À la première convention de la communauté de la Terre plate au Canada
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À la première convention de la communauté de la Terre plate au Canada

Les platistes les plus connus au monde ont envahi le Edmonton Mall.

Cet article a d'abord été publié sur VICE Canada.

Il serait difficile de trouver un endroit plus approprié pour parler de la valeur de la théorie de la Terre plate qu’un faux pub anglais, dans une fausse rue, à l’intérieur de l’attraction touristique la plus nulle qui soit.

Avec quatre des tenants de la théorie de la Terre plate parmi les plus connus au monde, je suis au pub Sherlock Holmes, sur la Bourbon Street du West Edmonton Mall. Et un homme appelé Rick Hummer est censé nous y rejoindre. Je vais avoir la chance de faire la connaissance de son personnage, Rolan Reedy, le « redneck rocket scientist ».

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M. Reedy, m’expliquent mes nouveaux amis, est l’arme secrète des platistes pour accéder aux masses. Il sera la vedette d’un film qui combine fiction et réalité, proche des dernières productions de Johnny Knoxville, mais avec moins de blagues de pénis et plus d’échanges avec Neil deGrasse Tyson. Justement, Rick Hummer arrive : il porte une perruque et un bandeau, il louche et il a de fausses dents faites expressément pour lui.

« Ils t’ont converti avant que j’arrive? » me demande-t-il, avec (ce qui me semble être) un faux accent du Kentucky, faisant allusion au groupe qui essaie de me convaincre que la planète n’est pas une sphère. Il change de sujet, cependant, et s’éloigne pour se filmer. Il fonce intentionnellement dans une porte avec sa caméra au bout d’une perche à selfie, enregistrant tout ce qu’il fait.

Dans l’immédiat, le plan, c’est que M. Hummer, changé en M. Reddy, chante une version platiste de Brown Eyed Girl dans le pub, ce qu’il accomplit. Pour ce faire, ses amis ont gagné la sympathie de la serveuse et l’ont convaincue de les laisser filmer dans l’établissement.

« On lui parlait tout à l’heure et elle a été aplatie! » affirme Jake Grant, un collaborateur de M. Hummer. « Tu l’as aplatie? » demande Mark Sargent, l’homme considéré comme le catalyseur du mouvement platiste moderne. « Excellent! »

L’un des derniers panels de la conférence. Toutes les photos sont de l’auteur

Je dois demander ce que veut dire « aplatir quelqu’un ». M. Grant m’explique que, si on présente des arguments platistes (qu’ils appellent des « bombes plates ») à une personne ordinaire et que l’expression sur son visage passe du mépris ou de la moquerie à la perplexité ou la curiosité, elle a été aplatie. « Il n’y a rien de mieux que de voir qu’on a aplati quelqu’un », m’assure-t-il en riant.

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Si je vous disais qu’il y a des platistes renommés, me croiriez-vous? C’est une chose que je ne découvre qu’en arrivant au Fantasyland Hotel (un aptonyme), lieu choisi pour les deux jours de la Convention internationale de la Terre plate, à Edmonton. Je sais qu’il y a une liste de conférenciers et que quelques-uns d’entre eux ont des nombres d’abonnés de moyens à considérables sur les plateformes internet — principalement YouTube —, mais je ne m’étais pas rendu compte qu’ils avaient un public fervent et inconditionnel.

J’en ai un premier indice quand, dans la file pour obtenir mon accréditation médiatique, je fais connaissance avec Corey, qui a fait la route en moto depuis Victoria en Colombie-Britannique pour assister à la convention. Dès qu’il reçoit son billet, il est tout excité. « Je suis un peu intimidé, me confie-t-il. Il y a beaucoup de personnes que j’ai vues sur YouTube ici. »

Une personne en réflexion durant la conférence.

Corey s’éloigne d’un pas rapide vers le hall pour voir en personne ses favoris, ce à quoi on ne s’attend pas d’un homme grisonnant portant des vêtements de cuir poussiéreux. Je le suis et constate que le hall est bondé. Beaucoup plus de gens que vous l’imaginez assistent à une convention sur la théorie de la Terre plate en Alberta. Il y a environ 200 personnes assises à des tables rondes, la plupart des Blancs de 40 à 60 ans, avec quelques exceptions. Au-dessus de nos têtes sont suspendus de gigantesques chandeliers, et celui au-dessus de ma table clignote sans arrêt.

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On sent l’exaltation. En plus d’avoir l’occasion de rencontrer des platistes renommés, les gens ont l’air ravis de pouvoir enfin parler de la théorie de la Terre plate sans subir les sourires méprisants ou les yeux levés au ciel. Les conversations vont bon train dans tous les coins. Derrière moi, quelques hommes parlent de leurs femmes qui ne sont pas enchantées qu’ils croient à cette théorie. Un peu plus loin, j’entends un couple dire tout le mal qu’il pense de la NASA. Dans le fond de la salle, une femme avec une meute d’enfants semble rassembler son courage pour aborder sa célébrité préférée. Somme toute, tout le monde paraît heureux d’être en présence d’autant de gens appartenant à cette communauté d’esprit.

« Je viens de Calgary, me dit James que j’ai abordé. J’attends cet événement depuis à peu près un an. C’est une expérience plutôt solitaire. On lit des blogues, on regarde des vidéos. Il n’y a personne à qui en parler. La plupart des platistes restent dans le placard parce que le monde se moque ou est condescendant. » C’est un sentiment qui me sera mentionné encore et encore pendant la fin de semaine.

Robbie Davidson s’adresse au public

« C’est vraiment cathartique pour une foule de gens », m’explique plus tard Mark Sargent. « J’ai participé à pas mal de rencontres dans pas mal d’États aux États-Unis. On se sent comme dans une rencontre des A.A. très joyeuse. Chez les A.A., c’est triste d’habitude : tu y vas et tu fais [il prend un ton triste] “Bonsoir, je m’appelle Mark”, mais ici, c’est [il prend un ton joyeux] “Bonjour! Je m’appelle Mark et je suis un platiste!” »

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Le bruit des conversations s’estompe peu à peu alors que les gens se rendent à leur siège. Des écrans affichent un compte à rebours avant l’ouverture officielle de la convention, ce qui donne le sentiment qu’une chose terrible va se produire, mais la foule paraît surexcitée. Dans les dix dernières secondes, quelques-uns chuchotent le décompte. À zéro, la salle est soudainement plongée dans le noir et une vidéo est lancée.

« Ce jour est enfin arrivé, et il marquera l’histoire, dit une voix avec un accent australien. On franchit une nouvelle étape, ici, à Edmonton, en Alberta. »

Un vendeur de marchandise platiste

Bien que les « bombes plates » fusent de toutes parts pendant la convention, j’ai du mal à comprendre ce en quoi — à part que la Terre est plate — croient ces gens. Les raisons pour lesquelles elle serait plate semblent différentes pour chaque conférencier et chaque adepte. Il y a des idées acceptées par bon nombre des membres de cette communauté (la planète est sous un dôme, le pôle Nord est au centre et l’Antarctique est en périphérie), mais plusieurs autres par seulement quelques-uns (Dieu a accroché les autres planètes et les étoiles au dôme en guise de décoration pour l’humanité, par exemple).

Ils utilisent des arguments semblables et font des expériences dans le but de justifier et expliquer leur position, mais arrivent à des conclusions différentes. Tout le monde nous ment, me dit-on, mais qui exactement est ce « tout le monde » ne fait pas non plus l’unanimité : il y a les Illuminati, des reptiles humanoïdes semblables à ceux de David Icke, les bonnes vieilles multinationales. La raison de ce mensonge varie aussi : l’argent, le pouvoir, la volonté de nous éloigner de Dieu. On me dit que les adeptes font leurs propres recherches et tirent leurs propres conclusions, ce qui explique sans doute la profusion d’idées hétéroclites.

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Mais je découvre à quel point le mouvement semble proche de la religion. Des adeptes, comme Robbie Davidson, organisateur de la convention, en sont venus à cette théorie par la voie de la religion, et pour d’autres, ç’a été dans l’autre sens. Quelques-uns (dont un des conférenciers) disent qu’ils ne croient pas en un créateur, mais ils sont rares. On dirait que pour beaucoup, cette théorie, tout comme l’interprétation littérale de la Bible, est une façon de se rapprocher de Dieu.

Je demande aux participants s’ils sont croyants pour voir à quel point le christianisme ou une autre croyance religieuse sont répandus dans la communauté. « Je ne l’étais pas avant » est de loin la réponse la plus populaire.

Le conférencier Rob Skiba devant la foule qui regarde l’une de ses vidéos YouTube

Davidson et quelques autres conférenciers produisent des vidéos dans lesquelles ils relèvent ce qui dans la Bible prouve que la Terre est plate. Ils intègrent à leurs présentations du jargon scientifique, mais, en grande partie, on pourrait confondre leur discours avec le sermon sur la montagne plate. À un moment, l’un des conférenciers avoue même entendre parfois la voix de Dieu. Bref, on se moque de la science et on prend la Bible pour la vérité.

Parfois, la monotonie de la convention est rompue. Une personne d’une station de radio se présente pour discuter avec les platistes. À un autre, la fumée des feux de forêt dans l’ouest déclenche l’alarme d’incendie dans le Fantasyland Hotel, mais le panel persiste et poursuit l’échange malgré le bruit de l’alarme et la voix qui nous dit sans cesse que l’on ne doit pas quitter les lieux. Mais mon moment préféré, c’est lorsqu’un groupe appelé Globebusters nous annonce qu’il va nous époustoufler. Sur l’écran, on nous montre la Terre vue de l’espace (sphérique donc fausse, bien sûr). Ensuite, on la fait tourner, la coupe de moitié et applique un effet miroir. « Regardez ce qui apparaît maintenant! », lance un membre du groupe avec un ton grave, et la foule sursaute. C’est le diable, non?

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Le diable!

« Prenez une minute pour regarder ça. Ce qu’on voit, c’est un tablier franc-maçonnique, un œil qui voit tout, une créature reptilienne faisant penser aux Anunnaki avec une sorte de halo ou de couronne », dit-il au public épouvanté. C’est carrément luciférien, et c’était tout le temps sous nos yeux, il fallait simplement savoir où regarder. Voilà à quoi on fait face. »

S’il est honnête de préciser que ce n’est pas toujours de cet ordre, ce serait mentir que de prétendre que des histoires pareilles ne sont pas à tout le moins fréquentes. Une personne parle d’anges, une autre raconte que si vous accédez à la vérité vous risquez d’être assassiné, etc. En conversant avec Mark Sargent, alors qu’il me parle du rapport à la rigueur scientifique des platistes, je l’interroge à ce sujet.

L’équipe de Globebusters reprend son matériel après sa présentation

« Regarde, la Terre plate, c’est le plus grand test d’ouverture d’esprit. C’est à la fois une bénédiction et une malédiction pour nous, parce qu’une fois que tu t’ouvres à ça, tu es ouvert à n’importe quoi, et ça veut dire que tu ne condamnes aucune conspiration », m’explique-t-il.

L’opposition entre cette communauté et le reste du monde est également un thème qui revient constamment : le public autour de moi connaît un secret auquel le reste du monde n’accède pas parce qu’il est aveugle ou trop con. La catégorie des “autres” comprend les médias et, si la petite délégation de journalistes présents s’est sentie bien accueillie la première journée, ce sentiment change légèrement au début de la deuxième.

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« En voyant la couverture médiatique d’hier, j’ai été complètement atterré », dit Davidson dans son discours d’ouverture de la deuxième journée. Dans les 20 minutes suivantes, lui et d’autres conférenciers s’insurgent contre les médias et, à un moment donné, entre deux salves, un cri solitaire se fait entendre : « Fake Neeeeeeewwwssss! »

Une femme pose une question durant la deuxième journée

Cependant, je suis heureux de constater qu’en dépit de cette étiquette, les gens acceptent encore de me parler; le refrain qu’on entend, c’est : « une mauvaise presse, c’est mieux que pas de presse du tout ». (Je parle même à beaucoup trop de gens pour tous les inclure dans cet article.) Un homme me raconte que sa femme l’a quitté en raison de ses convictions; un autre qu’il est devenu platiste après son divorce; un troisième qu’il est ici tout bonnement parce qu’il est « tombé dans un sacré trou du lapin sur YouTube ». Il y a aussi un garçon avec une casquette en papier d’aluminium qui a été traîné là par ses platistes de parents.

En dehors d’eux, je rencontre des gens que l’on ne s’attendrait jamais à voir dans cette communauté : des hommes et des femmes tout ce qu’il y a de plus ordinaires. L’une pourrait très bien être votre tante, l’autre un ami d’un ami. Je dois dire que je m’attendais à voir de… l’excentricité.

Un jeune participant avec une casquette couverte papier d’aluminium

La personne la plus curieuse que je vois est originaire de la ville d’où je viens, tout près d’Edmonton. On est allés à la même école secondaire et on a quelques connaissances en commun. Cette personne me demande de ne pas la nommer. Elle est nouvelle dans cette communauté — pas encore sûre si elle adhère à la théorie — et n’en a pas parlé à sa famille ni à ses amis. Sans surprise, elle a découvert cette communauté sur YouTube.

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« Je te garantis que tu connais des platistes, mais ils ne te le diront jamais parce qu’ils ont peur d’être ostracisés », me dit Mark Sargent. Après avoir parlé avec une personne qui a foxé les mêmes cours que moi à la même école, il est difficile de ne pas le croire. Si une convention platiste à 200 $ le billet dans une ville comme Edmonton attire 200 personnes, je pense que l’on sous-estime l’ampleur du mouvement.

Toutefois, même si l’on est adulé par les autres platistes, être un leader d’opinion dans la communauté de la Terre plate n’est pas aussi extraordinaire que vous pourriez le penser, si j’en crois mon groupe au pub Sherlock Holmes. Réaliser des vidéos et participer à des podcasts, c’est beaucoup de travail, parfois plus de 12 heures par jour. Et, en plus de la charge de travail, être l’un des visages d’un mouvement aussi ridiculisé peut devenir épuisant. Des platistes ont vécu des drames personnels à cause de leurs convictions, comme une séparation, la famille qui coupe les ponts, des amis qui tournent le dos.

Les conférenciers du dernier panel tentent de fournir aux fidèles une marche à suivre pour bien aborder le sujet du platisme avec les proches et le rejet qui risque de s’ensuivre. Ils en parlent sur un ton léger, mais les tristes anecdotes montrent qu’ils ont payé d’une façon ou d’une autre pour leurs idées.

« Si vous voulez voir se réveiller le psychopathe qui dort en quelqu’un, vous avez juste à lui dire que vous vous intéressez à ça. Vous allez voir la folie s’emparer de gentilles vieilles dames devant vos yeux, prévient Rob Skiba. Votre grand-mère qui est la personne la plus gentille au monde va devenir complètement cinglée. Des personnes que je n’aurais jamais imaginé voir perdre la tête sont devenues folles devant mes yeux. »

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Les conférenciers prennent une photo de groupe à la fin de la convention

Il n’y a toutefois pas que de leurs proches qu’ils doivent s’inquiéter. On me dit que la communauté n’est pas si solidaire et que certains s’attaquent à d’autres platistes autant qu’à des globistes (ceux qui croient que la Terre est sphérique).

« Dans n’importe quel mouvement de recherche de la vérité, on en vient à un point où on pense que tout est une conspiration. Tout, répète Rob Skiba. Trop souvent, il y a des querelles intestines et des gens qui s’accusent les uns les autres. On doit être plus unis. »

De retour au bar, mon petit groupe me prévient d’ailleurs que les complotistes créent des théories du complot à propos des élites platistes. Ainsi personne n’est à l’abri, pas même les personnes qui n’existent pas, comme Rolan Reedy (le personnage de M. Hummer) : des membres de la communauté croient qu’il fait partie d’une opération psychologique orchestrée dans le but de donner l’impression que c’est un mouvement stupide. Mais ce n’est pas vrai, me dit-on. La seule vraie opération psychologique, c’est la Flat Earth Society.

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Après ces sombres propos, la conversation redevient joyeuse. Mes amis ne peuvent pas aller trop loin en ma présence, car je ne suis pas des leurs. Ils doivent rester aux aguets. Ils me révèlent tout de même qu’il y a une personnalité publique de premier plan parmi les platistes (dont ils ne me donneront jamais le nom). Ils me parlent de leur prochain arrêt à Banff, en Alberta. Ils me disent que le studio de Jimmy Kimmel a déjà été une loge maçonnique. Ils me parlent de leur projet d’émission à Discovery Channel.

À la fin de la soirée, après avoir beaucoup jasé et beaucoup bu, je quitte mes nouveaux amis, toujours convaincu que la Terre est une boule. Malheureusement, même si j’ai essuyé bombe plate après bombe plate, je n’ai pas été aplati.

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