Culture

On a interviewé un auteur de « livres dont vous êtes le héros »

Si vous avez connu les pièces de dix francs et Alain Gillot-Pétré vivant, il y a de fortes chances que vous vous souveniez des « livres dont vous êtes le héros ». Ces bouquins, aux allures d’albums d’Iron Maiden, me plongeaient des heures durant au sein d’un monde fantastique où se mêlaient créatures étranges et bastons gigantesques. La lecture était interactive et hasardeuse, sautant de paragraphe en paragraphe au gré de mes différents choix. Je parcourais religieusement les pages, armé d’un crayon de bois, d’une gomme et de quelques dés – parfois pipés, il faut l’avouer –, prêt à terrasser les monstres croisés sur mon chemin.

Les élèves s’arrachaient ces bouquins à la bibliothèque et les libraires s’en faisaient tirer toutes les semaines. Rapidement, le « livre-jeu » est devenu un phénomène littéraire et a modifié l’univers des jeux de rôle. À la fin des années 1980, les livres dont vous êtes le héros ont connu un succès monstre avec 14 millions d’exemplaires vendus en France. On dénombrait plus d’une centaine de tomes regroupés en différentes séries aux noms tout aussi sibyllins qu’épiques : Sorcellerie !, Astre d’Or ou encore Dragon d’Or.

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Si la majorité des auteurs de ces livres sont Américains ou Britanniques, une poignée de Français ont mis leur pierre à l’édifice. C’est le cas de Gildas Sagot, auteur des séries Défis & Sortilèges et Métamorphoses – soit une dizaine de livres dont vous êtes le héros. Je lui ai posé quelques questions afin de savoir comment il en était arrivé à créer des bouquins qui se lisent en sautant cinquante pages d’un coup.

« Rendez-vous au 173 » –  Kandjar le Magicien par Gildas Sagot – Gallimard

VICE : Bonjour Gildas. Comment en êtes-vous venu à écrire des livres dont vous êtes le héros ?
Gildas Sagot : Au début des années 1980, je faisais partie d’une association étudiante au sein de laquelle je jouais régulièrement aux échecs et aux jeux de stratégie. Un jour, un type s’est pointé à l’asso avec un tas de photocopies de règles et de quêtes. Il s’agissait d’une version pirate de Donjons & Dragons. Je ne me souviens plus comment il avait mis la main là-dessus mais ça devait être les copies des premières règles publiées par Gygax, un des créateurs du jeu. Très vite, on s’est mis à jouer non-stop aux jeux de rôle.

Après mes études, j’ai commencé à écrire pour le magazine Jeux & Stratégie publié à l’époque par Excelsior (Science et Vie, Casus Belli …). Je rédigeais des critiques et créais des jeux de plateau directement intégrés aux numéros. Lorsque le magazine a diffusé un dossier complet que j’avais consacré aux jeux de rôle, les Éditions Gallimard m’ont contacté.

Ils cherchaient des auteurs spécialisés dans les jeux de rôle ?
En fait, ils voulaient un auteur pour écrire un ouvrage dédié aux jeux de rôle et aux livres-jeux. À cette époque, j’étais loin d’être la plus grosse pointure pour me lancer dans cette aventure mais on m’a proposé et j’ai accepté.

Après cela, ils m’ont de nouveau sollicité, cette fois-ci pour écrire un livre dont vous êtes le héros.

Comment se déroulait l’écriture d’un tel bouquin ?
En ce temps-là, je travaillais avec Bruno Giraudon – un auteur qui a d’ailleurs signé l’un des livres de la série, Péreim le chevalier . Je bossais aussi avec l’excellent illustrateur Philippe Mignon, qui a fait un travail remarquable sur les pages intérieurs. Sinon, chaque auteur avait sa méthode de travail.

En ce qui me concerne, je m’inspirais pas mal de Jules Verne. Je partais systématiquement d’une carte géographique pour créer un monde dans lequel j’intégrais des personnages, des villes, des forêts, etc. Je tenais aussi à rendre les protagonistes « vivants » afin d’éviter l’écueil de certains livres dont vous êtes le héros, où les personnages sont vides, émotionnellement parlant. Après, je savais bien qu’une partie des lecteurs préféraient l’action à l’histoire. Ça ne m’empêchait pas d’agrémenter mon récit de descriptions des lieux explorés, d’évocation de l’atmosphère, etc. Il m’arrivait de relire Victor Hugo pour m’imprégner de la cour des miracles de Notre-Dame de Paris, par exemple. Il fallait simplement faire place à l’imagination tout en respectant les contraintes spécifiques qu’impose l’écriture d’un livre dont vous êtes le héros.

À quelles contraintes faites-vous référence ?
On n’écrit pas un livre dont vous êtes le héros de la même manière qu’un roman. Il s’agit d’une lecture séquentielle qui impose un rythme de récit équilibré entre le plaisir de lire et celui de jouer. Il faut prendre soin de lier tous les paragraphes, proposer différentes options aux lecteurs et inventer des règles cohérentes qui auront des conséquences dans l’aventure.

Sur mon bureau, j’avais toujours une feuille sur laquelle étaient inscrits les numéros des paragraphes et une autre pour tracer l’arborescence des chemins et des choix possibles.

À portée de main, je disposais de certains classiques de l’heroic fantasy, des dictionnaires et quelques dés pour tester les combats. Je me souviens qu’avant de démarrer la série, l’éditeur nous avait demandé de réaliser des aventures pouvant se jouer seul ou à plusieurs. Autant te dire que la tâche a été particulièrement complexe, surtout lorsqu’il a fallu réfléchir au système de passage d’un livre à un autre.

Les règles devaient tenir la route…
Complètement. En fait, chaque série possédait ses propres règles. On a donc inventé les nôtres en intégrant une dimension qui n’apparaissait pas dans les autres livres dont vous êtes le héros. On a créé quatre pouvoirs comportementaux que le joueur choisissait selon la situation dans laquelle il se trouvait : amical, agressif, prudent ou rusé. Les conséquences – bonnes ou mauvaises – du choix influaient directement sur l’histoire et l’accès à de nouvelles portes.

Dans Les Héritiers de Dorgan, le joueur incarne un groupe de héros et peut décider d’interagir avec un personnage plutôt qu’un autre. Avec la série Métamorphoses, le personnage a pour particularité, quand il est en danger, de se transformer en une créature qui lui attribue des atouts pour survivre.

Les règles doivent parfaitement coller à l’univers du livre. Il ne s’agit pas seulement de combats mais d’échanges permanents entre le joueur et l’histoire.

Kandjar le Magicien de Gildas Sagot

À votre avis, pourquoi les livres dont vous êtes le héros ont-ils eu un tel succès ?
À cette époque, le simple fait de pouvoir jouer seul avec un livre était hyper original. La possibilité de se glisser dans la peau d’un personnage en prenant des décisions, en combattant des ennemis, en résolvant des énigmes, tout ça devant un livre, c’était totalement novateur. Ça précédait les jeux sur console.

Et puis, une grande majorité des jeunes lecteurs de ces livres n’avaient pas l’habitude de lire. Les livres dont vous êtes le héros sont connus pour être relativement bien construits, faciles à lire et dotés d’un vocabulaire très accessible. Quand mes livres ont paru, des enseignants m’ont contacté pour intervenir dans les écoles primaires. J’écrivais un mini-récit dont vous êtes le héros et je faisais participer la classe pendant que je dessinais la progression de l’aventure sur le tableau. Les élèves étaient à fond.

Certains livres dont vous êtes le héros sont réédités aujourd’hui. Pensez-vous qu’ils pourraient avoir une seconde vie ?
Difficile à dire. En ce moment, je suis en relation avec l’association Scriptarium, qui travaille sur la réédition de livres dont vous êtes le héros. Elle m’avoue attirer un nombre important de lecteurs. Après, je ne sais pas s’il y aura une seconde vie à proprement parler, mais certainement un revival sentimental.

Bon, sinon, je me suis replongé dans Kandjar le Magicien et je n’arrive toujours pas à venir à bout du démon paragraphe 134. Vous n’auriez pas un tuyau à me filer ?
Houlà ! Ça remonte à longtemps… Je suis incapable de m’en souvenir. Soit tu arrives à obtenir un objet magique dans une zone encore inexplorée qui te permettra peut-être de le vaincre, soit j’ai eu la main lourde sur la force du boss final et, dans ce cas, je te souhaite bonne chance.

OK, je vais tenter de trouver ça. Merci Gildas.

Antoine est sur Twitter.