La France n’est pas un pays amical. Les gens ne se disent pas bonjour au supermarché, se doublent dans la queue de la boulangerie avec un grand sourire et s’insultent lâchement derrière leur pare-brise de voiture. Nous sommes comme ça, nous nous détestons les uns les autres. Bobos, bourges, intellos, fachos, gauchos ou encore cagoles. Les dénominations permettant d’étiqueter notre prochain sont innombrables. Mais s’il y a une insulte qui traverse le temps et l’espace, c’est bien celle de « beauf ». Si, selon l’auguste Larousse, le beauf est un « Français moyen, réactionnaire et raciste », chacun en a sa propre définition. Le seul point commun est sans doute de considérer le beauf comme un type méprisable.
Pour ma part, je conçois le beauf comme quelqu’un de trop présent, qui empiète sur mon espace vital et qui, de fait, détériore ma qualité de vie. Il possède une voiture de marque française – genre, une Renault Laguna – et trouve tout à fait à son goût d’y ajouter deux bandes blanches sur le capot. Sa boisson préférée est le mojito et, surtout, il est imberbe. Quand il ne passe pas son temps dans les centres commerciaux, il partage sa vie entre fumer de la weed sur un terrain de foot et vendre de la weed sur un terrain de foot.
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Pour autant, je sais pertinemment que ma vision est étriquée et que je suis moi-même le beauf de quelqu’un. Plutôt que de me contenter de ma propre opinion, j’ai demandé à des Français venant de différentes classes sociales de m’expliquer ce qu’ils entendaient par « beauf ».
MARINE – 28 ANS – SALARIÉE DANS LE DOMAINE DE LA SÉCURITÉ NATIONALE
« C’est avant tout une question d’éducation. Ce n’est pas seulement le fait de partir en vacances dans un camping avec un bob, des tongs et des chaussettes. C’est surtout l’antithèse du chic, du bon goût et de l’élégance à la française.
Un beauf ne sait pas se tenir en public. Il a souvent un humour lourd, grivois et gras. Ses blagues sont convenues, tout comme ses discussions. Ce genre de type ne sait pas s’adapter aux gens et aux situations sociales, puisqu’en général il est assez égoïste. Il ne respecte pas les autres – les déconsidère, même. Un beauf n’a pas la capacité de prendre du recul sur la vie ou sur lui-même.
Le beauf peut être riche – la classe sociale ne rentre pas en considération selon moi. Dans ce cas-là, il va étaler sa réussite sociale ou celle de ses parents. S’il est un tant soit peu cultivé, il ne se gênera pas pour tartiner.
En résumé, un beauf est une personne vulgaire, mal élevée, grossière et égoïste. »
TRISTAN – 24 ANS – ÉTUDIANT EN FINANCE
« Pour certains, le beauf est inculte et, surtout, pauvre. Selon moi, ce genre de raisonnement est assez beauf, en fait. J’ai déjà rencontré des mecs blindés qui n’hésitaient pas à traiter de beaufs des types plus « pauvres » alors qu’ils passaient leur week-end à se bourrer la gueule dans la demeure familiale avec de la Smirnoff Ice, vêtus de polos roses, tout en hurlant « I Gotta Feeling ». Pour moi, ça, c’est du bon gros beauf.
Ce n’est pas non plus une histoire de capital culturel. Tout le monde n’a pas la chance de naître dans une famille d’intellectuels mais tout le monde peut vouloir s’élever en étant ouvert d’esprit et curieux. Le beauf refuse tout ça. Niveau culture, il prend ce qu’on lui donne, ce que la télé lui vend et tout ce qui demande un effort sera refusé avec fierté. Il ne comprend pas que l’on ne puisse pas aimer ses goûts douteux. Oui, le beauf aime les clichés – c’est beaucoup plus simple pour comprendre le monde. Il sait tout et ne veut rien savoir, en fait. »
CÉDRIC – 26 ANS – ÉTUDIANT EN ANTHROPOLOGIE
« J’emploie très rarement ce mot mais, instinctivement, je dirais qu’il s’agit d’un mec avec un mulet qui passe ses journées à prendre soin de sa caisse et à écouter du Johnny. Pour une femme, c’est plus difficile à déterminer, car on commence à rentrer dans une dimension sexuée. On pourrait dire qu’on parle d’une femme soumise a son mec, pas forcément très futée et qui passe ses étés à faire du camping avec ses cinq enfants.
Après, je n’emploie pas ce mot car, finalement, ces gens ne sont sans doute pas plus beaufs que toi ou moi. Les facteurs sociaux, économiques et culturels sont en fait si puissants que le « beauf » de « l’autre » va les intérioriser et finira par représenter vraiment ce que « l’autre » ne veut absolument pas devenir. Tu vois, je n’ai pas de définition propre, car on est tous le « beauf » de quelqu’un – sans doute à cause d’une certaine intolérance à la différence. »
PIERRE – 26 ANS – EN ALTERNANCE
« Selon moi, le beauf est un individu ayant mauvais goût et qui est persuadé du contraire. La sincérité paraît essentielle, puisque pour considérer un t-shirt RG512 ou un sweat Rivaldi comme faisant partie d’une garde-robe décente, il faut vraiment vivre dans un univers à part. Ça peut aller jusqu’à l’image d’Épinal de la voiture du beauf – la célèbre 205 tunée à néons.
Après, nous sommes tous le « beauf » de quelqu’un d’autre. La fille qui porte des Louboutin considère sans doute les fans de Stan Smith comme étant la pire engeance sur cette planète. »
KIM – 28 ANS – OUVRIER
« D’origine auvergnate, je tiens à garder ma patte beauf en toutes circonstances. C’est un héritage que je respecte. Cependant, j’ai eu l’opportunité de quitter mon village de mille habitants pour rejoindre Paris – ça m’a permis de prendre un peu de recul sur la question.
Niveau politique, le beauf se sent cocufié des deux côtés. Il promet de voter FN, mais respecte l’alternance. Il aime les débats quand ça parle sécurité, Arabes et sécurité. Concernant le port du voile, il se dit qu’il doit faire chaud là-dessous. Ces femmes ne sont pas heureuses – c’est la télé qui le précise, d’ailleurs. Pour parler télévision, il reste fidèle à Arthur et Dechavanne, regrette Mourousi et mate Évelyne Dhéliat. Viennent ensuite les NRJ Music Awards, qui lui donnent une bonne indication des tendances actuelles – il offrira à sa fille des CDs en conséquence. Niveau technologie, il utilise un PC Acer et met régulièrement à jour la base de données Kaspersky. »
ROMUALD* – 23 ANS – JOURNALISTE STAGIAIRE
« Un beauf est une personne en proie à de nombreuses contradictions et qui tente tant bien que mal de les résoudre à l’aide de raccourcis intellectuellement douteux. Pour lui, la culture n’est qu’un concept abstrait qui, schématiquement, aurait pour point culminant une œuvre cinématographique ou musicale dans laquelle l’homme moderne transcende sa condition à l’aide de voitures, de femmes nues et de robots mutants. »
*Le nom a été modifié.
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