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Culture

Les premier·es ravers, clubbers et hippies d’Angleterre

Le livre de Matthew Smith, « Exist to Resist », retrace une bonne partie de la culture rave dans l'Angleterre des nineties et témoigne d'une époque où la fête savait aussi être politique.

Matthew Smith est passé par toutes les phases nécessaires pour devenir un raver digne de ce nom : école d’art, clubbing, festivals, nihilisme adolescent, sound-system, liberté, ecstasy, hédonisme. Dans les années 1990, la jeunesse avait le douloureux sentiment d’être diabolisée et Matthew Smith s’est attelé à contre-carrer ces vilains clichés en dépeignant sa génération sous une lumière douce et naturelle.

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Son dernier ouvrage, Exist to Resist, a été entièrement financé sur Kickstarter. Il rassemble des images de la scène extatique et dansante qu’il a côtoyée, en révèle les dessous politiques et la veine anti-gouvernementale. Si les premiers jours de la scène rave avaient pour seuls mots d’ordre la musique et la danse, sa criminalisation grandissante de la part du gouvernement Tory a vite donné à ses participant·es l’envie de se rebeller contre le système en place, brandissant la liberté comme étendard.

Plus qu’un livre de photos, Exist to Resist est le témoignage d’une époque et la preuve que la jeunesse a su et pu, un jour, défier le gouvernement et le pouvoir en place. Une idée avec laquelle notre génération est bien trop familière.

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Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir sur cette époque aujourd’hui ?
Si j’ai réalisé ce projet, c’est avant tout parce que je crois que la photographie peut témoigner d’une époque et permettre aux gens de mieux appréhender le présent et le futur qui vient. La photographie est un outil formidable lorsqu’il sait faire réfléchir les gens, quand il s’extrait de la vanité ou de la célébration d’un produit.

La plupart des images du livre ont pu naître grâce à une petite bande de potes qui s’est rassemblée pour dire « non » au gouvernement en pensant que c’était la meilleure chose à faire. C’est ce qui rend ces photographies intéressantes aujourd’hui.

Les mêmes frustrations existent aujourd’hui…
De plus en plus, j’ai l’impression qu’on vit dans un pays où les garants de la démocratie ont échoué et fait leur temps. En tant que nation, nous devons faire en sorte que notre gouvernement évolue, nous devons créer de nouvelles choses, en phase avec les évolutions de la société et loin de la corruption qui fait loi aujourd’hui.

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Comment s’est faite ta rencontre avec la culture rave ?
J’ai grandi dans une petite ville dans les années 1980. C’était un microcosme réunissant toutes les tribus, tous les styles de l’époque. En prépa, j’ai réussi à obtenir un job dans le pub local où tout le monde avait l’habitude de se retrouver : les bikers, les punks, les skinheads, les hippies, les gens arty. C’était une vraie communauté de jeunes dans la ville, tournés vers la mode et la musique.

Mon cousin a lancé le club The Gap et on y jouait plein de musiques différentes sous les noms d’Alien Sex Fiend, King Kurt ou The Cramps. Ça passait du disco et de la funk, du rap de Chicago (Sugarhill Gang, Whodini et James Brown) ou de l’électro, à l’instar de Divine. Y’avait aussi pas mal de jazz, du Louis Jordan et du Cab Calloway; tout le monde dansait sur tout. Et bien sûr, on organisait des grosses house parties dans les fermes et les granges des villages périphériques.

Ma petite copine de l’époque était étudiante en art à Liverpool. Je partais du Somerset pour aller la voir et à chaque fois, on se rendait ensemble à une soirée acid house, la « Bigmouth ». Quelque temps après, j’ai pris le chemin de l’école et suis parti étudier à Stoke, pas très loin de Manchester. C’est là que j’ai commencé à me rendre dans les soirées acid house pleines de stroboscopes, de rayons infra et de fumée. On pouvait y écouter Pump Up The Volume et Paid in Full et l’intemporel French Kiss de Lil Louis. Un de mes potes de Somerset qui avait vécu à Stoke un an organisait des raves au club Introspective. Ça ne commençait jamais avant 2 heures du mat’ et c’était toujours rempli de skinheads en pantalon rouge et sans t-shirt, en transe sur la musique. Les filles, pareil : elles étaient toutes en soutien-gorge. On avait l’impression d’assister à une sorte de cérémonie religieuse, tout le monde levait les bras dans les airs en rythme sur la musique.

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Sasha a lancé sa grosse résidence au Shelly de Longton à cette époque. On avait également à notre disposition un minibus qu’on avait obtenu grâce à notre asso’ étudiante. Du coup, on roulait jusqu’à Manchester pour se rendre à la Hacienda, vu qu’un pote travaillait au bar à cocktails du club. Mais jusque-là, mon expérience s’arrêtait aux clubs.

Tout a changé en 1989, l’année où je suis parti à Glastonbury. Je devais réaliser un projet photo pendant l’été, dans le cadre de mes études en photographie. Les raves s’étaient déplacées jusqu’à Glastonbury et cette année-là, de manière particulièrement forte. C’était une expérience folle.

Il y avait un énorme car rouge transformé en bar. Sous les tables et de longues nappes Vichy d’énormes haut-parleurs géants étaient cachés. J’ai dansé 10 heures jusqu’à l’aube avant de reprendre les hostilités le jour suivant avec quelques personnes que je ne connaissais que depuis la veille, mais à qui j’étais déjà attaché. On n’avait même pas appris à se connaître.

Pendant plusieurs années, je me suis rendu aux soirées DiY et Circus Warp de Somerset, aux house parties de Devon. Mes étés ont été marqués par ces expériences et ont forgé ma jeunesse passée dans l’ouest.

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Qu’est-ce qui t’a donné envie d’immortaliser cette scène ?
Pour mon exposition de fin d’études, j’avais photographié le festival Mosside et celui de Notting Hill. Ça m’a donné envie de m’intéresser un peu plus au reportage sur les scènes musicales. J’ai travaillé à Londres pour un mec qui était un spécialiste dans le domaine (il avait bossé avec les Rolling Stones dans les années 1960) et m’a filé quelques plans freelance pour Polygram. Là, j’ai compris ce que signifiait le terme « musique commerciale ».

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Et puis très vite, le festival Castlemorton est arrivé. J’ai reçu des appels au travail de mes potes qui y étaient déjà. Je ne pouvais évidemment pas m’y rendre mais c’était évident que ce qui se passait allait marquer l’histoire. C’était un peu l’aboutissement de toute une série de soirées qui s’étaient développées à vitesse grand V et la preuve de la montée en puissance de la culture rave. Donc quand ça a pris une telle ampleur que c’en est devenu illégal, j’ai pensé que la meilleure chose à faire était de l’immortaliser. Je voulais renverser la perception qu’avaient de nous les politiques et les journalistes de l’époque.

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Quand tu la photographiais cette scène rave, tu avais l’impression d’en être un spectateur ou un acteur ?
Je pense qu’on est tous un spectateur ou un acteur pour quelqu’un. Mais avec la puissance du son, tout le monde s’en foutait finalement.

Quel message souhaites-tu transmettre à travers tes photos ?
J’aimerais que ceux qui les voient l’oublient quelques instants, mais la vérité, c’est qu’à cette époque, il y avait beaucoup plus de liberté qu’aujourd’hui…

Est-ce que tu penses que la scène rave est née en réaction à un système politique en place ? La politique faisait-elle partie intégrante de cette scène ?
La politique est devenue indissociable de la scène rave à partir du moment où celle-ci a été criminalisée. Mais sa popularité vient du fait qu’elle a rassemblé les gens qui cherchaient à se loger sans passer par le piège de l’emprunt ou de la location.

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L’emprunt immobilier est le principal élément du contrôle social qu’exerce le gouvernement sur les gens. Parce qu’ils finissent par se sentir obligés d’acheter. Maintenir ce contrôle financier sur les gens et leurs lieux de vie est essentiel pour assouvir le pouvoir du gouvernement. Quand le gouvernement s’est ouvertement prononcé contre les raves et le monde de vie nomade de ses participant·es, il a commencé à vendre au peuple l’idée du bien immobilier. Et dans son essence même, les raver-voyageurs·es contraient cette philosophie.

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Quelle est ton image favorite et pourquoi ?
Mon image favorite est uniquement visible dans le livre et n’a jamais été publiée avant sa sortie. Vous pourrez me poser à nouveau la question après la sortie du livre et je vous raconterai l’histoire de cette image. Mais pour l’instant, rejoignez la résistance. Achetez le livre. Regardez les photos. Lisez les textes. Venez voir l’exposition. Faites ce voyage. Et surtout, laissez vous aller.

J’ai vu dans l’une des photos une affiche sur laquelle était inscrit « résister c’est exister », tu as inversé cette maxime pour le titre de ton livre, pourquoi ?
Parce que la liberté est inhérente à chacun. C’est un droit qui existe en dehors de toute permission politique, bien que cette liberté implique de nombreuses responsabilités individuelles. L’existence vient en premier, la question de la résistance ne devrait pas se poser dans une démocratie qui fonctionne, la démocratie doit permettre à tous de vivre comme il le souhaite. Malheureusement ça n’est pas toujours le cas, ce qui rend la résistance nécessaire.

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Nous ferons peut-être une nouvelle impression pour y inclure un certain nombre d’éphémères que j’ai rassemblés sur mon chemin, et on l’appellera Résister c’est Exister. Au final, ces mots sont interchangeables.

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Ton livre se ferme sur l’année 1997, à l’époque où le gouvernement Labour a été élu. C’est un événement qui a marqué la fin d’une époque selon toi ?
Malheureusement non, ce n’était pas la fin d’une époque pour moi. C’est l’histoire que raconte une de mes photos, sur laquelle on peut lire le graffiti “Fuck The Election” sur les murs de la National Portrait Gallery. Je l’ai prise la veille de l’élection de Blair. En vrai, c’était la même merde, à une époque différente. L’histoire récente le prouve : on voit les conséquences catastrophiques que ce mandat a eu sur des millions de vies. En revanche, il a permis à de nombreuses organisations de s’enrichir et de réduire un peu plus les libertés des gens dans le monde.

Tu penses qu’on a tendance à trop idéaliser la culture rave ?
Vu que je l’ai vécu, je peux vous dire ce que c’était, la culture rave. On portait des enceintes énormes sur le dos, on dépensait du carburant, on passait des heures dans la voiture, on plantait des tentes et ramassait les déchets des gens sans avoir dormi depuis 24 heures. On dealait avec des Djs qui cassaient tout le matos avant de danser comme des forcenés en se répétant que bon, quand même, la musique était bonne.

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On se tenait en équilibre sur des échelles pour installer des éclairages hyper couteux que des gens avaient mis du temps à fabriquer. On se creusait la tête, on échangeait, on planifiait tout pour créer un environnement dingue dans des lieux dingues.

La culture rave rassemblait des gens autour d’une même envie, sans qu’ils se connaissent, du tout. Avec ça et toute la meilleure volonté du monde, tu pouvais te retrouver face à un mec qui lâche ses chiens sur toi, face à un autre qui te pointe une matraque à l’arrière du crâne et, aujourd’hui, face à un violeur de données qui te chourre ton téléphone.

mattkoarchive.com @mattkosnaps

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