Marie Pilette Bruxelles
Photos : Daniil Zozulya
Société

Qu'est-ce qu'on peut bien foutre à Bruxelles toute une nuit, en semaine ?

Je regarde les gens danser et je me demande à quoi aurait ressemblé ma vie si j’avais décidé de rester vivre ici.
Marie Pilette
Brussels, BE

Il y a six ans, j'ai décidé de quitter ma ville natale, Bruxelles, pour une vie que je voulais plus électrique. Après avoir hésité avec Montréal, c’est finalement à Londres que j’ai posé mes valises. À l’époque, j’avais 19 ans et je pensais connaître Bruxelles sur le bout des doigts. Je pensais avoir atteint sa limite, avoir tout vu, tout vécu.

Cependant, je me suis vite rendu compte que j’avais beau partir le plus loin possible, visiter des villes tentaculaires, relaxantes ou enivrantes, aucune autre ville ni aucun autre endroit sur cette terre ne remplace Bruxelles dans mon cœur. 

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BX, c’est des fous rires, des bêtises et des plans foireux. C’est mes parents, mes ami·es d'enfance, les meilleures soirées de l’année et des fantômes du passé.

Alors pour rendre hommage à cette ville et aux gens qui la composent, j’ai marqué le coup en revenant faire la fête, un mardi soir comme un autre. Parce que oui, autant en faire un défi et choisir un mardi, histoire de voir s’il reste des trucs à faire dans la capitale après minuit, un soir de semaine. 

20:30 – KARAT, Bruxelles-ville

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La soirée vient de commencer et je décide de passer dire coucou à Tony, le gérant de KARAT, une friperie-bar à cocktails située sur la rue de Flandre. Bien que sa sélection de sapes soit impressionnante, c’est vers le coin bar qu’on me dirige. On papote et Tony me montre son autre collection - celle de ses bouteilles de tequila. Je vois un asticot à l'intérieur de l’une d’elles et je me demande qui commande vraiment ce truc de son plein gré.

Après avoir dégusté deux ou trois cocktails qui me rappellent le goût de mes bonbons préférés ainsi que trois shots de tequilas, il me souhaite bonne chance. C’est parti. 

21:30 – Zebra, Bruxelles-ville

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En sortant de chez Tony, mes copains m’appellent. Je leur donne rendez-vous au Zebra, à Saint-Géry. Le staff est très sympa vu qu’il m’offre un shot de bienvenue lorsque je leur explique l’idée de ma soirée et l’article que je vais en faire. Petit détail à prendre en compte : ça fait une semaine que je fais la fête non-stop (pour une fois que je suis à Bruxelles, faut bien en profiter, non ?), et autant dire que la fatigue commence à être présente.

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Mais pas le temps de bailler, je vois mes potes Thomas, Mago, Antoine et Adam franchir le pas de la porte. J’ai grandi avec la plupart d’entre eux et Adam m’a même appris à faire du skate dans les couloirs de l’école quand on avait 14 ans. 

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On se dirige ensuite vers le baby-foot. J’aimerais pouvoir dire que je suis imbattable mais la vérité, c’est que c’est pas ma spécialité. Il faut parfois savoir accepter ses faiblesses… Même si Thomas est plutôt déter, la défaite se fait sentir à plein nez. Le truc, c’est que je suis pas de nature compétitive alors je m’en fous. Je suis juste contente de catch up avec mes potes d'enfance. 

22:30 – Night shop, Bruxelles-ville

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Après une petite balade autour de la Grand-Place, parsemée d’anecdotes sur notre adolescence – comme le jour où on s’est fait courser par un flic parce que l’un d’entre nous fumait simplement un joint –, il est temps de s’acheter une bière au night shop, comme au bon vieux temps.

Daniil, le photographe, voulait absolument que je pose devant les bouteilles, et le gérant accepte gentiment de poser avec moi. Il faut croire que notre petit groupe est plutôt charmant si on en croit la réduction sur nos canettes et nos bouteilles. C’est dans ce genre de moment que je me rends compte à quel point la sélection de boissons dans les night shops est bien différente en Angleterre ; j’en profite pour prendre une kriek.

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23:00 – Bar libertin, Bruxelles-ville

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Bon… c’est sympa cette balade nostalgique dans le centre, mais il fait froid et on a envie de se poser.  « Ah, et si on allait dans un club libertin ? », me lance mon meilleur pote. Qu’est-ce-que c’est encore que ce bordel… Vu que je suis toujours partante pour de nouvelles aventures, je me présente toute souriante à l’établissement en question. Après une négociation foirée avec le gérant avec qui je voulais prendre une photo, je noie mon chagrin dans un vin à la cerise tellement sucré que j’ai direct envie de prendre un rendez-vous avec mon médecin pour vérifier mon taux de diabète.

Quelques minutes plus tard, le gérant revient vers nous et me dit qu’il est disponible le lendemain pour « un appel ». Je suis un peu confuse, mais il apporte des réponses à mes interrogations en me disant qu’il aura toujours du temps libre pour « les belles blondes comme moi ». L’angoisse. Mes potes sont morts de rire, moi aussi ; c’est tellement sorti de nulle part... Mais c’est surtout le signe qu’il est l’heure de se barrer. En plus, l’endroit n’a rien de fou, y’a juste des couples qui se galochent dans le fond… 

00:30 – Le Cercueil, Bruxelles-ville

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J’aimais bien passer au Cercueil avec mes potes quand j’avais 15 ans. J’ai eu la chance d’avoir un grand frère qui a commencé à faire la fête assez jeune, alors il m’avait initiée aux boîtes de BX, et ça m’arrivait parfois de venir ici avant. À l'époque, je dansais sur de la techno assez chill et j'étais moins aventureuse qu'aujourd'hui. J’avais souvent le même rituel avant de sortir : on se posait un quart d’heure sur la Grand-Place, je buvais un verre puis je me dirigeais vers le YOU (sans commentaire) ou le Fuse. 

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Ma mère allait déjà au Cercueil dans les années 1990 et elle était d’ailleurs choquée d’apprendre que l’endroit existait toujours. Plus étrange, on me dit dans l’oreillette que les squelettes placés dans les tables du bars sont des vrais. Fantasme ou réalité ? J’en sais rien, mais je commence à être franchement rabat. C’est l’heure du verre d’eau. Pour être honnête, avec mes potes, on n’a parlé de rien de particulier. On a juste fait une tournée de shots de tequila et on s’est barré·es. Parfois, c’est aussi ça, profiter de la vie et des siens.

01:30 – Trottinette/vélo

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Impossible pour moi de passer une soirée à BX sans passer par Flagey. Il est donc temps de trouver un moyen de transport. Tout le monde se trouve un vélo ou une trottinette et s’envole dans la nuit vers notre nouvelle destination. 

Mais la poisse ne tarde pas à apparaître : ma trottinette ne roule plus. Tout le monde s’est déjà barré et je me retrouve à marcher pendant une quinzaine de minutes avec Adam. J’aperçois au loin mon pote Daniil qui nous attend patiemment près du Bozar. Par pitié, il décide de me prendre sur son vélo. Une soirée sans une petite galère du genre c’est pas vraiment une bonne soirée.

02h00 – Recharge sauvage de téléphone, Ixelles

Vu que j’ai acheté mon téléphone en 2017 et que les logiques d’obsolescence programmée ne font pas d’exceptions, ma batterie ne tient qu’une heure maximum. Je m’empresse donc de marcher vers une pompe à essence pour leur demander s'ils peuvent charger mon ancêtre. Ils acceptent et me voilà à attendre telle une plante verte, à côté des portes automatiques, pour au moins une demi-heure… Tout le monde me dit d’en acheter un nouveau, mais ce téléphone fait le taf donc voilà, haters gonna hate

02:30 – O’Regua, Ixelles

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En raison des quelques péripéties rencontrées sur notre chemin, on a mis assez longtemps à arriver, et mon pote Antoine a décidé de rentrer chez lui entretemps. Le premier soldat est tombé mais la nuit est encore jeune. Le bar est assez rempli pour un mardi soir et j’en profite pour m’asseoir deux minutes. Je regarde les gens danser et je me demande à quoi aurait ressemblé ma vie si j’avais décidé de rester vivre ici. Je serais sans doute moins fauchée, ça c’est clair. À Londres, tout est trois fois plus cher. 

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Mon introspection prend fin lorsque je sens quelqu’un me tapoter l’épaule ; c’est mon pote Joris qui est là par hasard. Je l’avais pas vu depuis cet été, faut fêter ça. Je cligne des yeux et je me retrouve avec un verre en main. Et comme le destin fait bien les choses, c’est à ce moment précis que je me rappelle que j’ai une réunion demain matin avec la maison de disques pour laquelle je taffe…

03:30 – Rendez-vous galant, Ixelles 

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Sous mes airs nonchalants et mon flegme naturel, je suis assez fleur bleue. 

Alors me voila partie discuter avec mon crush en sortant du O’Regua. On parle du temps qui passe, de ma vie à Londres et d’à quel point Bruxelles me manque. J’ai constamment la sensation de courir à 1 000 km/h et de ne pas profiter de ce qui compte réellement. Ce moment me rappelle qu’il est parfois bon de prendre de la hauteur et de se poser un instant. Bruxelles a toujours eu un effet apaisant sur moi, et ce moment prouve que ça ne change pas avec le temps.

04:00 – Taxi

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La soirée est loin d’être terminée. C’est l’heure d’aller au studio de musique de mon pote Adam et de se poser un court instant. Le taxi arrive et tout ce joli monde embarque – Joris vient avec nous. Daniil sort des blagues qui me font mourir de rire et tout le monde se vanne. Bref, niveau ambiance j’ai rien à dire : 10/10, comme d’hab. Et ça fait aussi une chouette photo-souvenir.

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4:30 – Studio de musique, Schaerbeek

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Studio sandwich.

Le studio de musique se trouve dans une ancienne banque qui ressemble à un labyrinthe. Quand on entre, deux potes d’Adam sont déjà là, en train d’enregistrer un son. C’est le moment parfait pour manger un petit sandwich et se reposer les yeux. J’aimerais vous dire que j’ai enregistré un bête de son, mais pour le bien de l’humanité je n’ai pas chanté, même pour la blague.

5:30 – Emirdağ Köftecisi, Schaerbeek

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Toutes ses émotions et retrouvailles, ça me donne la dalle. On se dirige vers la Gare du Nord pour aller manger un truc dans un snack ouvert jusqu’à pas d’heure. Alors que je me prends une soupe aux lentilles, les autres se commandent un gros durum ou un pain turc.

Je remarque que les cernes de mes potes sont plus profondes que la question de mon bac de philo. La fatigue commence effectivement à taper et on se parle de moins en moins. Les regards sont plus vitreux, les gestes sont lents. Une fois le repas terminé, je fais la bise à Adam, Thomas et Mago, et on se dit à bientôt. Il est aussi l’heure de rentrer pour Joris, Daniil et moi-même, mais mon téléphone est (encore) mort, et je dois aller le charger avant.

6:30 – Fin, Schaerbeek

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C’est la fin d’une belle soirée, le genre de nuit qui vous rappelle qu'il est bon de rentrer à la maison. Je me pose deux secondes chez mes copains et j’attends patiemment mon Uber. Mes paupières sont lourdes et il est l’heure de rejoindre Morphée – au moins le temps de taper une sieste express.

Demain soir, je prends mon train pour Londres, et je pense au fait que j’aurais aimé pouvoir envoyer cet article à celle que j’étais à 19 ans, pour lui dire qu’elle n’a pas encore tout vu à Bruxelles, loin de là.

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