Arnoldas : J’ai commencé à expérimenter la photo quand j’avais 16 ans. C’est un moyen assez direct d'interagir avec les autres et de m’exprimer. Je photographiais des ami·es et passais beaucoup de temps dans un laboratoire photo pour essayer toutes sortes de techniques d’impression.
« Mon livre est un objet complexe qu’on peut toucher, entendre et sentir. Il offre une manière cohérente de présenter une sélection de mon travail avec un certain rythme. Il permet une expérience intime et directe qu’on peut continuellement revivre. »
Je ne divise pas vraiment mon travail en projets. Je ne conceptualise pas avant en me disant « OK, ça c’est l’idée, maintenant construisons le travail autour. » C’est très instinctif. Toutes les prises de vue se font à des moments physiques distincts, mais je réédite constamment mon travail comme un tout, au fur et à mesure de mon évolution. Je suis influencé par mes expériences personnelles, l’art, les voyages, les évolutions sociétales, ce qui fait que mon travail et ma perception évoluent constamment. Je peux faire des sélections spécifiques pour une exposition ou un article, mais en soi il n’y a qu’un seul « projet » sur lequel je travaille.J’ai fait ce livre parce que partager mon travail sur internet ou dans des expositions me semblait trop éphémère. Je trouve que les réseaux sociaux, de plus en plus contrôlés par des algorithmes et opprimés par la censure, offrent une consommation de l’art dispersée et chaotique. Mon livre est un objet complexe qu’on peut toucher, entendre et sentir. Il offre une manière cohérente de présenter une sélection de mon travail avec un certain rythme. Il permet une expérience intime et directe qu’on peut continuellement revivre.
L’ombre, en plus d’être un élément fondamental de la photographie, reflète quelque chose que la conscience essai de combattre, de cacher, de repousser. Visuellement parlant, les ombres dialoguent avec les formes du corps dans le livre. Il y a aussi un aspect conceptuel et personnel qui est de révéler mes préoccupations intimes, de dialoguer avec mes propres ombres, mais pas de manière sombre. Cet aspect est incarné vers le début du livre par la photo d’un miroir dans l’eau. C’est comme une métaphore de moi-même qui regarde vers mon propre intérieur.
Le corps masculin me fascine, m'obsède. J’aurai du mal à choisir des termes spécifiques pour qualifier la nature de cette obsession. Peut-être que je devrais faire une centaine de séances avec un thérapeute pour comprendre pourquoi ? Quand j’en viens à représenter le corps d’une certaine façon, je ne le fais pas de manière consciente. Je place le corps dans un espace et je travaille la lumière et la perspective. Je ne saurais pas expliquer comment ces choses et ces images se produisent. Peut-être que j’essaye simplement de montrer le corps nu, qui est un sujet chargé en sens, et de transcender la nudité sans pour autant l’effacer. Je dirai que mon intention c’est d’être honnête avec moi-même, avec les autres, et de surpasser la simple nudité et la simple beauté.« Mon intention c’est d’être honnête avec moi-même, avec les autres, et de surpasser la simple nudité et la simple beauté. »
Ce sont des amis, amis d’amis ou des gens que j’ai contacté par le biais des réseaux sociaux pour des collaborations. Ces dernières années, j’ai beaucoup plus travaillé avec le même cercle de personnes car il y a une confiance mutuelle, et je suis capable d’entrer dans un flow avec eux.
Comment interroges-tu la masculinité ?« Je ne suis pas sûr de questionner la masculinité, peut-être que j’en montre juste une facette sous-représentée ? »
Je ne suis pas sûr de questionner la masculinité, peut-être que j’en montre juste une facette sous-représentée ? En effet, ça questionne une des masculinités qui existent. Mais je ne réfléchis pas à la manière dont je vais défier la masculinité avant les shoots. Je suis mon instinct et les formes qu’il y a devant mon appareil photo.
J’ai déjà travaillé avec des modèles féminins et je travaillerais certainement à nouveau avec elles, mais je suis plus enthousiasmé par le corps masculin. Probablement parce que je le connais mieux et que je veux continuer à le connaître encore plus.
Dans tes photos les corps semblent devenir des formes où le sujet s’efface. Comment tu perçois l’abstraction vis-à-vis de ton travail ?« Je pense qu’une photographie est bien plus impactante si elle fait s'arrêter longtemps les gens qui la regardent, si elle soulève des questionnements, si elle transporte l’oeil et l’esprit et transcende l’évidence. »
Je pense qu’une photographie est bien plus impactante si elle fait s'arrêter longtemps les gens qui la regardent, si elle soulève des questionnements, si elle transporte l’oeil et l’esprit et transcende l’évidence. Les abstractions offrent plus souvent cet espace où une forme de magie peut se produire.
La chair est captivante. Les poils, les tâches, les nuances, les empreintes, les cicatrices sont des éléments très intrigants. Je ne cherche pas à montrer un aspect « documentaire » de la peau. Plus on se rapproche, plus celle-ci devient abstraite et picturale. Dû à cet aspect visuel, les images close-ups de la peau viennent dialoguer avec les photos de corps en ajoutant un certain rythme au livre, sans en modifier l’harmonie.
Tu es né en Lituanie et tu as beaucoup voyagé, est-ce que ce mouvement géographique a influencé ton travail ?« Le fait de rester dans des pays différents et d’avoir un réel accès à des cultures influence les perceptions et les convictions. »
Même si des cultures partagent certains modèles et certains symboles, le fait de rester dans des pays différents et d’avoir un réel accès à des cultures influence les perceptions et les convictions. Je pense que, quelles que soient mes expériences, elles influenceront mon art.
J’aimerai aller plus loin dans ma recherche sous l’eau, explorer le corps en relation avec la surface de l’eau et les réflexions que ça produit. Je ferais probablement un livre là-dessus, mais il est encore trop tôt pour planifier. Pour l’instant j’ai trois expositions prévues cette année. La première, la plus importante, porte le même titre et présentera une partie des photographies du livre.L’exposition « (H)OMBRES » se tiendra au CAW (Walferdange, Luxembourg) du 19 Septembre au 4 Octobre. Vernissage le 18 Septembre à 19h.