Santé

Bonne nouvelle : la science derrière le Blue Monday est bidon

Le jour le plus déprimant de l’année n’est qu’une invention marketing calculée à l’aide d’une formule mathématique absurde.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
blue monday
PHOTO : JOVO JOVANOVIC VIA STOCKSY

Le Blue Monday. Il désigne généralement le troisième lundi de janvier et serait le jour le plus déprimant de l'année, tel que calculé à l'aide d'une formule scientifique compliquée. C'est logique quand on y pense : Noël et le Nouvel An sont passés, tout le monde est fauché et en ramasse. Vivement la Saint Valentin

Inventé en 2005, le concept est d’abord apparu dans un communiqué de presse de l’agence de voyages Sky Travel. Il a ensuite été relayé par les médias britanniques, avant d'être repris dans le monde entier chaque année en janvier. Mais sur quoi repose réellement le Blue Monday, si ce n'est sur la nécessité pour Sky Travel de vendre plus de séjours ? 

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Ce n'est pas parce qu’il s’agit d’un communiqué de presse que les calculs sur lesquels il se base sont forcément bidon. Pour l'observateur occasionnel, la formule pourrait très bien être valable, non seulement parce qu'elle est soutenue par le psychologue Cliff Arnall de l'université de Cardiff, mais aussi parce qu'elle semble relativement compliquée :

Tt = temps de trajet ; D = retards ; C = temps consacré aux activités culturelles ; R = temps passé à se détendre ; ZZ = temps passé à dormir ; St = temps passé dans un état de stress ; P = temps passé à emballer ; Pr = temps passé à se préparer. 

Les mathématiques me donnent des sueurs froides, alors je demande un coup de main à mon ami Matthew, qui travaille dans la finance. Il trouve d’emblée des erreurs. « Pour commencer, en langage mathématique, ‘ZZ’ signifie en fait ‘Z multiplié par Z’ et s'écrit ‘Z2’, explique Matthew. Ici, ils l'utilisent pour définir une seule métrique : le temps passé à dormir. Je veux bien que ZZ soit plus drôle parce qu'il représente le ronflement, mais je doute de leur dévouement à la pureté mathématique. »

La morsure de la solitude

Mais revenons à la formule. Le premier terme est simplement le rapport entre le temps passé à faire des choses agréables (dormir, se détendre) et le temps passé à faire des choses désagréables (être stressé, voyager). Ainsi, si vous passez plus de temps à faire des choses agréables, vous obtenez un ratio plus élevé, et vous vous rapprochez de 400, ce qui semble être l'objectif de toute la formule. Apparemment, le nombre 400 est l'objectif du bonheur et si vous le dépassez, vous êtes heureux.

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« Le problème est que l'on peut faire capoter toute la formule en ajoutant le temps passé à emballer multiplié par le temps passé à se préparer, quoi que cela signifie, explique Matthew. Imagine que l'ensemble du premier terme soit égal à deux. Tu passes deux fois plus de temps à faire des choses agréables que des choses désagréables. Tu passes aussi 20 heures à faire tes valises et 20 heures à te préparer. Au total, cela fait 2 + (20 x 20) = 402. Mais que se passe-t-il si tu passes deux fois plus de temps à faire des choses désagréables et que tu passes aussi 20 heures à faire tes valises et 20 heures à te préparer ? Au total, cela fait 0,5 + (20 x 20) = 400,5. Malgré ta vie de merde, tu es quand même très heureux parce que tu as fait ton sac. »

Donc, selon cette formule, même si vous ne dormiez qu'une heure, vous pourriez obtenir à peu près le même taux de bonheur que si vous dormiez huit heures et que vous étiez vraiment détendu, à condition d’avoir passé quelques heures à faire vos bagages. C’est noté.

« La deuxième formule est tout simplement stupide, poursuit Matthew. Comment peux-tu ajouter la météo à la dette nette ? L'une est mesurée en fonction de la vitesse du vent, l'autre en fonction de la livre sterling. C'est comme essayer d'ajouter ta vitesse de course à la couleur d'une pomme. » 

La façon dont la date du Blue Monday est calculée est donc une connerie. Qu'en est-il de l’universitaire qui l'a défendue ? 

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Peu après la naissance du Blue Monday, un article du Guardian a révélé que la société Sky Travel avait approché autant d'universitaires que possible, leur offrant de l'argent en échange de la mention de leur nom. Cliff Arnall a accepté. Peu après que le scandale a explosé dans les médias, une correction est apparue sous l’article : « L'Université de Cardiff nous a demandé de préciser que Cliff Arnall est un ancien professeur à temps partiel de l'université qu'il a quittée en février. » 

Depuis, le Blue Monday est devenu un clickbait (sept façons de battre le Blue Monday !), mais il n’est pas aussi inoffensif qu'on pourrait le penser. MIND, la principale organisation caritative pour la santé mentale en Grande-Bretagne, a passé les quinze dernières années à essayer de l’ignorer le plus possible, estimant qu'il s'agissait tout au plus d'un peu de psychologie de comptoir. 

« Le problème est que le Blue Monday contribue à alimenter les idées fausses sur la dépression et banalise une maladie qui peut mettre des vies en danger. Une personne sur six souffrira de dépression au cours de sa vie », déplore Stephen Buckley, responsable de l'information à MIND. L'organisation caritative a décidé de l'utiliser à son avantage, en touchant ceux qui peuvent être aux prises avec la dépression ou l'anxiété et en sensibilisant le grand public grâce au hashtag #BlueAnyday

« Nous voulons rappeler aux gens que la dépression peut survenir à tout moment et que nous restons disponibles pour les aider tout au long de l'année. Il y a bien sûr des raisons qui peuvent pousser les gens à se sentir déprimés à cette période de l'année, comme les difficultés financières d'après Noël, les résolutions du Nouvel An non tenues, le mauvais temps et les journées trop courtes. Mais la dépression n'est pas un événement d'un jour seulement, ajoute Buckley. Elle peut être extrêmement débilitante, avec des symptômes allant de l’insomnie à l’incapacité à envisager l'avenir, en passant par les pensées suicidaires. » 

Comme le souligne MIND, nous ne devons pas oublier que la dépression est un combat bien réel. Plutôt que de l'ignorer ou de l'écarter, nous devrions en profiter pour tendre la main à quelqu'un qui va mal. Appelez cet ami qui est déprimé et voyez s'il veut aller déjeuner. Écrivez à ce cousin dont vous avez entendu dire qu'il traversait une mauvaise passe. À défaut, ne vous laissez pas prendre au piège et réservez vos prochaines vacances. Mais attendez jusqu'à mardi, ne serait-ce que pour le principe.

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