Jeudi, un groupe international d’océanographes et de biologistes a publié un article désespéré dans la revue Science. Ses auteurs appellent à une action internationale en faveur d’une régulation des activités commerciales sur le plancher océanique – ceci afin de préserver les écosystèmes uniques, et relativement méconnus, que l’on trouve au fond des océans. Ils font tout particulièrement référence à la menace que présente l’exploitation minière des hauts fonds.
Les hauts fonds (c’est-à-dire la partie de l’océan possédant une profondeur supérieure à 200 mètres) représentent environ 65% de la surface de la Terre. Malgré cela, nous en savons très peu à leur sujet – à tel point que nos cartes de la surface de Mars sont plus précises et plus adéquates que nos cartes du plancher océanique. De même, notre connaissance des formes de vie qui se trouvent à des centaines et des centaines de mètres sous la surface est embryonnaire, voire nulle. Comme l’a souligné Andrew Thurber, chercheur en écologie des milieux marins à l’Oregon State University, la découverte de nouvelles espèces est aujourd’hui la tâche principale de l’écologie des fonds marins, ce qui en dit long sur notre ignorance vis-à-vis de ces écosystèmes.
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« Les hauts fonds nous intéressent d’un point de vue scientifique parce qu’il s’agit d’une véritable terra incognita, mais également d’un point de vue éthique parce qu’ils ont une valeur toute particulière pour l’industrie, » m’explique Thurber. « On a donc là une portion de la planète qui est presque totalement inconnue tout en étant extrêmement attractive pour les entreprises. »
De fait, les chercheurs se sont engagés dans une sorte de course contre la montre qui consiste à explorer ces milieux marins avant qu’ils ne soient totalement détruits par les activités minières.Les fonds marins recèlent d’une multitude de ressources naturelles inestimables, dont des molécules complexes au potentiel biomédical énorme en passant par des huiles et des minéraux précieux. Bientôt, expliquent les auteurs, nous assisterons à une nouvelle ruée vers l’or.
Le spectre de l’exploitation minière hante l’océan depuis des décennies, mais ce n’est que très récemment que nous disposons des technologies et des leviers économiques nécessaires à sa mise en œuvre. Le premier site minier de haute mer, Solwara-1, est situé au large de la côte de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Il commencera ses activités fin 2017 ou début 2018, ce qui consiste à extraire de l’or, du zinc, de l’argent et du cuivre sur les fonds marins.
Solwara ne représente que la partie émergée de l’iceberg industriel qui s’apprête à attaquer les océans, cependant. Au cours de la dernière décennie, le plancher océanique a été ravagé par les opérations minières à raison de plus d’un million de kilomètres carrés.
Bien que les chercheurs sachent pertinemment que les activités minières vont affecter les écosystèmes marins, ils ne disposent pas encore des données nécessaires pour évaluer l’impact réel de ces opérations une fois qu’elles auront débuté. Ce cruel manque de données paralyse la mise en place d’une réglementation adaptée, ce qui, selon le biologiste marin de l’UC Santa Barbara Douglas McCauley, fait des hauts fonds une sorte de Far West sous-marin sans foi ni loi.
« À l’heure actuelle, il existe seulement une poignée de lois portant sur les fonds marins, et elles sont aisément contournables ; de nombreux grands groupes industriels en profitent pour faire ce qu’ils veulent, comme ils le veulent », explique McCauley. « Le bon côté des choses, c’est que ces activités s’exercent dans un cadre et une histoire politique vierge ; c’est à nous d’imposer nos conditions, dès maintenant. »
Comme l’écrivent les auteurs de l’article paru dans Science, « le droit international et la législation nationale ignorent largement le rôle essentiel des fonds marins dans le fonctionnement des écosystèmes, et du système planétaire plus généralement. » Bien que les Nations Unies et l’Autorité internationale des fonds marins (ISA) travaillent déjà à définir un cadre réglementaire pour les activités sous-marines, elles ont réalisé peu de progrès jusque ici.
Ceci s’explique en grande partie par le manque de communication entre les différentes agences responsables de la gestion des eaux internationales, et plus précisément des zones marines extra-nationales, les Areas Beyond National Jurisdiction (ABNJ). L’ISA, par exemple, s’occupe directement de la réglementation sur les activités de l’industrie minière marine émergente tandis que l’Organisation régionale de la gestion de la pêche se concentre, comme son nom l’indique, sur les activités de pêche. Pourtant, comme le soulignent les auteurs de l’article, une réglementation efficace exigera la coopération entre ces différentes entités ; enfin, il faudra sans doute créer un organisme international supervisé par l’ONU dédié à cette mission (le nom d’International Deep-Ocean Organization a été suggéré).
« Le débat sur l’exploitation minière des océans va certainement rejoindre celui sur l’avenir de la biodiversité : c’est tout un écosystème qui est en jeu », a déclaré McCauley. « Nous devons inscrire ces pourparlers dans une structure de gouvernance plus intégrée et moins fragmentée. »
La coopération seule ne suffira pas. L’article de Science appelle également à financer davantage d’études sur les écosystèmes marins avant que d’autoriser les activités commerciales dans ces milieux, et de déployer des outils de surveillance tels que des bouées et des robots sous-marins afin d’évaluer l’état des écosystèmes océaniques. Malheureusement, un tel réseau de surveillance serait extrêmement coûteux – entre 2 et 3 milliards de dollars pour son installation seule, puis 300 millions de dollars par an pour sa gestion et son maintien.
Les auteurs savent pertinemment que « l’écologie des fonds marins est moins limitée par les exigences technologiques actuelles que par des coûts de fonctionnement élevés. »
La gestion efficace des fonds marins nécessitera de créer de nouveaux outils de surveillance. Il faudra sans doute combiner des dispositifs tels que Deep Sea Mining Watch, qui suit des navires miniers dans le monde entier, à des petits drones capables de survoler ces navires afin de filmer leurs opérations. Enfin, l’analyse de données satellites permet aujourd’hui d’identifier les bateaux à la surface des mers avec une résolution d’environ 2 pieds.
Reste à voir si ces projets seront concrétisés à temps. Les auteurs de l’article précisent que l’ONU dispose actuellement d’un comité préparatoire dont la mission est de proposer un accord international qui sera présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies fin de 2017. En 2018, l’Assemblée générale des Nations Unies décidera, sur la base de ces recommandations, de négocier un traité final. Mais à ce moment-là, la ruée vers l’or sous-marin aura déjà commencé.
« Si nous voulons planifier intelligemment les activités sous-marines de façon à minimiser l’impact anthropique sur l’environnement, il faut se hâter », déclare McCauley. « Nous avons une opportunité inestimable d’analyser et comprends les fonds marins avant de modifier. Cette opportunité, nous ne l’avons jamais eue pour les activités terrestres. Des secondes chances de ce genre sont rares dans l’histoire humaine. »