"Il est impossible de connaître les pensées d'un animal. Les puristes ont donc choisi de nommer ce comportement trouble compulsif canin, car il n'y a aucun moyen de savoir à quel point il ressemble à un TOC", explique Dodman. "Pourtant, les propriétaires qui connaissent très bien leurs animaux ont l'impression très nette que ceux-ci sont obsédés par des pensées récurrentes. De vraies obsessions."J'avais sept ans, peut-être six, lorsque j'ai réalisé que mes mains étaient sales. Heureusement, je pouvais les laver et elles devenaient propres. Mais si je touchais quelque chose – une rampe d'escalier, mes vêtements, le canapé, une poignée de porte – elles redevenaient sales. Il fallait alors les relaver. Je finissais toujours pas toucher quelque chose à un moment ou à un autre, et il fallait recommencer l'opération de lavage encore et encore.Lorsque j'étais à la maison, ce n'était pas si grave. Je pouvais laver mes mains aussi souvent que je le souhaitais, jusqu'à ce que j'ai le sentiment qu'elles étaient vraiment, vraiment propres. Mais à l'école, à la cantine, pendant les sorties scolaires – je n'avais pas toujours la possibilité de laver mes mains au moment où j'en ressentais le besoin. Pire, certaines toilettes, comme celles du cinéma ou celles des couloirs de l'école, n'étaient pas assez propres à mon goût. J'avais le sentiment qu'elles ne pourraient jamais réussir à me purifier.Les Bull Terriers tournent, les Dobermans lèchent leurs pattes, les Labradors mâchent des cailloux et les King Charles spaniels tentent d'attraper des mouches imaginaires.
*Après avoir reçu une injection de morphine, Knightly Night, un petit cheval noir nerveux, a commencé se balancer d'un antérieur sur l'autre de manière ininterrompue. Nous étions dans les années 80. Dodman avait remarqué qu'en utilisant différents médicaments, il pouvait modifier le comportement d'un animal sur commande. Chez les chevaux, cela permettait "d'activer" une stéréotypie qu'on appelle "tics de l'ours" ou "encensement" dans le milieu équestre.En compagnie de Louis Shuster, professeur de biochimie et de pharmacologie à l'École de médecine de Tufts, il s'est alors posé une question qui lancerait sa carrière en comportement animal : s'il était possible de provoquer un comportement gênant sur commande, pouvait-on le faire cesser de la même manière ?Le médicament pour la toux lui a donné des lèvres toutes roses. C'était très bizarre, mais ça a fonctionné.
*Même si je suis victime d'une forme somme toute classique de TOC – le lavage compulsif des mains – je n'ai jamais soupçonné que des gens de ma connaissance puissent eux aussi avoir des TOC. J'ai toujours été très anxieuse, suffisamment pour commencer une psychothérapie des années auparavant et m'identifier comme une victime d'anxiété généralisée.Mes crises d'anxiété tournent toujours autour des mêmes thèmes : la propreté, la maladie, la santé, les germes, la contamination. J'ai également la phobie de vomir (émétophobie), qui m'obséde chaque jour ou presque. J'y pense environ 10-14 heures par jour, et j'évite au possible les situations où je risque d'être malade. À l'époque, je pensais que l'anxiété, c'était ça : être obsédé par une certaine catégorie de trucs.Mon psy et moi avons donc parlé de la "source" profonde de mon anxiété. Mes parents sont des scientifiques, et ont eu le malheur de m'expliquer les bases de la microbiologie quand j'étais très jeune. Mon père aimait bien que tout soit propre, tout le temps, et avait très peur des intoxications alimentaires. J'aime contrôler mon environnement et le vomissement correspond justement à une perte de contrôle totale, à une portée d'entrée vers la vulnérabilité. Ces séances me soulageaient, et je crois bien que mes obsessions se sont un peu calmées à cette occasion. Je pensais que mieux connaître leurs fondements pourrait m'aider à les gérer, puis à les faire disparaître complètement.À chaque fois que j'avale, je dois toucher le bout de mon nez et regarder dans le coin gauche de mon champ de vision.
*Nous ne savons pas exactement ce qui cloche dans le cerveau des personnes atteintes de TOC. Un groupe de médicaments appelés inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), dont le Prozac fait partie, semble aider au traitement des TOC car ils augmentent les niveaux de sérotonine.50% des personnes atteintes de TOC environ montrent une réponse aux ISRS, c'est-à-dire un bénéfice significatif mais qui n'est pas énorme pour autant (35% de réduction des symptômes). Dans une méta-étude récente sur les traitements des TOC, des chercheurs expliquent que "même les patients réceptifs aux traitements pourront continuer à avoir des symptômes modérés à sévères, et à passer de nombreuses heures de la journée à avoir l'esprit parasité par leurs obsessions et compulsions."C'était le premier gène lié au comportement qui avait un lien avec les TOC.
Quand vous êtes véto, les gens vous disent : "Ça doit être si difficile de prendre en compte toutes les différences entre les espèces." Pourtant, c'est tout l'inverse. Nous apprenons à observer et comprendre les similarités.
*En poursuivant les tests pour les essais cliniques des chercheurs de Columbia, j'ai été confrontée à un nouveau type de malaise.Les questionnaires qu'on me faisait passer étaient inquiétants, presque effrayants. Ils me donnaient le sentiment que quelqu'un avait pénétré les parties les plus privées et les plus vulnérables de mon cerveau, qu'il écrivait mes pensées les plus personnelles sur le papier avant de les donner en pâture à un psy qui les lirait à haute voix de manière mécanique. Chacune de mes obsessions, toutes les choses que j'avais fait en secret pendant des années ne m'appartenaient plus. Elles étaient décortiquées par une équipe de recherche. Pire, je réalisais que tous mes problèmes étaient suffisamment typiques pour entrer dans le cadre d'un questionnaire d'évaluation générale ; j'étais loin d'être un cas original, et ce n'était pas forcément facile à accepter.J'ai été en larmes tout au long du déjeuner. Il y avait trois serviettes, un nombre impair, et je ne pouvais pas chauffer ma soupe plus de 37 secondes.
Dodman se souvient également d'un chien obsédé par l'eau. L'animal a vécu principalement à New York, mais la première fois où son propriétaire l'a amené dans sa maison dans les Hamptons, il a immédiatement sauté dans la piscine. Par la suite il y a passé des journées entières, nageant en rond en pleurant d'angoisse près de sept heures par jour.Stephanie Borns-Weil, qui a succédé à Dodman à la direction de la Clinique de comportement animal de Tufts l'année dernière, a déjà vu un Golden retriever obsédé par l'eau : il sautait dans la baignoire pendant le bain des enfants, puis refusait d'en sortir. Un autre allait dans un lac à côté de sa maison, y prélevait cinq gros cailloux qu'il plaçait dans un arbre. Si le propriétaire avait le malheur de déplacer les cailloux, il retournerait au lac et récupérerait cinq nouveaux cailloux.À la clinique vétérinaire, les anecdotes incroyables sur les chiens se comptent par dizaines. On u raconte l'histoire d'un Doberman qui avait besoin de couvrir sa nourriture avant de pouvoir la manger. Quand son propriétaire le nourrissait, il devait placer une feuille de papier toilette à côté de sa gamelle. Le chien prenait la feuille dans sa bouche, puis la posait très délicatement au-dessus de sa pâtée. Ensuite, il le retirait, tout aussi précautionneusement, avant de pouvoir manger. Si ce rituel n'était pas accompli, il lui était impossible de se nourrir.Dodman se rappelle d'un chien similaire : il prenait des croquettes, une par une, et les plaçait sur les boutons à pression du coussin du divan dans la pièce voisine. Ce n'est qu'après avoir placé sept granulés dans les sept trous du bouton qu'il pouvait déguster le reste de son repas. Lorsqu'ils ne peuvent pas accomplir leur rituel, ces chiens peuvent hélas se laisser mourir de faim.*Je regarde Bella, qui commençait à s'ennuyer de notre conversation bien trop humaine et s'était couchée sous une table. Les rituels alimentaires canins décrits par Dodman et Borns-Weil me ressemblent tellement qu'ils me mettent mal à l'aise. C'est peut-être pour cette raison que je ressens une énorme empathie pour Bella. Au-dessus de sa tête, il y a une énorme boite remplie de jouets en forme de balles. Pour elle, c'est la pire des provocations. Pense-t-elle à ces balles en ce moment-même, tout comme je pense à mes obsessions ?Quand je suis partie de Tufts ce jour-là, mon petit ami Zach m'a ramenée à notre hôtel, fatiguée et affamée. Je n'ai pas de permis de conduire, et j'avais besoin de Zach pour me faire traverser le Massachusetts . La route de Brooklyn est une source d'angoisses innombrables. Depuis quelques semaines, j'associe la voiture à la maladie parce que j'ai peur de vomir en voiture. Durant tout le trajet, qui a duré trois heures, j'étais tendue et blanche comme un linge.J'ai su que j'avais besoin de manger dès qu'on est entrés dans la chambre d'hôtel. Zach a sauté sur le lit et s'est confortablement installé avec un bouquin. Nerveusement, je lui ai demandé : "Dis, je voudrais manger. Est-ce que tu pourrais partir ?" Le rituel doit être accompli en l'absence de toute présence humaine. Évidemment, ça le frustre. Il sait qu'il doit aller s'asseoir dans le couloir. Agacé, il a saisi son manteau et s'est dirigé vers la porte.Je suis en colère. Énervée de devoir céder au rituel, agacée que mon mec ne soit pas plus compréhensif. Je suis surtout en colère car je suis incapable de garder le contrôle de mon propre corps. "Tu crois que ça m'amuse ?" lui dis-je, de manière un peu agressive. "J'ai juste besoin d'un petit moment.""Peu importe", lâche-t-il en claquant la porte. Je me rends compte c'est le même plaidoyer que Dodman a fait à Rowe-Varone, lorsqu'elle était sur le point d'abandonner son chien Bella : "Tu dois lui donner un peu plus de temps".J'ai pleuré tout au long du déjeuner. Il y avait bien trois serviettes, un nombre impair, mais je ne pouvais pas chauffer ma soupe pendant les 37 secondes requises. J'ai mangé en trainant mon cortège de TOC, en essayant de ne pas penser à la texture de la soupe qui ressemblait à du vomi."Ce n'est pas juste qu'ils sont des chiens et que nous sommes humains", me disait Ginns. "C'est que les deux groupes souffrent des mêmes symptômes qui perturbent leur développement et leur vie. Pour moi, ce sont ces symptômes qui définissent un comportement compulsif'.Je prends une longue inspiration. Patience, patience. Je dois me donner encore un peu de temps.Cet article est initialement paru sur Mosaic sous licence Creative Commons.Auteur : Shayla Love - Édition : Michael Regnier - Fact checking : Lowri Daniels - Correction : Tom Freeman - Illustration : Clara Lacy - Direction artistique : Charlie Hall Traduction : Marie Simon.Décidément, nous devrions à la fois devenir plus animaux, et concéder un peu plus d'humanité à nos chiens.