Muramar a écrit ses premiers textes de rap en 2014, l’année où les djihadistes de l’EI se sont emparés de sa cité, deuxième ville d’Irak après la capitale Bagdad. Contraint à l’exil au Kurdistan irakien puis en Espagne, il s’est plongé dans l’écriture pour « surmonter la dépression et la souffrance de l’exil (...) En Espagne ou ailleurs en Europe, les grands médias ne parlaient que de Mossoul comme la capitale du califat de Daech. Mais cette ville dont tout le monde parlait, c’était la mienne. C’était très violent pour moi et le rap m’a permis de mettre les mots sur l’horreur que subissait ma ville natale », explique le jeune homme blond aux yeux bleus.« Ici, il n’y a plus de colombes de la paix mais seulement de la douleur. Ici, on s’endort avec des cadavres sous les décombres. Une ville pure où les habitants ont été condamnés à mort. Chaque maison abrite les fantômes des martyrs et des orphelins. Il n’y a plus de fleurs qui jonchent le sol mais seulement des mines. Mourir est devenu la norme, les djihadistes vous enterrent avec leurs bombes. Au diable ces drapeaux qui nourrissent des illusions. Mossoul allait bien et maintenant, la ville est devenue un cimetière de la paix. »
Le rap, un exutoire face à la terreur djihadiste
« J'ai très peur pour lui car la situation est toujours instable en Irak. Il y a des groupes religieux qui rejettent ce genre de pratique artistique, et je crains beaucoup pour sa sécurité » – Yoursa
Rapper, un affront au conservatisme irakien
« Le prix du pétrole est plus cher que mon sang »
« Ils ont tué nos frères d’une balle dans la poitrine. Un symbole pour les générations futures. Les corps meurent mais les idées continueront de vivre. Notre réalité est une jungle et nos gouvernants sont des bâtards. Ces gens sont des menteurs qui étouffent la vérité. Je vis dans un pays où le prix du pétrole est plus cher que mon sang. Détruisez tout et faites ce que vous voulez car personne ne vous en tiendra rigueur. »
En octobre 2019, dès les premières heures de la révolte, Qutayba et des milliers de jeunes diplômés des universités de Bagdad sont descendus massivement sur la place Tahrir pour réclamer des emplois à leurs gouvernants. Car selon le dernier rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT), le chômage touche plus de 25% des 15-24 ans, une tragédie dans un pays où 60% de la population a moins d’un quart de siècle. Comme la plupart de ses amis, eux aussi diplômés des universités de la capitale, Qutayba vit de petits boulots alimentaires faute de trouver un emploi dans le domaine de l’enseignement. Des perspectives d’avenir avortées pour sa génération que Qutayba raconte ici.« Beaucoup d’Irakiens veulent changer le pays mais finissent par se satisfaire du peu qu’on leur donne » – Qutayba
« Bonjour à tous les diplômés qui, comme moi, cherchent un emploi. Alors mon conseil, oublie tes rêves et devient ouvrier. (…) Allô, bonjour Qutayba, notre société cherche un nouvel employé. Vous allez rencontrer Monsieur le directeur afin qu’il puisse vous connaître. Je mets mes plus beaux vêtements, je cire mes chaussures et je me parfume tout le corps. Le jour de l’entretien, le directeur me dit: “Je vous tiens au courant”. Comme d’habitude, je connais la réponse. (…) Ça me fait vraiment chier car jour après jour, je suis épuisé par cette vie. »
« Les Irakiens veulent la paix et la guerre en même temps »
Cette nouvelle génération d’Irakiens a connu l’invasion américaine de 2003, le sang des guerres confessionnelles et le groupe État islamique sur leur sol. Héritiers d’un passé trop lourd, ces jeunes ne veulent pas reproduire la même trajectoire que leurs aînés. Le rap est une arme dans cette quête de liberté. Reste à savoir si la société irakienne et ses leaders politiques et religieux pourront tolérer une telle audace. Sarah est sur Twitter.VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.« J'ai eu de l’espoir mais nous restons figés dans la contradiction. Personne n’a été notre sauveur. Ceux qui ont essayé de changer les choses ont maintenant tourné leur veste (…) La paix n’est qu’un rêve (…) Si le poids de la tristesse devient trop lourd. Affronte la réalité de mille façons jusqu'à ce que tu sois à terre. Mais ne te laisse pas contrôler comme une carte parce qu'ils l’utilisent puis la jettent. Je te donne la connaissance. Tu as un libre arbitre par nature. Mais tu préfères suivre les plus forts même s’ils ont tort car tu veux avoir du pouvoir (…) Les plus forts ont levé un verre de vin rempli de notre sang. »
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