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L’histoire tragique d’un étudiant britannique mort au cours de son initiation

La mort d’Ed Farmer après une tournée des bars n’est pas une première.
L’histoire tragique d’un étudiant britannique mort au cours de son initiation
À gauche : Ed Farmer (Facebook). À droite : capture d’écran d’une vidéo de caméra de surveillance captée le soir de son décès (Northumberland Police)

L’article original a été publié sur VICE Royaume-Uni.

Il était 17 h 45 le mardi 13 décembre 2016 quand Ed Farmer, étudiant de l’Université Newcastle, a été conduit à l’hôpital Royal Victoria Infirmary. Il était inconscient.

Ses vêtements étaient humides, il avait la tête en partie rasée et son taux d’alcoolémie était de 400 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang, soit plus de cinq fois la limite permise pour conduire. Les médecins évaluaient ses chances de survie à 50 %, mais c’était optimiste.

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Il est mort le lendemain. La cause officielle de décès, c’est « l’hypoxie cérébrale, un manque d’oxygène au cerveau, en raison d’un arrêt respiratoire ». En d’autres mots, la consommation excessive d’alcool a entraîné une accumulation de liquide dans ses poumons et il a manqué d’air. Il avait 20 ans.

Le soir précédent, le lundi 12 décembre, a commencé comme n’importe quelle soirée dans les bars. Ed Farmer, un étudiant de première année en économie, est entré au Three Bulls Heads, un pub de Newcastle vers 19 h 15. De 30 à 40 autres étudiants de l’université — seulement des garçons — y étaient aussi pour une tournée des pubs, le rite d’initiation à l’Agriculture Society de l’Université de Newcastle. Chacun avait reçu les mêmes consignes : ils devaient apporter une bouteille de spiritueux de 750 ml, de l’argent, des lunettes de natation, un œuf Kinder Surprise et du lubrifiant. Et ils ne devaient pas avoir avec eux leur carte étudiante.

La raison pour laquelle on leur demande de ne pas l’apporter, c’est que les organisateurs savent que ces initiations, où l’on boit excessivement, avaient été interdites par l’Université de Newcastle, et les étudiants ne voulaient y être associés d’aucune façon.

La soirée du groupe a commencé au Three Bulls Heads à fond de train par l’achat de 100 vodkas-jus d’orange, soit de deux à trois cocktails par étudiant. Le ton était donné. Ensuite, ils sont allés dans un autre établissement à proximité, le Basement Trebles Bar, sous un pub où l’on offre trois consommations pour cinq dollars. Le personnel a dû demander au groupe de quitter le pub, après que deux des membres se sont livrés à un « combat de lézards » : le tir à la corde avec deux ceintures attachées ensemble.

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Après, le groupe s’est dirigé vers une gare. En marchant, ils se sont passés des aliments peu ragoûtants, comme des pattes de poulet et des pommes de terre crues. Des images captées par des caméras de surveillance montrent qu’à ce point de la soirée, Ed Farmer avait déjà du mal à se tenir debout. Il a été porté hors de la gare et, même si la destination suivante n’était qu’à dix minutes de marche, on l’y a conduit. C’était la maison de James Carr, le président de l’Agriculture Society, qui avait organisé la soirée.

À la maison, la cérémonie d’initiation est devenue extrême. Des étudiants ont dû jouer à attraper une pomme avec les dents dans un bol d’urine, boire un mélange de vin et de lait, ramper jusqu’au garage où on leur rasait la tête. Certains ont bu de la vodka dans une tête de cochon, mais, à ce point, Ed Farmer était trop ivre pour même tenter d’y prendre part. Mais il a eu la tête partiellement rasée par un étudiant de troisième année. Des étudiants l’ont entendu ronfler fort et ont pensé qu’il s’était simplement endormi. Un peu après minuit, on l’a laissé dormir pour dissiper les effets des excès de la soirée dans un corridor de la maison.

S’il « ronflait fort », c’est en fait un signe que du liquide commençait à bloquer ses voies respiratoires. Il était environ 4 heures du matin quand d’autres étudiants ont remarqué qu’il avait cessé de respirer et l’ont couché sur le côté pour libérer ses voies aériennes. Carr a dit plus tard qu’un étudiant l’a réveillé en disant qu’il fallait envoyer Ed à l’hôpital. Il a ajouté que l’« on ne pense pas aux conséquences à moins que quelque chose de dramatique se produise. En y repensant, je ne sais pas quoi dire. Je savais que l’université n’autoriserait pas l’initiation. J’ai dit que je ne voulais pas que ça arrive. Si je pouvais revenir en arrière, je le ferais évidemment sans la moindre hésitation. »

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Plutôt que d’appeler une ambulance, les autres étudiants ont décidé d’installer Ed Farmer dans une auto et de le conduire au Royal Victoria Infirmary. Arrivé à l’hôpital, il était en arrêt cardio-respiratoire. Plus tard, les médecins ont dit que s’il avait été conduit plus tôt à l’hôpital, de sorte qu’il soit arrivé avant que son cœur cesse de battre, il est possible qu’il ait survécu.

En octobre dernier, interrogé dans le cadre de l’enquête, Carr a confirmé que l’objectif de la soirée avait été d’accueillir de nouveaux membres au sein de l’Agriculture Society en les encourageant à boire autant d’alcool que possible. « Le but de la soirée, et c’est horrible à dire, c’était d’accueillir tout le monde dans la société, mais la présence n’était pas obligatoire — on en faisait partie même sans avoir participé », a-t-il déclaré. Interrogé à savoir si les étudiants de première année étaient forcés à boire des quantités aussi excessives d’alcool, il a répondu : « Je crois qu’il y avait un peu d’encouragement de la part des étudiants plus vieux, mais sans force. Quand j’étais étudiant de première année, j’ai senti de la pression pour m’inciter à boire, mais je ne dirais pas que j’ai été forcé. »

À 6 h 40 le mardi matin, moins d’une heure après l’arrivée d’Ed Farmer à l’hôpital, son père a entendu un véhicule se garer dans son entrée à Leicester. Il a jeté un coup d’œil par la fenêtre et vu que c’était une voiture de police.

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« Quand le policier est sorti de la maison, j’étais sûr à 99 % qu’il aurait subi des dommages cérébraux », a plus tard dit Jeremy Farmer à l’émission Today de Radio 4. « Hélène, ma femme, était plus optimiste. Mais quand on est arrivé au Royal Victoria Infirmary, ils nous ont dit qu’il était dans un état très grave. Ils avaient fait une imagerie cérébrale et son cerveau était décédé. Notre réaction, ç’a été, dans ce cas, débranchez-le. Il n’y avait aucune raison de le garder en vie. »

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Ed Farmer (photo de famille)

Ed Farmer n’est pas le premier étudiant britannique à mourir lors d’une initiation universitaire. En novembre 2006, Gavin Britton, un étudiant de l’Université Exeter, est mort après avoir participé à une tournée des bars de trois heures pour entrer dans la Golf Society. Au cours de l’initiation, il a été applaudi après avoir calé un cocktail vert appelé « Jackson Five » équivalent à 12 shooters. Plus tard, les étudiants avec lui étaient trop saouls pour remarquer qu’il partait. Des gens se rendant au centre-ville d’Exeter le lendemain matin ont découvert son corps.

En 2005, Tom Ward, 19 ans, étudiant à l’Université Hull, a participé à une compétition de consommation d’alcool appelée la « Beverley Road Run ». Il a bu au moins 12 pintes et entre quatre et six shooters dans plusieurs bars avec d’autres joueurs de son équipe de rugby. De retour chez lui, il est tombé dans l’escalier et s’est retrouvé dans une position qui l’empêchait de respirer. Ses colocataires, en revenant plus tard du cinéma, ont découvert son corps sans vie.

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En 2003, Alex Doji, 18 ans, un joueur de l’équipe de rugby de l’Université Staffordshire, s’est étouffé avec son vomi et est décédé après une initiation au cours de laquelle il avait eu à attraper avec ses dents des ballounes dégonflées dans un bain de chili, de nourriture pour chiens et d’abats de porc.

L’association entre les équipes universitaires de rugby et l’initiation avec excès d’alcool est devenue si étroite que, l’an dernier, la Fédération anglaise de rugby a estimé que 10 000 étudiants avaient cessé de jouer au rugby pour ne pas avoir à subir les humiliations d’une initiation. Avant, une série de rapports de l’Université de Manchester montrait que les initiations d’équipes de rugby imposaient aux nouveaux de sortir un rat mort d’un seau de cidre avec les dents, glisser sur une bâche couverte de merde, d’urine et de vomi, et regarder un joueur de l’équipe dans les yeux alors qu’il se fait faire une branlette dans un bar de danseuses.

Après chacun de ces décès, on a tendance à faire les mêmes choses. On exige l’interdiction des initiations avec consommation excessive d’alcool, et d’habitude les établissements d’enseignement et les associations y procèdent. Au début, les interdictions sont appliquées à la lettre et les associations, calmées par un décès récent, évitent les excès. Toutefois, avec le temps, les initiations reprennent peu à peu, puis elles se font de plus en plus extrêmes, jusqu’à ce qu’un autre décès survienne. Et le cycle recommence.

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Il y a évidemment des limites au pouvoir des universités de surveiller les étudiants, en particulier à l’extérieur du campus. « Je pense qu’elles sont interdites dans toutes les universités au pays. Mais elles ne font pas respecter l’interdiction », a résumé le père d’Ed Farmer dans une entrevue à Radio 4. « Nous sommes d’avis que l’on devrait tracer une ligne dans le sable et tout le monde devrait savoir qu’au-delà de cette ligne les initiations sont interdites et si quelqu’un la franchit, il sera expulsé de l’université. »

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Un étudiant de Nottingham au cours d’une tournée des bars. Photo : Ian Francis, Alamy Stock Photo

Aux États-Unis, les décès dans le cadre d’initiations semblables sont encore plus fréquents qu’au Royaume-Uni. Le professeur Hank Nuwer, auteur de Hazing : Destroying Young Lives, est l’un des experts sur ce sujet. D’après les statistiques qu’il a recueillies, il y a eu 40 décès dans des circonstances semblables, avec l’excès d’alcool comme cause du décès, aux États-Unis entre 2007 et 2017. Par conséquent, dans tous les États sauf six il y a maintenant des lois contre les initiations extrêmes et dans dix États ces activités sont considérées comme des délits mineurs ou des crimes si elles entraînent des dommages corporels.

Le professeur Nuwer m’a dit qu’il a commencé à écrire sur ce sujet et à sensibiliser la population après le décès d’un étudiant à l’Université du Nevada, à Reno, où il avait lui-même étudié et joué au rugby et au baseball. Il se souvient aussi d’être intervenu quand il a vu un jeune homme « avec de l’écume qui sortait de la bouche après avoir bu de l’alcool de maïs à 95 % ».

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En se basant sur l’expérience des États américains, le professeur soutient qu’« une politique universitaire interdisant les initiations ne suffit pas », mais les lois peuvent changer les choses, car elles font en sorte que « les gens voient ce genre d’initiation comme un acte criminel ». Selon lui, « ceux qui ont poussé M. Farmer à boire excessivement savaient apparemment, consciemment ou non, qu’ils enfreignaient la loi, sinon ils auraient eu avec eu leur carte d’identité de l’université ».

Il croit que des sentences strictes, comme celles qui sont imposées en Floride et en Pennsylvanie, pouvant conduire à une accusation d’homicide et une longue peine de prison pour un organisateur d’initiation, « dissuadent certainement certains jeunes, ne serait-ce que parce qu’ils ont peur de la prison, de la tache sur le CV et de la longue mémoire de Google ».

Cependant, le pouvoir des universités et des gouvernements pourrait ne pas suffire pour réellement produire le changement nécessaire pour que ces décès ne surviennent plus. Le professeur Nwer me dit qu’il faut « un changement de paradigme dans l’attitude de l’ensemble des étudiants. Il n’y a pas eu assez de honte et de condamnation relativement aux initiations chez assez d’étudiants pour qu’il n’y ait plus de décès, en particulier parce que la consommation excessive d’alcool dans un rituel est d’une certaine façon vue comme un acte d’héroïsme. »

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Pour leur part, les proches d’Ed Farmer n’ont pas cherché à en attribuer la responsabilité aux étudiants de son université. « On n’accuse certainement pas les étudiants qui ont participé à l’initiation », a dit son père, Jeremy Farmer. « Je pense qu’en fin de compte, on n’accuse pas l’université. C’est un manque de compréhension du problème qu’elle a, et je pense que l’université a eu un choc en prenant conscience de la gravité du problème. »

En dernière analyse, ce sont les étudiants eux-mêmes qui doivent pouvoir compter les uns sur les autres et être responsables de leur sécurité et de celle des autres. Ben Butler, un porte-parole de l’organisme d’aide Drinkaware, pense que, même si les étudiants britanniques ont la réputation de boire beaucoup, un changement est peut-être en train de se produire. « On présume souvent que tous les étudiants veulent consommer de l’alcool, mais il n’est pas inévitable ni obligatoire que les jeunes consomment de l’alcool juste parce qu’ils sont à l’université, dit-il. En fait, de plus en plus de jeunes choisissent de boire moins ou de ne pas boire du tout d’alcool. »

Avec les Fêtes qui sont à nos portes, il ajoute qu’il est important que tous les étudiants comprennent que la consommation excessive d’alcool comporte de graves risques. « Le corps ne peut métaboliser qu’une petite quantité d’alcool par heure, explique-t-il. En buvant une grande quantité en peu de temps, la quantité d’alcool dans le sang peut perturber le fonctionnement de l’organisme. L’alcool affecte le jugement et le raisonnement, ce qui signifie qu’on est plus susceptibles de perdre la maîtrise de soi ou de prendre des risques, ce qui peut entraîner un accident et des blessures. Sans compter qu’il peut aussi affecter la mémoire. »

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Si vous prévoyez de sortir et être en état d’ébriété, dans le cadre d’une initiation ou non, Ben Butler donne ce conseil : « Prenez un repas consistant avant de partir, espacez vos consommations d’alcool en buvant de l’eau ou une boisson gazeuse, et demandez au préalable à une personne de confiance qu’elle vous raccompagne chez vous à la fin de la soirée. »

Et, comme l’ont appris les membres de l’Agriculture Society de l’Université Newcastle, au prix de la vie d’Ed Farmer, si une personne autour de vous a trop bu, veiller à ce qu’elle reçoive de l’aide médicale plus tôt que tard est le véritable acte d’héroïsme.

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