Clémence Allezard, 28 ans, coprésidente de l’Association des journalistes LGBT
« L’idée des OUT d’Or, c’est d’être dans le positif »
Clémence Allezard est stressée. Bientôt, près de 300 personnes se presseront dans la cour de la Maison des Métallos, à Paris, pour assister à la deuxième édition des « OUT d’or ». Et la cérémonie française de remise de prix de la visibilité LGBTI [Les lesbiennes, les gays, les bisexuels, les transgenres et les personnes intersexes, ndlr] affiche complet ce 19 juin. L’événement, lancé un an plus tôt par l’Association des journalistes LGBT (AJL) — dont Clémence Allezard, 28 ans, est coprésidente — honore médias, artistes et militants engagés dans les luttes queer. Pour une fois, l’ambiance est à la fête.
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« Toute l’année on pointe les failles du traitement médiatique des questions LGBT. Là, l’idée c’est d’être dans le positif : on veut saluer le travail de consœurs et confrères lors d’une soirée festive et engagée », déclare la journaliste de France Culture avec enthousiasme. Elle ajoute : « C’est important de se faire du bien, aussi. L’année a été une fois de plus très dure pour nous. Notamment avec les débats sur la PMA, phagocytés par La Manif pour Tous (LMPT). Alors si on peut passer une soirée festive ensemble, c’est mieux. »
L’AJL est née pendant les débats sur le Mariage pour tous, à l’époque où LMPT squattait les médias. Un petit groupe de journalistes s’est alors retrouvé pour alerter les médias sur leur responsabilité à l’égard de ces questions – avant de se constituer en association. Leur mot d’ordre ? « Toutes les opinions ne se valent pas : une opinion réactionnaire de LMPT ne vaut pas celle d’une concernée. On parle de personnes vivant sous un régime législatif discriminatoire, qui n’ont pas accès aux mêmes droits, ni à la même représentativité dans les médias. », tranche Clémence Allezard.
À l’époque, la future journaliste était encore étudiante et surtout, pas encore pansexuelle au su de tous et de toutes. « C’est mon arrivée à Paris, en 2014, qui m’a libérée sur mes relations avec les filles. Mes amours n’avaient plus à être clandestines. », raconte-t-elle. Dans le même temps, son travail s’est politisé. À France Culture, où elle a débarqué la même année, la jeune femme a signé plusieurs documentaires et reportages sur le féminisme.
Un intérêt qu’elle dit « sans doute lié à (son) orientation sexuelle », mais pas seulement : « J’ai vu ma mère élever quasiment seule ses deux enfants. Même si elle ne m’a jamais parlé de féminisme, elle m’a appris à être indépendante. Quand elle s’est retrouvée sans mon père, elle a dû apprendre tout ce qu’elle n’avait pas eu à faire. J’ai réalisé assez tôt qu’il fallait que je sache tout faire toute seule. À certains moments, on ne peut compter que sur soi-même. »
Collectif La Créole, 1 an
« Peu importe l’origine, la sexualité ou le milieu social. Nos soirées, c’est comme chez Mc Do : viens comme tu es »
C’est toujours bizarre un club désert. Mais ici, les lendemains en appellent d’autres. Le rendez-vous est fixé au Chinois, une boîte de nuit montreuilloise vidée des quelque 300 danseuses et danseurs qu’elle attire chaque samedi. Et ce 23 juin, la date est anniversaire. Un an plus tôt, le directeur artistique Vincent-Frédéric Colombo, 27 ans et la photographe Fanny Viguier, 30 ans célébraient le vernissage de leur seconde exposition photo, « CREOLE » by Creole Soul. Pour l’occasion, le binôme avait allié leurs talents à ceux des créateurs Steven Jacques, 27 ans, et Geoffrey Cochard, 26 ans.
Et depuis c’est à quatre qu’ils forment le collectif La Créole, à l’origine des soirées queer les plus décomplexées de la couronne parisienne, où LGBT et hétéros, banlieusards et Parisiens, house et sound system jamaïcain se rencontrent.
« C’est du vernissage que sont nées ces soirées. On a vu comme il pouvait rassembler du monde autour de la musique et de l’image », raconte Steven Jacques. Qui ajoute : « D’ailleurs, on est tous liés par la nuit. » Ainsi, c’est elle qui a permis à Geoffrey Cochard de « vivre son homosexualité ». Et pour Vincent Colombo et Fanny Viguier, elle l’écrin parfait de leur passion : la danse.
Tous se connaissent depuis 2013. Attirée par la photographie de mode, Fanny Viguier s’est adressée à Vincent Colombo, créateur d’une première collection. Ensuite, il s’est mis à travailler à la réappropriation de l’identité créole – « une histoire qui semblait se fossiliser depuis des décennies », constate le jeune homme, qui a grandi en Guadeloupe. Il développe : « À part la musique, où quelques révolutions ont pu s’opérer, on est principalement restés bloqués dans le passé, on conserve une idée exotisante de ces territoires. Aux yeux de certains, les Antilles françaises ne sont qu’une destination touristique et sa population devrait donc cultiver une image clichée. C’est quelque chose qui m’a toujours dérangé : quand je suis arrivé, je ne correspondais pas aux attentes des métropolitains, en terme d’accent, ou d’intérêt culturel. »
La soirée a l’allure d’authentiques bals créoles, à l’écart justement, des clichés qu’ils cristallisent, où « les darons perdent de leur sérieux sur la piste de danse », sourit Steven Jacques. Le public est à leur image, il aime danser. « Ce n’est pas le VIP room, où l’on se regarde du coin de l’œil pour savoir à qui aura la plus grosse bouteille — comme s’il s’agissait d’autre chose », se moque Vincent Colombo. Exit « le Paris qui se regarde », comme dit Fanny Viguier. Elle finit par lancer : « C’est aussi la raison pour laquelle on a choisi ce lieu, Le Chinois. Monsieur tout le monde voit de la lumière ? Il entre, tout autant que la fashionista du coin. Ici, ce qui nous unit c’est la musique. Peu importe l’origine, la sexualité, le milieu social. Tout le monde est reçu de la même façon. C’est comme chez McDo, viens comme tu es ! ».
Kami, 24 ans, activiste
« Je suis non-binaire. Et je sais ce qu’il en coûte »
La joie solaire de Kami saurait presque faire oublier le ciel encombré. Elle rayonne. Surtout, elle s’impose avec puissance. « Je ne croise malheureusement pas beaucoup de personnes comme moi. Je sais ce qu’il en coûte », dit-iel. « Iel », c’est son pronom. Kami est une personne non-binaire sur le large spectre qu’est le genre.
Dans le court-métrage documentaire réalisé par Adèle Albrespy et Johanna Makabi, Méduse — qui raconte le rapport des femmes et hommes noirs à leurs cheveux crépus —, iel relate avec tendresse comment son assignation garçon à la naissance l’a longtemps privé.e de ses frisures. Si les filles supportent l’injonction de les défriser, les siennes étaient coupées au ras chaque mois. Mais son arrivée en région parisienne, qu’iel a rejoint depuis la Guadeloupe il y a six ans, l’a décomplexé.e. Sur ses cheveux, comme sur son identité.
« Pendant mon adolescence, j’étais concentré.e sur la survie dans le milieu scolaire — comme beaucoup d’autres. En seconde, j’ai essayé d’être le plus normé possible. Puis j’ai essayé d’être moi, sans trop sortir de la masculinité non plus. Mon objectif était de trouver le bon compromis, mais même ça c’était compliqué », se souvient Kami.
Plus loin encore, pendant l’enfance, ses goûts lia plaçaient déjà Kami dans une supposée contradiction, imposée par la société : « Je me suis beaucoup identifié.e à Mulan et Action Man. J’ai toujours admiré Mulan pour sa force et son courage. Chez Action Man, c’est son slogan qui m’a plu : « « je regarde, j’analyse et je me lance” », récite iel.
Des questionnements internes qui ne l’ont pour autant pas déconnecté.e des autres. Kami étudie la psychologie clinique interculturelle et transculturelle. Iel s’en explique : « Dans les psychothérapies, on essaie de prendre en compte la dimension culturelle des différences et comment elles peuvent influencer le cadre psychothérapeutique. »
Et se placer à l’intersection de plusieurs identités, Kami en sait quelque chose. Son activisme est multiple. Iel milite pour Qitoko, « un groupe de personnes queer et trans racisées qui a pour objectif de les sortir de l’exclusion sociale et faire en sorte de leur donner les outils pour politiser leur vécu », explique Kami. Mais aussi dans le comité Racisme et diversité ethnique de SOS homophobie. Et encore, chez AIDES et depuis peu, dans l’association Elan interculturel, où iel est volontaire.
Kami comble son emploi du temps pour ne pas le voir filer. Quand iel n’est pas occupé. e par l’associatif, Kami se plonge dans son fil Instagram. Là, iel y voit celles et ceux qu’iel croise rarement dans les rues, y fait des rencontres : s’y sent mieux, en somme.
« C’est quand je me suis fait.e agressé.e sexuellement que j’ai vraiment commencé Instagram. Je voulais suivre l’évolution de ma vie depuis ce jour-là. Je voulais voir comment j’allais en scrollant », dit-iel avec pudeur. Et alors ? « Je vais beaucoup mieux. J’ai fait plein de choses. Je n’ai pas l’impression de rater quoi que ce soit. Ça s’est passé il y a deux ans, et ça m’a vraiment affecté.e mais je peux me connecter avec plein d’autres personnes qui ont connu ça. J’ai l’impression de ne jamais être seul.e et ça me fait beaucoup de bien. »
Marc-Antoine Bartoli, 23 ans, président d’Act Up
« Quand on est homo, une épidémie comme le sida ne laisse pas indifférent »
« Je rédige plus facilement que je ne parle. Les prises de parole peuvent être déstabilisantes, mais il faut y aller. » Pour la cause, la timidité Marc-Antoine Bartoli n’a plus sa place. À 23 ans, le jeune homme co-préside depuis février dernier l’association militante de lutte contre le sida, Act-Up Paris. Un héritage singulier lourd à porter, dont l’étudiant en arts a tout appris.
Sa candidature à la présidence ne s’est d’ailleurs passée sans remous. À la sortie du primé 120 battements par minute de Robin Campillo, Act-Up Paris a fait face à un afflux inattendu de nouveaux militants – passant d’une petite dizaine à une plus d’une centaine de membres. Dont certains étaient engagés dans d’autres combats liés aux droits des minorités. La crise a été violente : une partie des anciens a claqué la porte, dénonçant une forme d’« entrisme politique ». À cette accusation, l’intéressé répond : « 120 BPM, je l’ai vu comme tout le monde, mais ce n’est pas ce qui m’a motivé à m’engager chez Act-up. C’est surtout une profonde envie de m’impliquer dans la lutte contre le sida ».
Il poursuit : « quand on est homo, une épidémie comme le sida ne laisse pas indifférent. Quand j’étais enfant, j’avais peur. Aujourd’hui, ça n’est plus le cas : je suis en colère. Révolté de voir à quel point les séropositifs sont marginalisés. Certes, la recherche a avancé, mais il y a toujours de quoi être en colère : chaque année, on compte 6 000 contaminations par le VIH », s’indigne-t-il.
La lutte a beau continuer, il espère qu’elle se finira bientôt : « Il faut penser à l’avenir. Même si on ne préférerait déjà qu’Act-up n’ait plus de raison d’exister. Malheureusement, les pouvoirs publics mettent en place une politique qui va donner longue vie à nos actions. Ils promettent ainsi de suivre les recommandations de l’ONUSida, pour enrayer et baisser les contaminations, mais… d’ici 2030 ! S’il n’y a pas de prise de conscience immédiate, je ne sais pas où en sera dans douze ans. »
Olly Plum, 24 ans, travailleur du sexe
« On nous demande sans cesse de justifier notre existence »
« Désolé pour les seringues, ça fait toujours étrange à ceux qui entrent dans ma chambre », s’excuse Olly Plum. Si elles sont posées là, dans leur étui, c’est que le jeune homme s’injecte toutes les deux semaines une dose de testostérone – « ma drogue préférée », plaisante-t-il. Olly est en transition vers le genre qui lui était autrefois secret. Depuis avril dernier, son traitement hormonal lui fait traverser une seconde adolescence. « Je passe mon temps à manger, me masturber, jouer aux jeux vidéo », énumère le jeune homme transgenre de 24 ans. Et même s’il est heureux, Olly a du mal à se faire aux changements physiques, à leurs désagréments. Il est d’autant plus dur de voir son corps changer pour la deuxième fois quand il est au cœur de tant d’attention.
Car au début de l’année, Olly Plum s’est retrouvé malgré lui au cœur d’une tempête médiatique. À l’époque, Olly était camgirl et avait tourné des vidéos avec son compagnon, Usul, un vidéaste diffusé par Mediapart. Or, certains ont reconnu l’activiste sur ces vidéos. L’affaire a passionné la fachosphère – persuadée que le porno ne peut pas être de gauche.
Depuis, Olly est passé à autre chose. Mais cette histoire se rappelle (trop) souvent à son souvenir : « Récemment, j’ai publié une vidéo sur la testostérone et sur les changements qu’elle m’apportait. Les commentaires qui revenaient le plus souvent – à part « suicide toi » – parlaient d’Usul. On me demandait tout le temps : “Et alors, il en pense quoi ton ex ? Mais on s’en fout. Nous existons l’un sans l’autre. »
D’autant que sa propre existence de travailleur du sexe transgenre suscite déjà assez de questionnements, de débats et de violences. « On nous demande sans cesse de justifier notre existence. De fait, elle est politique », affirme Olly Plum, engagé dans plusieurs organisations dont les collectifs lyonnais Des Raciné.e.s et Les Méduses.
Pour autant, Olly continue son travail de visibilité sur YouTube et Twitter. Même si ce n’est pas toujours facile : « J’ai eu peur de parler du travail du sexe sur internet. Quand j’étais camgirl, j’avais une protection : j’étais dans ma chambre, derrière mon ordi. Depuis que je suis prostitué, certains clients me reconnaissent. C’est quelque chose que j’assume totalement, mais j’avais toujours un peu peur d’être filmé à mon insu », confie le jeune homme.
Au-delà de cette polémique, Olly rappelle que « la pire violence » qu’il a subi vient plutôt de son entourage plus ou moins proche. « Parce qu’être pute est quelque chose qu’on devrait cacher honteusement », écrit-il dans une tribune publiée sur Facebook. Il conclut : « En attendant, la demande est forte. Je reçois chaque jour plus de 40 SMS de clients. Et ils ne sont pas là pour enfiler des perles. », glisse-t-il dans un sourire