Société

De l’enfer d’être gay dans les gangs du Salvador

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La réunion s’est déroulée dans une prison qui abrite le quartier général du MS-13, un gang de rue notoire et violent du Salvador. Certains de ses plus hauts dirigeants, connus sous le nom de la Ranfla, étaient présents. Ils avaient une décision importante à prendre : tuer ou non un membre du gang.

Deux dirigeants de niveau intermédiaire, El Baxter et El Medias, soupçonnaient ledit membre, El Fénix, de faire quelque chose d’impardonnable au regard des lois du MS-13. El Fénix était gay.

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El Baxter, El Medias et El Fénix, appartenaient tous les trois à une clica, ou cellule, appelée San Cocos. Lorsque les deux premiers sont allés solliciter la Ranfla, celle-ci leur a assuré qu’elle avait des preuves de l’homosexualité du dernier. Une enquête menée sur lui a montré qu’il essayait de « détraquer » d’autres jeunes. En d’autres termes, qu’il essayait d’avoir des relations sexuelles avec eux au sein de la prison.

El Baxter et El Medias ont raconté avoir vu El Fénix toucher les parties génitales d’autres membres du gang alors qu’ils regardaient la télévision ensemble dans la cellule. El Fénix avait le rang de « responsable de programme » et était à la tête d’un groupe de chefs d’autres cellules de gangs. Son rang était à peine inférieur à celui des chefs de Ranfla.

Pour confirmer leurs dires, El Baxter et El Medias ont même tendu un piège à El Fénix : ils ont autorisé un autre membre du gang à recevoir une fellation de sa part pendant que les autres regardaient secrètement.

El Croock, l’un des dirigeants présents à la réunion ce jour-là, était d’avis qu’il fallait tuer El Fénix. « Si vous êtes sûrs de ce que vous dites, alors je ne vois pas d’inconvénient à le tuer. Faites-le nous simplement savoir et, s’il vous plaît, évitez de le faire au couteau », a-t-il déclaré, selon les transcriptions tirées des documents judiciaires que nous avons consultés.

C’était en décembre 2012 et à cette époque, les gangs avaient accepté une trêve avec le gouvernement salvadorien : des avantages carcéraux en échange d’une réduction des meurtres à travers le pays. Le gang se tenait à carreau.

Deux semaines après cette réunion, le 8 janvier 2013, ils ont évacué tous les membres de gangs détenus dans le secteur 3 de la prison, à l’exception d’El Fénix. Dix membres du gang MS-13 sont entrés dans sa cellule, dont plusieurs dirigeants de la Ranfla.

El Croock a maîtrisé El Fénix en l’étranglant, tandis que d’autres membres du gang le tenaient par les bras et les jambes, a raconté un témoin devant un tribunal du Salvador. Ensuite, El Baxter et un autre chef de gang lui ont donné des coups de pied dans l’estomac. El Fénix a résisté, mais El Croock a donné l’ordre de lui mettre un sac en plastique sur la tête jusqu’à ce qu’il étouffe.

Lorsqu’il est mort, les membres du gang ont monté son corps au deuxième étage du secteur 3 et l’ont jeté par-dessus la balustrade. Sa tête dégoulinait de sang. Ses deux anciens camarades l’ont alors emmené en urgence à l’infirmerie, en criant qu’il était tombé du toit alors qu’il étendait son linge au soleil.

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Image tirée du documentaire Imperdonable, sur les membres homosexuels des gangs de rue salvadoriens MS-13 et Barrio 18.

Cette histoire a été rapportée devant la justice salvadorienne en décembre 2019 par un membre du gang qui a décidé de trahir le groupe en échange d’une réduction de peine pour son rôle dans le meurtre. Le cas d’El Fénix n’est pas unique, mais la visibilité des membres de gangs ouvertement gays au Salvador était pratiquement inexistante jusqu’à présent.

« Il est contre nature pour un homme d’aimer un autre homme », lance Giovanni, un ancien membre du gang MS-13 incarcéré à la prison San Francisco Gotera à Morazan, dans l’est du Salvador. Giovanni est gay, et il est amoureux d’un ancien membre du gang rival, Barrio 18. Il est l’un des personnages principaux d’Imperdonable, un documentaire de la réalisatrice espagnole Marlén Viñayo, basée au Salvador.

Le film dépeint, avec des images inédites, la réalité des quelques membres de gangs qui s’identifient comme gays dans les prisons salvadoriennes. On y voit deux hommes, l’un du MS-13 et l’autre du Barrio 18, se caresser et s’embrasser dans un moment de tendresse. « Les gens ne se doutaient pas que cela pouvait exister. Personne ne va dans une prison en espérant trouver l’amour », dit Martínez, scénariste d’Imperdonable.

Le film n’est pas seulement une histoire d’amour, mais aussi une histoire de souffrances et de conséquences liées au fait d’être gay au sein d’un gang. « Au début, il nous semblait impossible qu’ils acceptent de se confier à la caméra. Mais finalement, c’était tout le contraire. Nous leur avons expliqué tous les jours que le film allait être diffusé dans le pays, dans d’autres pays du monde, et aussi sur Internet. L’un d’eux ne voulait pas révéler son identité, non pas à cause du gang, mais parce qu’il ne voulait pas que sa mère le découvre. Les autres nous ont dit qu’ils étaient déjà sous le coup de deux condamnations à mort, une pour avoir quitté le gang et une autre pour être gay », dit Viñayo.

Les détenus homosexuels de la prison San Francisco Gotera ont été rejetés et menacés de mort par leur gang lorsqu’ils ont révélé leur homosexualité. Parce qu’ils s’étaient convertis à l’évangélisme, ils n’ont pas été tués. Mais l’église a fini par les bannir aussi. Ils ont été enfermés dans une cellule appelée « El Zope », ainsi nommée d’après le vautour, un oiseau de proie.

Cette cellule putride et minuscule, selon Viñayo, était leur seul safe space au sein de la prison. « Au début du tournage, un détenu a dit que sa cellule d’isolement était le seul endroit où il se sentait libre. C’est ce qui m’a le plus frappée. Comment peut-on se sentir libre dans une cellule d’un mètre sur deux ? Mais c’est le seul espace où ils peuvent être qui ils sont vraiment. Dans d’autres secteurs, ils sont exposés aux viols et aux humiliations. »

Imperdonable est actuellement le seul documentaire salvadorien à avoir remporté plusieurs prix dans des festivals internationaux tels que le Festival international canadien du documentaire Hot Docs, le Festival international du film de Guanajuato et le Festival international du film documentaire d’Amsterdam. Cela lui a permis de figurer parmi les finalistes des Oscars cette année.

Le film dénonce la cruauté avec laquelle les gays sont traités par les églises évangéliques et le système pénitentiaire rétrograde, qui montrent une ignorance totale de l’identité de genre. « Il y a un psychologue qui, pour déterminer si un détenu était gay ou non, lui demandait s’il aimait la poésie ou les plantes », se souvient Martínez.

La survie des détenus d’El Zope dépend de leur séjour sur place. S’ils quittent leur secteur de la prison, sans parler de la prison elle-même, ils risquent d’être tués. Leur histoire est une exception à la règle, ainsi qu’un regard unique sur une dynamique invisible au sein des maras violents d’Amérique centrale.

Le rejet de l’homosexualité dans les gangs ne permet pas de savoir à quel point elle est courante, indique Luis Enrique Amaya, un enquêteur salvadorien. « Mais la punition est généralement la même, dit-il, et c’est la mort. »

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