À l’inverse de pas mal de grandes capitales européennes « qui bougent », Londres a cette particularité de toujours donner l’impression de garder ses secteurs culturels en mouvement - pour ne pas dire en ébullition. Ne serait-ce qu’en musique, grâce à un savant mélange de fluidité (tout le monde passe d’une scène à l’autre) et d’émulation (tout le monde joue avec tout le monde), la capitale anglaise peut se targuer d’avoir enfanté une grosse vingtaine de genre et sous-genres (souvent électroniques) en autant d’années. De quoi foutre la honte à la ville-lumière qui, si elle a su ces cinq dernières années du moins, s’extraire d’une muséification certaine, n’échappe pas à une certaine stagnation.
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L’importance du lieu
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« Quand j’ai découvert Londres, j'avais pas trop d'endroit où dormir, donc je restais à TRC, je faisais que travailler là-bas. En bas t’avais des concerts tous les soirs. Des bons, des mauvais. Un jour c’était vide, le lendemain blindé, tu ne savais pas trop pourquoi. C'était jeune, vivant, tu trouvais pleins de profils différents les uns des autres. C’est unique ce lieu, le genre d’endroit qui catalyse plein de trucs. Un peu comme la Factory, ou dans un autre genre comme Concrete en France a pu être. Si ça avait continué, ça aurait pu être le feu. » Victime d’un arrêté préfectoral, la salle de concert de Total Refreshment Centre a fermé, la faute à un employé du Hackney Council qui est venu un jour commander un verre au bar. Le lendemain, la salle de concerts fermait – même si l’endroit a conservé son fonctionnement en tant que lieu de résidence, d’enregistrement et de répétition. « Ici c’est assez cash. T’as entendu parler du Brexit ? », me dit Fred en se marrant. « Ils ont les mêmes problèmes sur les lieux qui ferment. Là pour le coup c’est la même chose qu’en France. »« Moi, si j'arrive dans une soirée en banlieue, et que je vois tous mes potes noirs à Paris et que je suis en mode "putain, tous se mettent à fond dans la house, et ils connaissent tous Moodymann, Theo Parrish et écoutent des trucs de broken, je suis là attends qu'est-ce qu'il se passe?" »
De la vertu du zoom arrière
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Partir pour mieux revenir ?
Outre le fait de statuer que la France n'enfante pas tant de chefs-d'œuvre discographiques que ça (« on en revient toujours à Melody Nelson »), Fred n'en garde pas pour autant une sorte de sentiment anti-français de celui qui serait aller voir ailleurs si l'herbe était plus verte. En repensant à sa première vie comme codeur en informatique à Paris, il se rend compte de la spécificité d'être un transfuge social, et d'évoluer dans plusieurs cercles, lui qui vient à la base d'un background plutôt « moyenne-basse sociale » : « Tu peux finir ta soirée dans un énorme appart, comme tu peux la finir chez toi ou dormir chez ton pote en banlieue. Du coup tu côtoies plusieurs castes, de plusieurs endroits, t'as des potes qui dealent, t'as des potes qui sont des futurs chefs d'entreprise, t'as des gars qui sortent des startups, toi-même tu vas aller au taf et tu gagnes 2500 balles par mois pour coder des trucs pour McDonald's ou pour des assurances. En fait dans ta tête y'a un truc qui se passe, c'est que tu côtoies vraiment plusieurs styles de gens, et même ta vie est multiple. Ça te permet de naviguer à vue ensuite. »
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Le chemin qu'effectue alors Neue Grafik, tant au niveau musical que personnel, se situerait un peu quelque part entre le retour à la maison et l'émancipation. Comme s'il ne s'agissait pas tant de partir pour mieux revenir que de se forger un bagage de plus en plus solide. Ainsi, il a étudié récemment à la Bill Evans Piano Academy à Paris, afin de parfaire son jeu de musicien, parce qu'il n'aime rien tant que jouer avec l'auditeur, faire en sorte de ne pas savoir si tel passage de sa musique relève du sample ou de l'instrumentation. Ses héros musicaux e Londres sont ainsi ceux qui s'acoquinent avec des formes moins nobles en apparence, pour y puiser une certaine violence et crudité afin de les marier à des grilles d'accord complexes. Le tout dans une logique quasiment d'armement (politique, musical, sociétal) : « Tu prends ton savoir musical très riche tout en gardant une vision de mec du grime, parce que les paroles sont super dures. L'idée n'est pas juste d'avoir un point de vue radical sur le monde qui t'entoure, mais aussi une vision documentée. Parce que quand t'as une vision revancharde et qu'en même temps t'es pas trop con, c'est ça qui fait le plus peur. »L'album Foulden Road de Neue Grafik Ensemble est sorti fin septembre chez Total Refreshment Centre.Le groupe sera en concert le 10 décembre prochain au New Morning à Paris.Marc-Aurèle Baly est vaguement sur Twitter.