Depuis le début du confinement lié au coronavirus, nous sommes forcés de vivre sans les produits « non essentiels ». Mais qu’est-ce qu’un produit « non essentiel » ? La définition exacte de ce terme varie selon les pays et les personnes. En France, les lieux publics non essentiels ont été fermés le 14 mars. Au Canada, on considère bien la beuh comme essentielle. Au Royaume-Uni, la police a dû s’excuser après avoir patrouillé dans les allées jugées « non essentielles » du supermarché. Tout cela pose la question de ce qu’on jugera essentiel après « la Grande Pause ».
C’est le monde du travail qui est le plus bouleversé par ces questions. Si on peut faire du télétravail, et, comme beaucoup l’ont découvert, c’est tout à fait possible, à quoi bon faire le trajet maison-bureau tous les jours ? Et, puisque les entreprises peuvent faire des visioconférences internationales, les voyages d’affaires sont-ils si indispensables ?
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Le ralentissement des voyages, de l’industrie et du tohu-bohu quotidien des opérations capitalistes aurait-il déjà un impact positif sur la planète ? Si oui, est-ce qu’une action mondiale organisée – comme on l’a vu durant cette pandémie – pourrait constituer la base du type de comportement collectif profitable à la population, à la planète et à l’économie ?
UN AIR PURIFIÉ
Quand les scientifiques ont alerté la population en disant que les émissions devaient commencer à baisser d’ici à 2020 pour éviter de grands désastres climatiques, ils ne s’imaginaient sans doute pas qu’une pandémie mondiale viendrait donner un coup de pouce. Pourtant, comme beaucoup l’ont rapporté, le Covid-19 pourrait avoir déclenché la plus grande chute d’émission de carbone anthropique (émissions créées par l’activité humaine) depuis la seconde guerre mondiale.
Les images satellites de la NASA montrent un déclin considérable des niveaux de pollution en Chine, autour de Wuhan – le berceau du virus – à Pékin et à Shanghai, à cause de la baisse de l’activité économique. Bien que ce soit pour les mauvaises raisons, c’est quand même une bonne nouvelle, et, si ces niveaux étaient stabilisés, cela pourrait nous aider à enrayer la dégradation de la planète. Sur d’autres images, on peut voir la baisse des émissions de gaz à effet de serre entre janvier et mars 2019 et 2020.
Selon les prévisions du Global Carbon Project, le bilan des émissions de carbone mondiales devait augmenter cette année. Mais finalement, il va sans doute baisser de 5 % – soit 2,5 milliards de tonnes, plus bas niveau observé depuis la dernière récession d’il y a une dizaine d’années.
Le premier coupable des émissions de carbone est assez évident : l’avion. Selon FlightRadar24, un site qui traque en temps réel tout le trafic aérien au niveau mondial, la moyenne du nombre de vols journaliers a diminué de plus de la moitié au cours de deux derniers mois : le vendredi 10 janvier, 183 890 vols ont été enregistrés, contre 70 809 le mardi 14 avril. Après la chute drastique entre le 9 et le 29 mars, le trafic aérien commercial mondial s’est maintenant stabilisé autour de 29 % de ses niveaux précédents. Cela signifie qu’il y a 71 fois moins d’avions dans le ciel qu’avant la pandémie.
Mais on ne peut pas espérer que ce chiffre reste stable une fois le confinement levé. Tout d’abord, ceux qui ont les moyens se jetteront sur les billets pour re-réserver leurs vacances annulées. Mais tâchons de tirer des enseignements de ces quelques mois : rien qu’en Amérique, 65 millions de vols longues distances par jour se font dans le cadre des affaires. Avec ce que nous savons maintenant, combien d’entre eux peuvent vraiment être jugés essentiels ? Dans un sondage de 2018, 67 % des personnes interrogées trouvaient difficile de créer des relations via vidéo. Si les 33 restants acceptaient de faire une visioconférence plutôt que de prendre l’avion, le nombre des vols affaires serait réduit d’un tiers.
La réduction des émissions de carbone ne profite pas qu’à l’environnement, mais également à la santé. Selon l’OMS, la pollution de l’air tue environ 7 millions de personnes chaque année à travers le monde, et neuf sur dix personnes respirent de l’air qui contient des hauts niveaux de polluants. En France, la pollution représenterait 105 décès pour 100 000 habitants. En Chine et en Inde, des pays où les citoyens sont victimes de certains des pires niveaux de pollution de l’air dans le monde, le confinement a permis aux habitants de la ville de voir clairement le ciel pour la toute première fois.
Selon les données du Centre for International Climate Research (CICERO) révèlent qu’en février, il y a eu 20 à 30 % de baisse de la pollution de l’air. Si ces niveaux se stabilisent sur une longue période, nous pourrions sauver 50 000 à 100 000 vies prématurément affectées par une mauvaise qualité de l’air.
Le monde doit s’ouvrir à nouveau : les répercussions économiques d’un confinement mondial sont terribles, et tendent à baisser la qualité de vie de millions de personnes. Mais les entreprises responsables pourraient tirer une leçon de cette période, faire le point sur le nombre de voyages d’affaires en avion qu’ils payent chaque année et changer leurs règlements en conséquence.
UNE VIE RALENTIE
Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, Google a publié un rapport sur la mobilité des individus en utilisant anonymement les données de géolocalisation des téléphones portables. Les chiffres permettent de voir si les règles de distanciation sociale sont appliquées et illustrent le fait que nous nous déplaçons moins. Dans des pays comme la France, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni et le Canada, on observe une baisse de toutes les activités d’ordre public et une augmentation de gens restant à la maison.
On a également observé une diminution des véhicules sur la route dans la plupart des villes du monde. Selon les données de TomTom, le trafic a considérablement diminué depuis le coronavirus. Pour la première fois depuis des années, les rues d’ordinaire animées, sont soudainement vides. Au Royaume-Uni, selon les données du Bureau du Cabinet, au 29 mars, on a observé une baisse de 73 % du trafic motorisé depuis le début de la crise de coronavirus. En Inde, le couvre-feu de coronavirus a eu comme conséquence le plus bas niveau de pollution de mémoire d’homme en un jour.
En France, 40 % des travailleurs auraient adopté le télétravail pendant le confinement. Au Royaume-Uni, près de la moitié de la population n’a pas pu aller au travail – et ceux qui ont pu sont plutôt des travailleurs bien payés de Londres. Cependant, les données de la Chambre de commerce anglaise montrent que « 54 % des entreprises [à travers le pays] font du télétravail pour maintenir leur activité ». Dans l’Union européenne, environ 30 % des émissions de CO2 viennent du transport, dont 72 % de la route. En France, 70 % des gens vont au travail en voiture – soit environ 23,2 millions de personnes. Imaginez l’impact environnemental si rien que le quart de ces conducteurs faisait du télétravail.
La baisse du trafic aérien et routier provoquerait aussi une baisse de la demande en essence. Selon les données de Rystad Energy, service de conseil en énergie norvégien, la demande en pétrole à travers le monde pourrait baisser de plus de cinq fois, et la demande en essence et en diesel pourrait diminuer de 9,4 % en 2020. Ce qui fait 2,6 millions de barils de pétrole en moins par jour.
DES RELATIONS À DISTANCE
Nous savons tous que les gens cherchent à créer plus de liens durant le confinement. Selon Priori Data, l’application de chat vidéo Houseparty est passée de 3,955 à 81,858 téléchargements en seulement une semaine. Mais qu’en est-il du modeste téléphone ? Verizon, le groupe américain des télécoms, héberge actuellement environ 800 millions d’appels sans fil par jour. C’est plus du double que le jour d’ordinaire le plus chargé de l’année en appels téléphoniques : la fête des mères.
Selon AT&T, les citoyens américains téléphonent 35 % plus qu’avant la pandémie et parlent 33 % plus longtemps. Quant aux appels wifi, ils ont plus de doublé.
Il est clair que le télétravail et la réduction des trajets ont un impact positif sur l’environnement. Mais les entreprises pourraient également y voir un intérêt financier. Les données du rapport d’Abintra Consulting « Wasted Space : The colossal cost of under-used office real estate »(« Gaspillage de l’espace : le coût colossal de l’immobilier sous-exploité ») montre qu’en Angleterre et au Pays de Galles, les grandes entreprises gaspillent chaque année plus de 11 millions d’euros en espaces de bureau sous-utilisés, et que 30 à 50 % de l’immobilier pourrait être libéré par des horaires de travail flexibles.
Aux Etats-Unis, une étude de Cintrix a révélé que 62 % des employés qui ne font pas encore de télétravail pensent qu’ils pourraient le faire au moins un jour par semaine. Selon Global Workplace Analytics, seulement 3,6 % de la population active a fait du télétravail la moitié du temps ou plus en 2019 – mais on estime que d’ici à 2021, 25 à 30 % de personnes feront du télétravail plusieurs jours par semaine.
Selon Rob Jackson, à la tête du Global Carbon Project : « L’adoption [à grande échelle] du télétravail, même un ou deux jours par semaine, pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre, nettoyer l’air de nos villes et sauver des vies. »
REVENIR À L’ESSENTIEL
Bien que nous ayons observé quelques amorces d’enrayage du changement climatique, les experts mettent en garde en disant que ce pourrait n’être que de courte durée. Quelques mois de réduction des émissions de gaz, ce n’est rien comparé aux décennies d’accumulation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, et seul un vrai changement structurel pourrait avoir un impact durable. Si les gouvernements agissaient avec la même urgence pour le changement climatique que pour le Covid-19, nous pourrions éviter des catastrophes futures bien plus grandes et plus terribles qu’une pandémie.
Pourtant, malgré les ravages que le Covid-19 a déjà causés dans le monde – sans oublier la récession à venir – certains effets bénéfiques collatéraux sont indéniables.
Moins de voitures sur la route, plus de personnes travaillant à la maison et moins de voyages d’affaires au bout du monde pour des meetings ponctuels, tout cela a clairement fait du bien à la planète à court terme. Serons-nous capables de tirer les leçons de ces changements à long terme ? Seul l’avenir nous le dira.
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