Les lignes suivantes sont extraites de la monographie d’Andreas J. Hirsch sur les travaux de H.R Giger, publiée aux éditions Taschen. Toutes les photos sont publiées avec leur aimable autorisation.
Au printemps 1978, alors qu’il venait tout juste de fêter ses 38 ans, l’artiste suisse H.R. Giger écrivait ces quelques lignes dans son journal :
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18 mai 1978. Le travail sur le film avance à grands pas. La construction du vaisseau spatial est presque achevée. C’est un travail remarquable. Des maquettes du paysage et de l’entrée principale de la navette ont été réalisées par des gens peu coutumiers de mon travail. Je leur ai suggéré de se procurer des os et de monter le reste avec de la pâte à modeler.
À l’époque, H.R. Giger était un peintre reconnu dont l’univers lugubre était déjà largement diffusé – à travers des éditions de posters apparus à la fin des années 1960, dans un livre illustré intitulé Necromicon, mais aussi sur des pochettes d’albums à l’image de celle de Brain Salad Surgery du groupe Emerson, Lake & Palmer. Néanmoins, il travaillait également sur un projet qui allait faire de lui une icône et lui permettre de décrocher un Oscar. Le réalisateur Ridly Scott l’avait embauché pour réaliser les visuels du xénomorphe dans son film Alien. Ainsi, Giger s’est rendu dans les Shepperton Film Studios situés près de Londres afin d’esquisser l’univers du film.
C’est la peinture Necronom IV qui a convaincu Ridley Scott de faire appel à Giger. On peut y voir sa créature de profil, affichant quelques traits vaguement humanoïdes. Son crâne est allongé, et son visage est presque entièrement réduit à quelques dents déchaussées et des yeux gigantesques. Des tuyaux s’échappent de son cou, et son dos est recouvert d’extensions cylindriques et d’une queue de reptile. Une immense verge vient se courber derrière sa tête – à l’intérieur, on peut y voir un être squelettique semblable à un jeune saint reposant dans un cercueil de verre.
L’intégralité de son corps semble être tendue, mais il se maintient avec une certaine aisance. Seuls ses bras puissants se rapprochent d’une forme humaine, même si un réseau de fils de fer et de circuit est visible sous sa peau translucide. En haut à droite de la peinture, on discerne également une main composée de longs doigts très fins qui contrastent avec son air impitoyable. On a comme l’impression qu’elles vont attraper quelque chose hors de notre champ de vision, ou qu’elles manipulent un objet situé au loin.
La créature occupe la quasi-totalité de l’espace et ne laisse que peu de place à l’arrière-plan. On peut entrevoir des formes visqueuses – il est évident que cette chose ne vient pas de notre monde.
Erotomechanics VII, 1979
Giger a dû effectuer de nombreux changements pour que cette peinture fasse partie intégrante du film. La peinture d’origine fascinait tellement Ridley Scott que ce dernier lui a demandé de réaliser une « histoire naturelle » complète fondée sur le scénario de Dan O’Brannon, laquelle a finalement donné naissance à la créature du film. Au cours d’une intense période créative et artistique, Giger a élaboré les ébauches nécessaires à la mise en mouvement de sa créature. L’alien de Giger représente un tournant important dans l’histoire de la science-fiction et des films d’horreur.
NY CITY II (1980)
Giger a laissé son empreinte dans des domaines très divers : la peinture, le cinéma, la musique, mais aussi le tatouage – telle une « Pierre de Rosette » de l’art, les œuvres de Giger n’ont pas encore révélé tous leurs secrets.
En ce qui concerne l’histoire de l’art, l’artiste nous livre des tableaux sous l’influence des surréalistes et des symbolistes, mais parvient à créer une œuvre autonome et inclassable. Il avait déjà contribué à alimenter le monde de l’art fantastique au XXe siècle, bien avant son travail pour Alien. Ses idées sont encore développées indépendamment dans des courants tels que l’art médiatique et le Bio-Art, moins comme une influence esthétique que comme une approche conceptuelle.
Cthulhu (Genius) III (1967)
On retrouve dans l’interprétation de l’œuvre de Giger une focalisation sur la mythologie et la psychologie, mettant en lumière son approche des peurs individuelles et collectives. Elles ne se résument pas à des figures narratives mais émanent sous les traits d’une créature mythologique. L’œuvre est saturée par des archétypes et des êtres d’un monde futur, bien au-delà des notions de réalité, riche en symboles, formes et de thèmes issus de traditions occultes. Elles appellent à une lecture mêlant alchimie, astrologie et magie.
Les rêves et les traumatismes, la naissance et la mort sont des possibles interprétations de tous les travaux de Giger et pourraient facilement, pour qui le voudrait, remplir les étagères d’une bibliothèque entière.
Andreas J. Hirsch est un photographe, écrivain et un conservateur de musée installé à Vienne, où il organise des expositions d’artistes aussi variés que H.R Giger, Pablo Picasso et Friedensreich Hundertwasser.
Les éditions Taschen publient un ouvrage regroupant un grand nombre d’œuvres de Giger issues des années 1980. Le projet de cette monographie colossale a été amorcé il y a dix ans, sous la tutelle de Giger qui a accepté de livrer ses dessins avant sa mort.
L’édition limitée de la monographie sur H.R Giger est disponible ici.
Une exposition dédiée à H.R. Giger, intitulée « Seul avec la Nuit » aura lieu du 16 juin au 27 août au Lieu Unique, à Nantes. Cliquez ici pour plus d’informations.