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Les photos ont été prises par des gens que l'auteure ne connaît pas

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Crime

Traces de coke et légumes poêlés : les types qui ont volé mon téléphone ont oublié d'effacer leurs photos

Six semaines après le vol de mon téléphone, je l'ai récupéré. Aujourd'hui, j'en sais bien plus sur les mecs qui me l'ont tapé que sur mes propres potes.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
Romain  Gonzalez
traduit par Romain Gonzalez

Lorsque j'allume mon téléphone, une gamine me regarde avec ses grands yeux noirs. Elle ne doit pas avoir plus de deux-trois ans. Rapidement, mon téléphone vibre et un message s'affiche en arabe. Est-ce vraiment mon téléphone ?

Six semaines plus tôt, alors que je prenais le train pour rentrer chez moi après avoir fêté l'anniversaire de mon frère, je me suis réveillée au terminus. J'avais donc dormi sur 50 bornes et, évidemment, des types en avaient profité pour me voler mon sac à dos, mon argent, ma carte d'identité — et, pire que tout, mon téléphone, qui contenait le numéro des gens que j'aimais, des photos que je conservais précieusement, des vidéos du mariage d'une amie.

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Si un jour vous volez mon téléphone, vous en saurez plus sur moi que mes propres parents. Vous comprendrez que j'ai récemment voyagé à Berlin, que je suis allée chez mon dentiste il y a peu, et quels pubs j'affectionne. Vous lirez les textos que j'ai envoyés bourrée à un ami, vous saurez que je déteste l'une de mes collègues, et que j'ai du mal à payer mes factures.

Mais j'ai été chanceuse. Un mois et demi plus tard, alors que j'avais porté plainte auprès de la police de Cologne, en Allemagne, j'ai reçu un appel – mon téléphone avait été retrouvé (oui, ça arrive). Le problème, c'est qu'une fois mon téléphone en main, il ne ressemblait plus vraiment à mon téléphone. En effet, il contenait de nombreuses photos prises par les malfaiteurs – et évidemment, je n'ai pas résisté à l'envie de vous les partager.

En parcourant ces images, je suis tombée sur une photo d'un homme avec ses enfants. Sur une autre, ce même homme prenait la pause tel un mec important. Mater ce type était clairement bizarre, mais ma gêne a rapidement disparu quand je me suis souvenue que ce mec avait volé mon téléphone – après tout, je pouvais me moquer sans culpabiliser. Je suis également tombée sur une photo représentant la grand-place du village de Bergheim, à 40 kilomètres à l'ouest de Cologne, et sur une vidéo mettant en avant une petite fille et un adolescent très excités à l'idée de bouffer un McDonald's.

La grand-place de Bergheim

J'ai parcouru les nouvelles applications – une application sportive en arabe, un jeu appelé Fighting Tiger, une application lampe-torche. Sur Messenger, j'ai pu parcourir l'ensemble des conversations des voleurs. J'y ai trouvé de l'allemand, de l'arabe, du français, de l'italien, et de l'anglais. Pas de doute, j'avais affaire à un génie des langues (ou à une dizaine de types participant à Jeux sans frontières).

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Certaines discussions étaient somme toute banales, tandis que d'autres étaient clairement glauques. Dans l'une d'elles, le voleur demandait à une femme si elle voulait voir sa bite, tout simplement. Lasse, j'ai jeté le téléphone sur mon lit, au loin. Cette femme ne désirait évidemment pas voir son phallus, comme la plupart des femmes à qui l'on demande une telle chose.

Une notification issue d'une application. Le message signifie : « Les raisons pour lesquelles les troupes marocaines ne cherchent pas à empêcher une attaque du Front Polisario. »

En poussant plus loin mes recherches et en fouillant dans l'application Telegram, j'ai trouvé de nouvelles photos mettant en évidence un autre type. Souriant, à l'allure d'un coach de foot d'une trentaine d'années, ce type était présent sur des dizaines de photos. Amoureux des mèmes, ce mec semblait également assez fan des chats, et avait été invité à une soirée sur Facebook (il avait effectué une capture d'écran pour s'en souvenir, semble-t-il). Sinon, je suis tombée sur une photo d'une plage, et sur une autre à la gloire d'une grosse poêlée de légumes.

Mais ce type semblait ne pas être si sain que ça : il avait en effet pris soin de se prendre en photo devant un miroir, avec une affiche de Rambo, une trace de coke, des pilules et un billet de 50 euros. En gros, j'en savais beaucoup trop sur ce mec : j'ai pu consulter sa carte de crédit, connaître sa ville de naissance, son numéro d'immatriculation, ses endroits préférés pour sortir. J'ai même pu entendre le son de sa voix, vu qu'il avait laissé des messages vocaux sur Telegram.

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En gros, j'ai compris que deux types avaient été en relation avec mon téléphone depuis son vol. Le premier, un père de famille, semblait être un gars sans histoire, qui avait dû se contenter de l'acheter (les dates en lien avec les photos et vidéos étaient en effet les plus récentes). En revanche, et assez étrangement, les photos avec la coke et Rambo dataient d'il y a six mois, soit bien avant le vol ! Quelqu'un avait dû insérer une carte SD dans mon téléphone afin de les télécharger dessus. Pourquoi ? Aucune idée.

De la coke, Rambo, un miroir, et mon téléphone volé

Lorsqu'on m'a volé mon portable, je me suis sentie nue. Maintenant qu'on me l'a rendu, je me sens sale. La vie de deux inconnus m'est totalement exposée – pourquoi n'ai-je pas pu m'empêcher de fouiller ?

« C'est ce qu'on appelle une stratégie d'adaptation », m'explique Stefan Grimm, psychologue à Cologne, lorsque je lui demande d'apporter un éclaircissement sur ce que je ressens. « Vous avez l'impression que votre sphère intime a été envahie et vous avez inversé les rôles en votre faveur. Vous avez fait des criminels des victimes, ce qui vous aide à regagner le contrôle et vous donne un sentiment de sécurité. »

J'éteins le téléphone et le range dans un tiroir. Je n'en ai plus besoin – j'en ai acheté un nouveau quelques jours après qu'on m'a volé l'ancien. Mais alors que le téléphone est caché au fond d'un tiroir, les images de ces autres vies que la mienne me restent en tête. En particulier celle de l'aficionado de la cocaïne, dont je connais l'adresse. Je pourrais lui passer un coup de fil – mais pour lui dire quoi ? « Salut, j'ai trouvé tes données personnelles dans mon téléphone et je sais tout de toi » ?

Au lieu de quoi j'appelle le bureau du procureur et le service de police de Cologne afin d'en savoir un peu plus sur les conditions dans lesquelles mon téléphone a été retrouvé. Le fait que j'ai signalé le vol de mon téléphone importe peu pour les autorités – elles n'ont pas besoin de moi comme témoin, et ne veulent pas me préciser les raisons de leur enquête. Quoi qu'il en soit, mon cas passe inaperçu. La police de Cologne m'explique que même s'il existe des preuves contre un voleur, les frais de poursuite l'emportent souvent sur la peine dont il pourrait écoper – en particulier pour les délinquants de base ou pour le vol de petites marchandises. Je ne pense pas que la police de Cologne et moi-même soyons d'accord sur la définition d'une « petite » marchandise. Mon téléphone n'était peut-être pas très grand, certes, mais il contenait l'intégralité de ma vie privée. Et de la leur.

J'ai décidé d'écrire aux deux mecs sur Facebook, sachant qu'au moins l'un d'entre eux pourrait être un criminel (et un criminel qui sait tout sur moi). « Salut, j'ai trouvé tes données sur le portable qu'on m'a volé et qui m'a été retourné. Peux-tu m'expliquer comment elles sont arrivées là ? » Aucun d'eux ne m'a répondu. Mon message est probablement coincé dans la boîte de réception de leur autre application Messenger, là où vont tous les messages de personnes que vous ne connaissez pas. Pour être sûre qu'ils voient le message, je vais devoir les ajouter comme amis sur Facebook. Mais je pense en avoir assez vu pour le moment.