Les Français sont de moins en moins croyants. En 1947, 66% d’entre eux déclaraient croire en Dieu. En 2021, ils ne sont plus que 49%, selon un sondage Ifop pour l’Association des journalistes d’information sur les religions (Ajir). Pourtant, un chiffre m’a étonné : 48% des 18-34 ans continuent de croire en Dieu, après les 65 ans et plus (58%). Cette tendance, qui n’avait pas été observée depuis 40 ans, concernerait toutes les religions.
Pour comprendre ce possible retour de la religion chez une jeunesse qu’on estime souvent à tort matérialiste et obsédée des réseaux sociaux, j’ai rencontré Johanna, Timothée et Motasem – respectivement juive, chrétien catholique et musulman. Ils parlent du lien qu’ils entretiennent à la religion, son importance dans leur vie et ce que cela signifie d’être jeune et croyant en 2021.
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Timothée, 23 ans, travaille pour un organisme de formation à Marseille et est chrétien catholique. Il suit le culte de l’Église de Rome, le Vatican.
« À l’origine, c’est une transmission. Je dois beaucoup à mes parents pour ça. Ils m’ont transmis leur foi et m’ont élevé selon les valeurs du catholicisme. Ils m’ont incité à participer à des groupes de jeunes et au catéchisme. Ça a été la petite graine qui m’a donné envie de creuser. Quand j’avais 12 ans, j’ai participé à un groupe de prières avec des moments assez forts. Lors d’une messe, en contemplant l’hostie (ndlr : pain sans levain donné lors de la messe), j’ai eu la conviction que c’était Dieu en face de moi. J’ai pleuré pendant 4 heures. Je me suis demandé pourquoi ça m’arrivait à moi, ce que j’avais fait pour mériter ça. C’était assez bouleversant. Après ça, j’ai grandi avec la conviction que je n’étais pas tout seul. C’est là que mon chemin personnel a commencé. Ce n’était plus une transmission, c’était moi avec Dieu. C’était une révélation : ma vie était entre les mains de Dieu. J’ai réalisé qu’il m’aimait et qu’il avait un plan d’amour pour moi et que je pouvais lui faire confiance. Si je suis chrétien catholique, c’est parce que je suis libre de l’être, ce ne sont pas mes parents qui me l’imposent.
« Ma religion, j’en suis heureux et ça me rend fier »
J’essaie d’être à l’écoute de la parole de Dieu, en lisant la Bible et en pratiquant les sacrements proposés par l’Église catholique (ndlr : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la réconciliation, l’onction des malades, l’ordre et le mariage). J’ai fait toutes les étapes du baptême à la confirmation. Soit je fais la prière des heures (ndlr : prière quotidienne chrétienne répartie en plusieurs moments de la journée), soit j’essaie de lire la parole du jour ou d’avoir un long temps de silence. C’est un peu comme de la méditation. Je fais aussi de la formation. C’est important de se former, de comprendre. Je participe à des conférences chez les dominicains (ndlr : l’ordre dominicain est un ordre religieux). Enfin, il y a la mission. Ce que je vis, c’est un trésor en moi. C’est quelque chose qui me rend profondément heureux et c’est un peu difficile de le garder pour soi. J’ai envie de le partager. La mission, c’est d’être capable d’apporter, par tes gestes, ta parole ou ta présence, un peu de réconfort à des gens. Concrètement, ça veut dire s’investir dans des maraudes ou dans des associations où tu peux faire de l’écoute auprès de gens qui souffrent.
Ma religion, j’en suis heureux et ça me rend fier. Ce qui devient chiant, c’est quand on t’attaque pour ça. Sur certains sujets de société, on est assez facilement rangé dans des cases. Les gens mélangent un peu tout. Pendant mes études en sciences politiques, on m’a demandé si j’étais homophobe, ce que je pensais de l’avortement ou on m’a fait des blagues sur les prêtres pédophiles. C’est une réalité qui me fait souffrir. C’est pour ça que c’est important de se former, de comprendre pourquoi l’Église tient des positions qui peuvent parfois avoir une valeur conservatrice au yeux du monde et ainsi se positionner et adhérer ou non à ces idées.
L’Église, ce n’est pas une institution infaillible. Elle doit aussi évoluer et j’espère participer, avec tous les jeunes de ma génération, à ce qu’elle grandisse, à ce que sa voix puisse être entendue par la société. Dans ma foi, on dit souvent que l’Église est le corps du Christ. Et bien moi, je me sens corps avec l’Église et c’est aussi de ma responsabilité de la défendre quand elle est attaquée. Non pas de la défendre à tort mais d’essayer de comprendre et de m’associer à sa douleur, et à la douleur des victimes, quand elle est coupable.
Ma religion, c’est ma foi. Et la foi, avant tout, c’est une relation d’amitié avec un dieu qui est présent, qui m’aime et qui veut mon bien. Je vis ma foi comme une relation avec Dieu que j’essaie d’entretenir au quotidien. Et ça va dans les deux sens : je l’écoute et il m’écoute. C’est un dialogue. »
Motasem, 24 ans, vit à Créteil et étudie à la Sorbonne, originaire de Jordanie et de confession musulmane.
« Je fais les cinq prières par jour, tous les jours. Le vendredi, je vais à la mosquée. C’est un jour spécial : il y a le serment puis la prière. Il y a aussi le mois du ramadan où je jeûne de l’aube jusqu’au coucher du soleil. Je lis régulièrement le Coran. Ce n’est pas une obligation mais je le lis presque tous les jours parce que ça me fait du bien. J’aimerais bien faire le pèlerinage à La Mecque. Puis, il existe aussi la Zakat, de l’argent que l’on donne aux pauvres (ndlr : une fois par an, tout musulman dont la richesse dépasse le Nissâb, épargne minimal fixée selon le cours de l’or, doit s’acquitter de 2,5% du montant total de ses avoirs). Ça concerne ceux qui ont un minimum d’argent liquide.
« J’ai un tapis de prière dans mon sac. Quand je ne l’ai pas, je mets un cahier. Il faut juste avoir quelque chose de propre »
J’ai eu une éducation religieuse et je suis pratiquant depuis mon enfance. Je faisais toutes les prières obligatoires. Depuis 2 ans, je suis plus croyant et pratiquant. En fait, j’ai commencé à me renseigner sur les autres religions, je voulais m’assurer que j’étais sur le bon chemin. Après ça, je suis devenu davantage convaincu de ma religion. Dans mon pays, en Jordanie, c’est plus facile de pratiquer la religion puisqu’il y a des endroits partout pour faire la prière. Ici, en France, c’est plus compliqué et ça m’arrive d’en rater une mais je la fais toujours avec la prière suivante. J’ai un tapis de prière dans mon sac. Quand je ne l’ai pas, je mets un cahier. Il faut juste avoir quelque chose de propre.
En France, on ne peut pas toujours parler de religion avec la laïcité. La plupart des gens que je rencontre ici sont athées alors que dans mon pays, les jeunes sont quasiment tous pratiquants ou du moins croyants. Tous mes amis ou presque font le ramadan et les cinq prières par jour. Ils se sentent mieux ainsi, plus religieux. Je ne parle pas trop de ma religion avec les autres. Pour moi, c’est une chose personnelle. Si quelqu’un me demande, je lui réponds avec plaisir mais sinon, je garde ça pour moi.
Pour moi, la pratique de la religion, et surtout la prière, c’est un lien direct avec Dieu. C’est pour ça que je fais la prière tous les jours. Je me sens bien, serein, à l’aise avec moi-même. Il n’y a pas d’intermédiaire, je parle directement avec Dieu. Ça m’apporte de la tranquillité, de la sérénité. »
Johanna, 22 ans, vit à Enghien-les-Bains et travaille dans l’immobilier. De confession juive séfarade (ndlr : les Séfarades sont originaires du pourtour méditerranéen. Les Ashkénazes, eux, sont originaires des pays d’Europe centrale, orientale et du nord).
« Je suis pratiquante traditionaliste mais je ne suis pas religieuse (ndlr : elle ne porte pas de jupe longue, ni la perruque ou le foulard). Je mange casher (ndlr : manger casher signifie entre autres ne pas manger de porc, tuer les animaux d’une certaine manière ou encore ne pas consommer de la viande et du lait en même temps) et je ne travaille ni le vendredi soir ni le samedi. Je vais à la synagogue de ma ville à chaque fête religieuse (Kippour, Hanouka, Roch Hachana, Pourim…etc). En général, j’y vais accompagnée de ma famille ou d’amis. À l’intérieur, les hommes et les femmes sont séparés pour y suivre la prière faite par le rabbin. Chaque vendredi soir, à la tombée de la nuit, je pratique le chabbat (ndlr : fête juive célébrée le septième jour de la semaine juive, c’est-à-dire le samedi. Signifie le « repos »). Si un rendez-vous doit se tenir un vendredi soir, il sera reporté automatiquement.
« Être croyante et pratiquante en 2021, c’est un exploit »
Je ne me suis pas tournée vers la religion mais c’est plutôt Dieu qui s’est tourné vers moi. Ma famille est très pratiquante et, depuis mon plus jeune âge, je fréquente le Talmud Torah (ndlr : l’étude de la Torah, similaire au catéchisme chez les catholiques) chaque dimanche matin, par choix. En grandissant, j’ai commencé à me poser des questions et à me renseigner auprès de ma professeure de Torah et du Consistoire (ndlr : institution représentative de la religion juive de France), en passant mes examens de Torah. Je l’étudie et j’espère en apprendre davantage sur l’histoire du judaïsme et celle de mes ancêtres. La religion m’apporte un réconfort, une sécurité et une paix indescriptible. Dieu est mon allié dans les bons comme dans les mauvais moments et je le remercie chaque jour de la chance que j’ai d’être en vie. Je deviens une meilleure personne grâce à lui.
Être croyante et pratiquante en 2021, c’est un exploit. Un bon nombre de personnes dans mon entourage ont tenté de m’éloigner de la religion. Mais ça n’a jamais fonctionné. Je suis heureuse d’être pratiquante. Ma famille, mes amis et mes collègues ont connaissance de ma religion et de ce qu’elle représente pour moi. J’ai des amis et des collègues musulmans, chrétiens ou même athées, et nous respectons chacun nos convictions religieuses. Nous en parlons librement. Je suis autant à l’aise d’en parler avec quelqu’un qui a les mêmes convictions que moi qu’avec quelqu’un qui ne connaît rien sur le judaïsme. C’est d’abord un plaisir d’en parler et un devoir. »
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