans le monde en esport. Mais alors que s’est-il passé pour que l’esport passe du truc ok qu’on regarde grandir de loin à égérie de marques de luxe ?

Nicolas Ghesquière League of Legends

Nicolas Ghesquière. Photo publiée avec l'autorisation de Louis Vuitton.

Que ceux qui ont toujours en tête le cliché de l'ado boutonneux qui joue aux jeux vidéo et n’attire en sponsor que des marques de cartes graphiques se trompent. Depuis quelques années, l'esport connaît un essor mérité, faisant passer le cliché du geek habituellement dépeint dans les médias à un sportif de haut niveau. Ce qu’il est. Et ce depuis 2017, lorsque l’équipe danoise de Counter-Strike, Astralis, a recruté un staff issu du sport traditionnel, composé notamment de Kasper Hvidt, ancien joueur de handball. « Il a juste instauré des règles basiques sur le sommeil, l’activité physique, la cohésion d’équipe, la vie personnelle, le team building, mais ça a été une vraie révolution dans l’esport », avait déclaré Nicolas Besombes, vice-président de France Esports, au site E.sport. Un esprit sain dans un corps sain donc, qui a vite attiré le regard de ceux pour qui l’image est avant tout un gagne pain.

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Après la victoire de l’équipe coréenne de Damwon Gaming face aux Chinois de la team Suning la semaine dernière, les joueurs se sont rués sur la piste du Pudong Football Stadium afin de brandir le trophée, caché dans une malle de la marque de luxe française, une première dans le cadre d'un tournoi esport. Après avoir fabriqué le trophée de la Coupe Davis en 2018, ou encore l’écrin transportant la Coupe du monde de football. « La Summoner’s Cup est devenue une icône mondiale symbolisant la suprématie de l’équipe professionnelle victorieuse ainsi que la passion des millions de fans qui s'affrontent dans League of Legends depuis maintenant dix ans », nous explique Naz Aletaha de chez Riot Games. Rien que ça.

Si l’esport a été officiellement reconnu comme un sport professionnel en 1997, à l’instar du football, du basket ou de la F1, il a pris une ampleur fulgurante ces cinq dernières années, touchant aussi le secteur du luxe et de la mode, qui y a vu un intérêt publicitaire et financier. En 2019, 7,3 millions de français ont suivi du esport. Les joueurs « esportifs amateurs » sont principalement issus des catégories CSP+ (54% contre 34% pour les joueurs grand public) et pratiquent par ailleurs d’autres activités en dehors de l'esport. Au total en 2019, l’industrie du jeu vidéo a cumulé 120 milliards de dollars, dépassant l’industrie du cinéma et de la musique, dont trois milliards uniquement pour le esport.

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Même l’acteur américain Will Smith a même investi 42 millions d’euros dans l’équipe sud-coréenne Gen.G. L’objectif pour ces marques ? Étendre leur image de marque, attirer un nouveau public et conquérir le marché asiatique. « League of Legends est une marque grand public en Chine, et le troisième sport le plus important après le basket-ball et le football. Notre base de fans en Chine est énorme et augmente chaque année », confie le directeur de l’esport chez Riot Games, John Needham, au Monde.

Dans une interview accordée au magazine spécialisé en mode, WWD, l’un des fondateurs de la E-Sport Ligue et actionnaire minoritaire de l’équipe G2 Esports, Jens Hilger, s’interrogeait sur « Qui sera le Off-White du jeu vidéo ? ». De son côté, le fondateur de la marque d’esport Ateyo, Breanne Harrison-Pollock, estimait dans le même papier que « Les jeunes veulent devenir le nouveau Ninja (un gamer professionnel avec plus de 14 millions d’abonnés N.D.L.R) pas la prochaine star de la NBA ». Voilà pourquoi des marques veulent en être. « Les joueurs sont très intéressés par la mode – et pas seulement pour les vêtements du quotidien, mais aussi pour les tenues de jeu », raconte à WWD l’ancien joueur pro Carlos Rodriguez.

Devenus de véritables idoles pour leur public, les joueurs d’esport comptent aujourd’hui plusieurs millions d’abonnés (exemple : PewDiePie est suivi par plus de 21,4 millions de personnes sur Instagram). Ainsi, les audiences de Twitch peuvent souvent dépasser les audiences de certaines chaines de télévision. Avec une telle fan base et l’exposition médiatique énorme dont bénéficient les plus gros évènements d’esport (Paris Games Week, League Of Legends World Championship, IEM Katowice, Fortnite World Cup…), les joueurs garantissent une visibilité considérable aux marques partenaires. Ainsi, le constructeur automobile Mercedes-Benz est devenu le nouveau sponsor officiel automobile des événements mondiaux de l’esport du titre de Riot Games.

Les jeux vidéo permettent d’attirer une nouvelle clientèle pour le luxe, plus tournée vers le digital. En pleine transition depuis la pandémie de Covid-19, avec des fashion weeks uniquement en ligne, le jeu vidéo représente un atout idéal pour se diversifier et attirer un nouveau public avec du pouvoir d’achat. Plutôt que d’opter pour de la publicité intrusive, les marques du luxe ont su séduire les éditeurs de jeux vidéos et les joueurs en se pliant aux codes du genre. Dans une interview livrée à SportBusiness.club fin 2019, le patron de l’esport chez Webedia et fondateur de la chaîne spécialisée ES1, Bertrand Amar, se réjouissait de voir des marques grand public ou du luxe comme Louis Vuitton investir la discipline. « C’est même vraiment la tendance. Historiquement, c’étaient les marques de PC ou d’équipement informatique qui étaient partenaires des événements esports. Aujourd’hui, on voit beaucoup plus de marques grand public, comme les constructeurs automobiles ou même Louis Vuitton ». Donnant-donnant.

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