Société

Le confinement est l’un des meilleurs moments de ma vie

Confinement coronavirus France

L’heure est grave. Des milliers de gens tombent malades, certains meurent. Il est de notre responsabilité de citoyens de rester confinés et de limiter nos déplacements. Qu’importe que vous n’ayez pas peur d’être contaminé par le Covid-19. C’est pour les autres, les plus vulnérables, pas pour vous. Ayant bien assimilé ce message, je ne quitte plus l’appartement dans lequel je cohabite avec deux personnes. Par obligation, par devoir. Mais aussi parce que je passe un excellent moment.

Rappelons que le but du confinement est de limiter au maximum les contacts entre êtres humains pour enrayer la propagation du virus. Comme la quasi-totalité de mes souffrances et vraisemblablement des vôtres, des grosses entailles du passé aux petits emmerdements du quotidien, proviennent de ces contacts, la solitude me rend heureux comme un oiseau de paradis dans la jungle papouasienne. Je n’ai même plus à inventer d’excuses pour ne pas sortir boire et me droguer car désormais, rester chez soi est tout bonnement obligatoire ! Vous vous rendez compte ?

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Comme personne ne me parle, je n’ai plus à faire l’effort de concevoir ni prononcer une réponse en prenant la bonne expression faciale. C’est tellement reposant de ne pas parler, on en deviendrait presque moine chartreux. Le silence, la solitude, mais avec tout le confort. Quelle chance, quel bonheur, c’est inespéré, incroyable. Comme personne ne me voit, je peux être moche et nu ou mal habillé. J’écris ces lignes en jogging et tee-shirt col V, les cheveux biens plats sur le crâne, et j’ose à peine imaginer le bonheur de ne pas avoir à se maquiller-démaquiller. Enfin, comme personne ne m’entend, je peux penser à voix haute en permanence et pousser des hululements de dément. Cette semaine, par exemple, j’aime imiter la clarinette de The Hustle de Van McCoy. Et vous ?

Le confinement est aussi une bénédiction parce qu’il dissout le temps. Je me réveille dix minutes avant mon heure de pointage habituelle et je commence à bosser tranquille bien au chaud dans mon lit, niquez-vous avec vos conseils pour bien télétravailler. Je suis sur mon territoire, à l’aise, et donc plus productif qu’au bureau de toute façon.

« Des centaines d’euros d’ordinaires évaporées à cette époque du mois sont là, sur mon compte. Je ne m’en amuse pas moins pour autant. J’ai tant de livres à lire, de films à regarder, de trucs à écouter, je peux jouer à l’ordinateur, enchaîner les “Faites entrer l’accusé”, être brutalement improductif »

La pause-déjeuner arrive ? Énorme, je saute dans la douche pour vingt grosses minutes. Pour une fois, je n’ai pas peur d’être en retard au boulot ou il n’est pas minuit en retour de salle de sport. Cette fois, nous sommes mardi à quatorze heures, je sors de l’eau rougi comme un crabe et me sers un verre de vin que je sirote à plat-ventre sur le canapé, un trait de soleil sur le bout du pied. Comme le confinement annule les situations sociales, plus besoin d’assurer la verticalité, je laisse ma masse musculaire fondre en ne me dés-affalant que pour subvenir aux besoins les plus basiques. Nous on se lève juste pour pisser, dit le poète.

Autre corollaire du confinement : les économies. L’épargne, mes amis ! Par les temps qui courent, ça ne sert à rien, mais c’est agréable de regarder son argent sur son compte comme une ressource excédentaire dans Age of Empires. Je ne dépense plus un sou dans les soirées, les restaurants, les sorties, les cigarettes : je fume beaucoup moins car je n’ai plus besoin d’un prétexte pour m’échapper deux minutes d’un bar à blancos. Des centaines d’euros d’ordinaires évaporées à cette époque du mois sont là, sur mon compte. Je ne m’en amuse pas moins pour autant. J’ai tant de livres à lire, de films à regarder, de trucs à écouter, je peux jouer à l’ordinateur, enchaîner les Faites entrer l’accusé, être brutalement improductif.

J’ai le temps de faire tout ça car le confinement signifie aussi que je n’ai plus à me transporter. Finis les transports en communs, avatars du communisme ! Finis les vélos, veaux d’or des millennials sans pouvoir d’achat mais pleins de principes en mousse ! Je me réveille juste à temps pour travailler, donc, mais je finis aussi ma journée le cœur léger, car je sais que je ne vais pas avoir à me pousser pour laisser passer les schlagues agressifs et puants de la ligne huit ou m’embrouiller avec un scooter anencéphale sur une piste cyclable. Adieu veau, vache, cochon, couvée et surtout anthropopithèque fréquentant l’unité urbaine de Paris, tu ne me manqueras pas.

On en revient aux autres êtres vivants, oui, mais c’est aussi une affaire de temps et de calories perdues. Hors pandémie mondiale, vos trajets vers des trucs chiants tapent dans les ressources que vous deviez allouer à vos loisirs : cette demi-heure cramée dans les bouchons pour aller chercher Mahmoud à la garderie n’ira pas dans Le Bazar de la charité ou que sais-je encore. En ce moment, quand je finis à 19h, je suis sur Modern Warfare ou en train de faire des pompes dans le salon à 19h01. Ce sont les trois huit pour de vrai.

Le coronavirus semble avoir arrêté le monde des médias et c’est son autre influence positive sur mon quotidien. L’une des douleurs du métier de journaliste, c’est la proximité constante avec l’actualité et ses petites merdes montées en épingle par diverses catégories de faibles et d’idiots : rédacteurs en chef, sommités Twitter et ainsi de suite. Croyez-moi, à la longue, ça énerve assez pour faire jaunir le blanc des yeux et chercher un autre boulot. Mais le virus tire toute la couverture médiatique sur lui ! Et c’est normal, et c’est tant mieux. Même les grandes rédactions n’ont plus besoin de publier d’éditoriaux embarrassants pour rapporter du trafic, c’est dire. Pour un moment, au moins, nous sommes donc libérés de ce sinistre manège.

Bien sûr, le confinement a du charme parce qu’il rompt la monotonie de la vie et tôt ou tard, nous souhaiterons retrouver notre liberté AKA boire des picon-bière en terrasse, aller au forum des images voir des merdes et partir en vacances dans des pays pauvres.

« Pour ma part, ça va, merci, je suis à l’aise et c’est aussi pour ça que je passe un excellent moment »

L’un de mes collègues, docte syndicaliste dont je tairai le nom, m’a rétorqué lorsque j’ai tenté de lui extraire des idées pour cet article : « Je kiffe le confinement dans le sens où il me permet d’assouvir mes passions les plus fainéantes, type jeux vidéo, sans me demander énormément d’efforts. Mais il me déprime parce que c’est une perte de liberté qui découle d’une faillite institutionnelle, je sais qu’il ne sert qu’à ralentir laborieusement la propagation d’un virus qu’on finira tous par choper. Sentiments contradictoires quoi. Mais domine quand même la sensation d’être infantilisé pour une notion assez floue, le fameux greater good. »

Ah, la liberté, valeur cardinale de notre société de pisseurs de rue. Mais pourquoi serait-elle au-dessus du confort, par exemple ? De la propreté ? Ou même de la sécurité ? Et dans ce cas, donc, du « fameux greater good » ? Mais voyez-vous, le sujet dérive encore vers l’extérieur, vers le grand, vers la communauté et ses emmerdements, alors que ce confinement est une véritable opportunité de se « recentrer sur soi » comme disent les nazes. Chaque jour de ma vie normale, je cavale pour ne pas penser, notamment à ma ride du lion qui creuse tant qu’elle finira forcément par exposer le beige de ma boîte crânienne. C’est le moment idéal pour un auto-examen : qu’est-ce qui me gêne quand, seul dans ma chambre, je suis obligé de me tenir tranquille ? Quelles passions m’agitent ?

Pour ma part, ça va, merci, je suis à l’aise et c’est aussi pour ça que je passe un excellent moment. Mais les gesticulations numériques d’un certain nombre de gens m’inquiètent. Comment ça, être seul avec ta copine te met mal à l’aise ? Qu’est-ce que tu veux dire quand tu pleurniches sur les réseaux sociaux parce que les enfants vont rester à la maison ? Ta femme et votre relation craignent à ce point, tes marmots sont si chiants ? Si tu as tout ce beau monde dans les pattes, ce n’est vraisemblablement pas la faute du monde extérieur. Aussi le coronavirus est-il une chance : dehors, il appuie fort sur les faiblesses de nos société, de notre économie, vous connaissez la chanson. À l’intérieur, il appuie sur nos faiblesses d’individus et, ce faisant, nous révèle à nous-mêmes. L’après-confinement sera lourd de conséquences, c’est certain. Espérons que ce sera pour le mieux. Au niveau personnel, en tout cas, ça ne dépend que de nous.

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