Santé

Pourquoi j’ai mangé mon placenta

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Un midi de juillet, Jeanne Goujon décide de manger le placenta de sa cinquième fille, Aria, en entier. Un peu d’huile d’olive, un aller-retour dans la poêle et quelques morceaux de salade fraîchement cueillis dans le jardin. « C’est comme une pièce de viande, une éponge de sang. C’est un peu filandreux mais pas trop, un peu gélatineux mais pas trop, un peu spongieux mais pas trop, un peu viandard mais pas trop », raconte-t-elle sans vraiment trouver de comparaison. Un geste peu commun, impensable pour bon nombre d’entre nous, effectué après un accouchement à la maison, naturellement, sans aucune aide médicale, qui lui a procuré une sensation de puissance qu’elle n’avait jamais ressentie avant.

Elle le raconte dans un livre, Pourquoi j’ai mangé mon placenta, (Mama Éditions) où elle écrit par exemple : « J’ai mangé mon placenta, en entier, comme un animal. Comme une sauvage, le sourire plein la bouche ». D’emblée, Jeanne annonce la couleur. « On ne peut pas comparer mon histoire avec celle d’une autre femme ».

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Dans ce livre, c’est son expérience qu’elle retrace. Pas celle de la majorité des femmes. Pour ces trois premiers enfants, Jeanne a accouché à l’hôpital, comme tout le monde. Elle s’est laissée emporter par la vague médicale. Ses accouchements ont tous été déclenchés avant le terme pour des raisons de confort, créant de la frustration chez la jeune maman. « J’ai été choquée par certaines façons de faire, certaines interventions médicales. Des gestes, des mots… Je trouvais que c’était contre ma nature ». Une prise de conscience qui la pousse à se renseigner sur la naissance naturelle, une pratique où on laisse faire le corps. « Au 4e enfant, on m’a proposé d’accoucher à la maison et tout d’un coup, quelque chose s’est déclenché en moi, un processus très pur, sans que j’intervienne au niveau du mental », confie-t-elle.

« Ça faisait comme un gros steak. Je l’ai mis dans une poêle, un peu d’huile d’olive, et je l’ai fait cuire. Je lui ai fait faire un aller-retour et je l’ai mis dans mon assiette »

« Ce 4e enfant, ça a été l’élément déclencheur pour ouvrir ma conscience. Elle était déjà pré-ouverte mais elle était timidement enveloppée dans le manteau de la société qui te dicte quoi faire. Ça m’a rempli d’un énorme vide que j’avais eu à l’hôpital et dont je n’avais pas conscience », ajoute-t-elle. Après cette première expérience heureuse à la maison, avec une sage-femme, Jeanne décide de réitérer pour son 5e et dernier enfant mais, cette fois-ci, sans assistance médicale, uniquement avec l’aide de son compagnon. « Mon objectif premier, c’était de rester concentrée sur mes ressentis intérieurs. Je voulais que mon corps soit guidé par mon instinct », explique-t-elle. Pour cette dernière naissance, Jeanne se laisse porter par ses gestes.

Le lendemain, après un accouchement sans heurts, elle décide spontanément de manger le placenta de son nouveau-né conservé plus tôt au frigo. « J’ai coupé le cordon pour le dégager et j’ai coupé 1/3 à peu près. Ça faisait comme un gros steak. Je l’ai mis dans une poêle, un peu d’huile d’olive, et je l’ai fait cuire. Je lui ai fait faire un aller-retour et je l’ai mis dans mon assiette ». Un geste instinctif, sans aucune réflexion, souligne-t-elle. « Quand j’ai vu le placenta dans le saladier, j’ai eu une espèce de… Tu sais, quand tu meurs de faim, que tu vois un plat, que ça grogne dans ton ventre et que les papilles se mettent à s’activer. C’est pour ça que je l’ai pris, mon corps l’a réclamé. C’était ça qu’il fallait que je mange, je n’ai pas réfléchi un seul instant ».

Et les bienfaits seraient apparus dès la première bouchée : « Je me souviens avoir ressenti une sorte de shoot. J’avais l’impression que tout mon corps ressentait cette énergie. Je me sentais puissante ». Jeanne se sent bien, elle a la pêche. « Je n’étais pas fatiguée, j’avais une énergie incroyable. J’avais l’impression d’avoir 25 ans alors que j’en avais 42. Pour mes autres enfants, j’étais totalement HS », compare-t-elle. Et elle ressent aussi ces bienfaits sur sa fille Aria : « Ça a déclenché l’allaitement de manière extraordinaire. Ça a aidé ma fille au niveau de la digestion, j’ai senti qu’elle n’avait aucun souci pour mettre son ventre en place. Elle tétait bien, digérait bien… ». Selon Jeanne, la placentophagie (le fait de manger le placenta) peut apporter de nombreux avantages : il est riche en fer, en protéines, en minéraux et éléments nutritifs, il est bourré de vitamines et d’hormones, il augmente la production de lait, baisse le risque de dépression post-natale, améliore le lien entre la mère et l’enfant, stabilise le niveau sanguin, et, enfin, peut sauver des vies en cas d’hémorragie post-partum. 

Les bénéfices, promus par Jeanne, n’ont encore jamais été prouvés à grande échelle. (…) Certains scientifiques alertent même sur les dangers d’une telle pratique.

Mais la placentophagie est loin de faire l’unanimité. Les bénéfices, promus par Jeanne, n’ont encore jamais été prouvés à grande échelle : des scientifiques de la Northwestern University, en banlieue de Chicago, ont passé en revue les dizaines d’études sur le sujet et ont démontré qu’il n’y avait pas de preuves scientifiques. Certains scientifiques alertent même sur les dangers d’une telle pratique, notamment un risque de contamination par des bactéries. Aux États-Unis, en juin 2017, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), la principale agence fédérale en matière de protection de la santé publique, rapportaient un cas d’infection dans l’Oregon. Une jeune mère de famille, ayant absorbé des capsules constituées d’extraits de son placenta, a transmis à son bébé via l’allaitement une infection à la bactérie Streptococcus agalactiae, nécessitant son hospitalisation.

Malgré les risques, la placentophagie est devenue une véritable tendance outre-Atlantique. Pour celles qui le souhaitent, le placenta est nettoyé, pressé, cuit à la vapeur, coupé en tranches, déshydraté, moulu et encapsulé dans des gélules, moyennant 250 à 270 dollars (240 euros). Une pratique qui séduit de plus en plus de femmes dont des stars comme Katie Holmes ou encore les sœurs Kardashian. En France, il est interdit de conserver le placenta après l’accouchement. À l’hôpital, après avoir été examiné pour vérifier s’il a bien été expulsé dans sa totalité et ainsi éviter un risque hémorragique, il est incinéré à titre de « déchet opératoire ». Plus rarement, il peut être collecté à des fins thérapeutiques ou scientifiques, selon la loi de bioéthique publiée en 1994 et révisée le 7 juillet 2011. Seul un accouchement à domicile (AAD), avec une sage-femme libérale, permettrait donc à la femme de conserver son placenta. Ce type d’accouchement concerne environ 2 000 femmes chaque année sur 800 000 naissances par an (soit 0,2 % des naissances).

Aujourd’hui, après de nombreux voyages à l’étranger et l’apprentissage de diverses médecines naturelles, Jeanne accompagne les femmes enceintes, dans son cabinet sur la Côte-d’Azur, avec une technique de massage appelée le Massage Mémo Cellulaire®. Elle consiste à nettoyer le corps de tout un tas d’émotions ou de ressentis toxiques et parasites. Jeanne ne regrette rien, au contraire. « J’ai été guidée par ma propre expérience. J’ai pu car j’étais en accord avec moi-même », explique-t-elle. « Manger le placenta, c’est aller jusqu’au bout, être entière, vivre ce que la nature te dicte de faire », conclut-elle, bien consciente que son histoire en choquera plus d’un.

Pourquoi j’ai mangé mon placenta, 26 janvier 2021, Mama Éditions.

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