Ce que le monde du travail devrait laisser mourir en 2017

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Ce que le monde du travail devrait laisser mourir en 2017

Messageries d'entreprise, départs groupés, réunions : il est temps de couper toutes les têtes de cette Hydre de Lerne qu'est le travail moderne.
Paul Douard
Paris, FR

Toutes les illustrations sont de Pierre Thyss.

En France, 2016 a été une année très mouvementée dans le triste monde du travail. Des CDD à vie de Bruno Le Maire à la loi Travail de Myriam El Khomri (vous savez, celle qui pense qu'on peut renouveler un CDD trois fois), en passant plus récemment par la fin des 35 heures pour « les jeunes » souhaitée par le candidat Emmanuel Macron, nous avons pu entrevoir ce que nos dirigeants politiques avaient derrière la tête pour le futur de nos jobs – sans surprise, rien de très reluisant.

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Mais avant de se demander ce qui est susceptible de nous arriver dans un futur plus ou moins proche, il serait déjà bon de faire du tri dans ce que nous vivons au quotidien dans nos open spaces respectifs. Selon une étude Cegos menée en 2016, 41 % des salariés interrogés estiment que le climat social de leur entreprise s'est dégradé « un peu » ou « beaucoup » entre 2015 et 2016. L'année 2017 devrait fatalement être pire. Ce n'est pas si étonnant, si on prend en compte le fait qu'une journée de travail lambda se résume souvent à une réunion inutile, au remplissage d'un tableau Excel incompréhensible et un environnement proche d'une version bas de gamme de The Office. Voici une sélection non exhaustive de ce que le monde du travail devrait enfermer dans un cachot avant d'en jeter les clés dans l'océan en 2017.

LES MESSAGERIES INSTANTANÉES D'ENTREPRISE
Elles devaient « fluidifier les process », elles n'ont fait que créer un Enfer sur Terre. Souvenez-vous, vous vous installez en réunion avec vos collègues pour valider le slogan de votre nouvelle campagne publicitaire d'un robot mixeur lorsque six personnes se mettent à discuter en même temps sans prendre la peine d'écouter leurs interlocuteurs. C'est le chaos, et vous avez envie de mourir. C'est ici que l'univers radieux des applications de conversations groupées à usage professionnel entre en jeu.

Slack, le leader sur le marché, annonce aujourd'hui près de 4 millions d'utilisateurs quotidiens sur sa plateforme. Censées améliorer la communication entre les salariés, voire remplacer des réunions physiques inutiles, ces applications ont plutôt ajouté un stress supplémentaire à des personnes déjà proches du suicide. Ces chatrooms professionnelles sont comme des tapis roulants de caisse de supermarché où les choses défilent sous nos yeux sans que l'on puisse s'y attarder plus d'une seconde. C'est finalement la même chose que lorsque vous envoyez un message groupé à vos potes sur Messenger pour leur demander ce qu'ils font ce soir. Au bout de cinq minutes, personne n'a répondu à la question et la discussion est noyée sous une pléthore de GIF débiles. Vous avez envie de décéder, encore une fois. L'auteur Samuel Hulick expliquait très justement au site Quartz que « tenter de suivre des dizaines de tâches et de conversations en même temps requiert une présence ubiquitaire, façon Skynet. Je n'en suis pas capable. Ces applications ont démultiplié les problèmes de communication en rendant la communication obligatoire en permanence. »

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Ces messageries sont avant tout des gadgets, car pas grand-chose ne prouve que cet outil facilite réellement le travail. Cette omniprésence de la parole pousse aussi à parler pour ne rien dire, ce qui donne forcément lieu à des choses peu pertinentes. Enfin, tout ce qui est raconté sur ces messageries est soit proche du néant intellectuel, soit proche de vous faire licencier. Le pire étant peut-être que Slack en profite pour observer votre façon de travailler afin de vous rendre plus productif dans le futur, ou de vous licencier.

LES RÉUNIONS « IMPORTANTES »
Selon le baromètre 2016 Wisembly/IFOP, les cadres français passent en moyenne 24 jours par an en réunion. Que vous soyez cadre ou non, vous passez donc a priori autant de temps en vacances qu'en réunion à espérer que votre N+1 ne vous apostrophe pas, car à l'instar de tous vos collègues, vous n'en avez rien à foutre. Selon une autre étude relayée par Europe 1, 74 % des Français s'ennuient en réunion. Pourtant, les réunions sont en théorie un bon moyen de se regrouper entre salariés pour prendre des décisions importantes. En théorie . Mais combien de fois avez-vous été en réunion, les yeux emplis d'espoir et votre carnet sous le bras, pour finalement en sortir une heure plus tard sans le moindre souvenir de ce qui y a été dit – et avec une nouvelle réunion programmée par mail qui comporte l'objet « suite réunion mardi » ?

La très sérieuse page Wikipédia « réunion de travail » énonce une liste de règles à suivre pour réussir sa réunion. Vous pourrez constater vous-même à la lecture de ces multiples règles que de fait, organiser une réunion est un supplice intellectuel et physique. Cette dernière sera donc inexorablement le fruit de sa propre organisation chaotique. Au final, pourquoi se réunir et créer un semblant de cohésion et de confiance alors qu'il existe un boss payé pour prendre les décisions à la place des autres ? Surtout, le monde du travail français est particulièrement marqué par la notion de hiérarchie – et peu de salariés oseront l'ouvrir devant tout le monde en présence de leur patron.

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Le problème est même assez parlant puisque l'étude citée plus haut montre que 35 % des dirigeants estiment eux aussi que la moitié des réunions est inefficace. La réunion va surtout à l'encontre de notre fonctionnement. Depuis notre naissance nous sommes façonnés autour de ce fameux système hiérarchique, avec notre famille, puis à l'école, au travail et dans la société. Toutes nos actions s'articulent autour du fait de donner des ordres et d'en recevoir. La réunion déroge à cette règle, et c'est pourquoi nous y sommes excessivement mal à l'aise. Par pitié, en 2017, laissez les gens faire ce pour quoi ils sont payés.

VOTRE PATRON, AINSI QUE SES PATRONS À LUI
Quand un travailleur essaye de comprendre d'où vient sa somme de problèmes au travail, une personne revient très souvent sur ses lèvres : son patron. Ce serait un euphémisme que de dire que les Français n'apprécient pas nécessairement leur hiérarchie. Le mois dernier, le CFDT a lancé un vaste questionnaire intitulé « Parlons travail » sur Internet auquel plus de 100 000 personnes ont répondu. Les résultats de l'enquête montrent que si les deux tiers des participants estiment prendre du plaisir à leur travail, ce n'est pas vraiment grâce à leurs supérieurs, bien au contraire. En effet, deux tiers des salariés estiment que leur chef est inutile. Mieux, ne pas en avoir ne changerait rien pour eux, semble-t-il. De plus, six salariés sur dix ont l'impression que leur supérieur ne se préoccupe pas du tout de leur bien-être et 70 % pensent qu'en général, un chef se protège plus qu'il ne protège ses collaborateurs. Cerise sur le gâteau, trois sondés sur dix disent avoir déjà eu envie d'être violent envers leur hiérarchie. Mesdames et Messieurs les patrons, faites donc attention avant de dire « non » à une promotion. De la même manière que l'écart entre les plus pauvres et les plus riches se creuse, celui entre les dirigeants et leurs salariés aussi.

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Ensuite, l'étude révèle que les promotions « sont vraiment vues comme une affaire de petits arrangements, et non une reconnaissance du travail », explique Florian Meyer, responsable de l'étude à la CFDT, à Europe 1. Entre nous, cela n'a rien d'aberrant tant cela fait bien longtemps que l'intelligence n'est pas le premier critère récompensé dans les entreprises modernes , au contraire. Les patrons français ne seraient donc que de vulgaires égoïstes enfermés dans leur tour d'ivoire, préférant promouvoir leurs potes plutôt que les honnêtes travailleurs qui bossent comme des ânes toute la journée.

De toute façon, il ne semble n'y avoir aucune alternative à cela. Une étude publiée en octobre 2016 par la Harvard Business Review affirme que nos dirigeants ne sont pas prêts à tout changer, loin de là. « Ayant réussi plus vite que les autres, tout les pousse à être confortés dans la répétition de leurs modes de management antérieurs. Bien qu'ils souhaitent le changement, ils en sont souvent les premiers freins ». Du coup, non seulement vous avez le sentiment qu'ils ne servent à rien, mais en plus il ne faut pas compter sur eux voir entrevoir un quelconque changement .

ATTENDRE LE DÉPART DE SON COLLÈGUE POUR PARTIR À SON TOUR
Les Français excellent dans l'art du présentéisme contraint et forcé. Au départ une simple technique de stagiaire qui n'ose pas partir avant que quelqu'un ne lui en donne l'autorisation, cette stratégie s'applique aujourd'hui à la plupart des salariés – qui soit sont conscients de la médiocrité de leur travail, soit n'ont aucun courage. L'un n'empêchant pas l'autre, évidemment.

Oui, en France il est relativement commun et bien vu d'être assis devant son ordinateur de 9h30 à 18h, quand bien même vous n'avez rien à foutre de votre journée ou que vous êtes malade . Selon une étude Ipsos publiée cette année, 65 % des travailleurs Français préféreraient travailler de chez eux et ne plus avoir à se plier à des horaires qu'ils n'ont pas décidés. Sauf que nos dirigeants ne le souhaitent pour l'instant. Le présentéisme coûterait pourtant plus cher à l'entreprise que l'absentéisme. En effet, le salarié malade qui se force à venir va finalement détériorer son état – et potentiellement celui de ses collègues – et être moins productif nettement plus longtemps que s'il n'était pas venu une journée ou deux avant de revenir requinqué.

Le député Pierre Morel-A-L'Huissier voudrait même en faire la « Grande cause nationale pour 2018 ». Il expliquait récemment au site Next Impact que le télétravail est un « mode de vie qui tend vers l'optimisation de l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée, la diminution de la fatigue inutile et la préservation des ressources environnementales. Si cette pratique ne concerne encore que 5 % à 10 % des salariés dans l'Hexagone, c'est que subsistent encore des freins culturels liés à un rapport au travail basé sur le présentéisme et à une culture managériale rétive ». Récemment, l'article 57 de la loi Travail avait formulé quelques aménagements pouvant faciliter le télétravail. Mais cela devait passer par un accord entre les partenaires sociaux, dont le dernier sur le sujet date de 2005. Mais dans un pays noyé sous le corporatisme et l'inertie, il est certain que nous serons encore assis sur notre chaise inconfortable lundi prochain, les yeux rivés sur notre écran à regarder l'horloge numérique défiler.

Paul est sur Twitter.