La sueur a parlé, les larmes ont coulé, les trophées ont été soulevés, les records ont été battus… Et voici venue l’heure de mettre les pieds dans le plat.
« Le sport rassemble les gens et les peuples » : typiquement le genre de phrase que vous avez déjà entendu au moins une fois dans votre vie, ce à plus forte raison lors de périodes telles que l’EURO ou les Jeux olympiques. À bien des égards, cette phrase inspire quelque peu la même réflexion qu’une autre déclaration du même acabit, et toute aussi connue : « Le rêve américain ». Dans les deux cas, il faut être endormi·e pour y croire. Suffisamment endormi·e pour faire abstraction du cadre général duquel émanent le sport et les compétitions sportives. Endormi·e aussi sur la fonction même que remplit le sport dans la préservation du statu quo social. Et endormi·e quant à la reconnaissance d’une pseudo finalité – à savoir rassembler et unir – qu’apparemment lui seul aurait atteint, là où la société dans sa globalité serait, elle, encore en recherche d’union.
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Mais, au même titre que les luttes sociales, féministes, LGBTQIA+ et antiracistes, comment se prévaloir de l’union et/ou de l’inclusion quand celles-ci ne s’expérimentent pas en dehors de moments spécifiques et délimités ?
Une compétition sportive internationale aussitôt entamée, que s’ensuit notamment d’une part une hausse du trafic d’êtres humains et de l’exploitation sexuelle directement liés à la mise en place de celle-ci, et d’autre part des violences conjugales résultant de l’issue même du dit évènement. Selon une étude réalisée par l’université de Lancaster sur les Coupes du monde de football de 2002 à 2010, les cas de violences domestiques sont nettement plus élevés durant les Coupes et les chiffres sont sensiblement en hausse lorsque l’équipe soutenue perd. Non seulement il y a violences intrafamiliales que l’issue du match soit favorable ou non, mais plus alarmant encore, l’incidence de ces violences lors de championnats internationaux ne fait qu’augmenter d’années en années. Ces compétitions pensées et voulues par un monde sportif résolument capitaliste et dopé à la testostérone se paient cash sur l’autel des femmes et des personnes ayant moins de privilèges.
Aussi, à peine le coup de sifflet final du Championnat d’Europe de football a retenti qu’il a laissé libre cours aux propos infâmes envers ceux qui, la veille encore, nous étaient présentés comme des héros. Sancho, Rashford et Saka qui, à l’instant même où ils n’avaient pas rempli la fonction qui leur est assignée, ont retrouvé, aussi automatiquement qu’instantanément, leur place dans la hiérarchie sociale : des Noirs lambda à qui le statut même d’être humain semble encore parfois pouvoir être dénié et dont on attendrait pourtant d’être des instruments dociles et articulés.
Il en va de même pour la fonction subalterne et récréative à laquelle on entend cantonner les compétitions sportives féminines. Celles-ci étant soi-disant moins compétitives et intéressantes. Le déséquilibre de financement et salarial que les athlètes féminines doivent actuellement subir, s’inscrit tout droit dans les dynamiques de genres et dans l’invisibilisation de leurs accomplissements auxquels les femmes font face dans la société en général.
Manque de représentation
Soyons de bon compte, le sport roi qu’est le football n’a malheureusement pas l’apanage de telles pratiques. La manifestation de la reproduction des stéréotypes se retranscrit de manière toute aussi concrète dans le monde du sport en général que dans la société entière. Sachant que les ressources humaines issues des minorités visibles regorgent dans le monde du sport, l’absence, voire la marginalisation, de coachs, de cadres et de dirigeant·es racisé·es est dès lors encore plus criante et incompréhensible.
Combien de footballeurs noirs compte le palmarès du Ballon d’or ? Un seul, Georges Weah. Combien de directeurs sportifs comme Mababa, dit Pape Diouf, a-t-on vu émerger ? Poser la question c’est déjà y répondre. Ce saisissant et douloureux constat est difficilement explicable sans déterrer les stéréotypes racistes, coloniaux et sexistes (dont nous sommes tou·tes légataires) aussi inconscients qu’opérants, voulant que le genre féminin et certains groupes raciaux sont soi-disant prédisposés à être d’essence physique et non cérébrale, émotionnelle et non intellectuelle, charnelle et non spirituelle, exécutante et non décidante.
Quand la psychophobie rencontre le sexisme
Ce rôle de préservation du statu quo social joué par le sport, ne se borne ni au sexisme ni au racisme. Combien de sportif·ves professionnel·les connaissons-nous dont l’homosexualité a pu se vivre librement pendant (voire même après) leur carrière sans craindre d’être ostracisé·es ? C’est de cette société que le sport tire son essence. Cette même société qui pointe du doigt et essaie de psycho-shame des femmes noires et afrodescendantes telles que Simone Biles et Naomi Osaka lorsqu’elles mettent en lumière une problématique transversale et plus qu’actuelle : la santé mentale. Tour à tour, ces deux athlètes ont fait le choix de prendre soin de leur santé mentale avant de poursuivre les compétitions – la première en refusant de prendre part aux conférences de presse post-match, la seconde en renonçant à participer à certaines épreuves.
Malgré la psychophobie indéniable de notre société, ce n’est pas tant et uniquement la décision d’avoir priorisé leur santé mentale qui leur est reprochée ; c’est quelque chose de plus subversif et impardonnable. C’est bel et bien l’outrecuidance qu’une femme – qui plus est racisée – puisse avoir l’audace de refuser de se soumettre aux attentes, injonctions et autres projections d’autrui sur elle, qui leur est reproché. Ce, à plus forte raison, pour se choisir, se prioriser et honorer ses propres besoins. C’est cette impertinence forte et courageuse que les critiques et autres boucliers levés, entend(ai)ent mater et remettre dans le rang (d’un ordre pourtant établi contre elles et leurs semblables).
Cette idée saugrenue, et somme toute fallacieuse, selon laquelle le sport – et le divertissement dans un moindre mesure – jouerait un rôle (qui plus est prépondérant) dans la lutte contre les inégalités ou les discriminations, témoigne de notre capacité à dépolitiser le débat et à le vider de sa substance. On ne peut continuer de vouloir célébrer et prêcher des valeurs telles que l’inclusion et l’union au travers du sport sans questionner le système même dont il émane et dans lequel il s’inscrit et dont il reproduit mécaniquement les travers. La perpétuation de cette célébration candide est non seulement illusoire et intellectuellement malhonnête, car n’étant pas basée sur des faits tangibles pouvant soutenir une telle affirmation, mais aussi, et surtout, dangereuse puisque reproduisant les principes mêmes d’exclusion et de discrimination dont il proclame être dépourvu tout en cloisonnant les sportif·ves et athlètes issu·es des minorités à des rôles stéréotypés et des fonctions d’éternel·les subalternes.
Nous pouvons et méritons dès lors mieux que de simples déclarations creuses et épisodiques sur l’union des peuples.
Correction : Une version antérieure de cet article contenait une erreur qui a depuis été retirée après un contrôle plus approfondi. Nous regrettons cette erreur.
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