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FRANCE

Des chauffeurs contre Uber

Après s’être organisés en syndicat, environ trois cents chauffeurs qui travaillent avec Uber ont manifesté ce mardi devant le siège parisien de l’entreprise pour réclamer l’annulation des nouvelles baisses tarifaires imposées par le géant du transport.
Pierre Longeray
Paris, FR
Photo par Pierre Longeray / VICE News

Une centaine de voitures noires étaient stationnées ce mardi matin, devant le siège social d'Uber France, dans le XIXè arrondissement de Paris, dans un joyeux concert de klaxons et de sifflets.

Entre les berlines impeccables, environ trois cents « chauffeurs Uber » s'étaient rassemblés devant le siège parisien de l'entreprise américaine, après l'annonce faite vendredi dernier d'une réduction de 20 pour cent de ses tarifs pour ses courses en véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC) à Paris — le service UberX selon le jargon de la firme californienne.

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Un chauffeur qui travaille avec Uber arrive sur les lieux de la manifestation. (Pierre Longeray / VICE News)

Vendredi dernier, Uber France a en effet envoyé un mail aux conducteurs Uber pour leur signifier cette baisse immédiate de ses tarifs, mais aussi le passage de 8 à 5 euros pour une course minimum. Dès vendredi, des chauffeurs Uber s'étaient rassemblés, porte Maillot (dans l'ouest de Paris), pour protester contre cette double mauvaise nouvelle. Afin de donner plus de force et de cohérence à leur lutte, ils ont alors formé un syndicat ce lundi — le Syndicat des exploitants de transport des personnes et VTC — qui a appelé au rassemblement de ce mardi matin.

Équipés de petits stickers « Uber m'a tuer » et aux cris de « Uber assassin ! » les chauffeurs se sont massés ce mardi matin devant le siège de l'entreprise, gardé par plusieurs dizaines de CRS. Les chauffeurs en colère demandaient d'être reçus par Uber pour pouvoir discuter de cette double baisse tarifaire qui mécontente les manifestants.

« On ne s'en sort pas avec des tarifs pareils, » nous explique ce matin entre deux cigarettes, Farid Aieche, le représentant du nouveau syndicat, qui porte fièrement le costume, attirail indispensable d'un chauffeur de VTC. C'était le rêve de Farid de devenir chauffeur, mais aujourd'hui ce rêve est « brisé ». Ce qu'il réclame en premier lieu avec ses confrères, c'est le retour de la course minimum à 15 euros, ce qui leur permettrait de rentrer dans leurs frais.

Être chauffeur représente des frais importants — la location ou l'achat de la voiture, l'essence, l'assurance et encore les petites bouteilles d'eau ou les bonbons. Tout cela est à la charge du chauffeur. En effet, les conducteurs d'Uber ne sont pas salariés en France — ils sont ce qu'on appelle des « partenaires ». Uber se contente de faire de la mise en relation entre les clients et les chauffeurs. Une mise en relation sur laquelle l'entreprise prélève une commission.

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Farid Aieche, l'un des représentants du nouveau syndicat des conducteurs de VTC. (Pierre Longeray / VICE News)

« Uber fait du dumping, c'est illégal en France, » nous explique Mohammed Radi, porte-parole du nouveau syndicat des conducteurs de VTC. « Aujourd'hui on travaille à perte en suivant les tarifs qui nous ont été imposés par la société Uber. Uber est un intermédiaire et non pas une société de transports, donc ils devraient nous consulter avant de fixer un tarif. La décision de vendredi était totalement unilatérale, d'où l'intérêt de former un syndicat. »

D'après Uber France, contacté par VICE News ce mardi après-midi, cette réduction tarifaire est profitable pour les chauffeurs. Le calcul de l'entreprise est qu'en abaissant les prix, les chauffeurs vont multiplier les courses et gagner plus d'argent. Pour l'entreprise, les mécontents de ce mardi représente seulement « 1 pour cent de partenaires-chauffeurs actifs sur la plateforme Uber qui ne sont pas (encore) convaincus que la baisse des tarifs leur est profitable. » Uber nous explique avoir eu de nombreux retours positifs de la part de chauffeurs depuis le changement de tarif de vendredi.

Uber nous explique enfin maintenir « une politique de main tendue » et vouloir faire « plus de pédagogie » à destination des chauffeurs mécontents.

Dans le mail envoyé aux chauffeurs Uber, l'entreprise s'appuie sur une étude réalisée à New York, ville dans laquelle cet abaissement des tarifs a été profitable — pour les chauffeurs et l'entreprise. « Comparer le marché du transport new yorkais et celui de Paris, c'est totalement idiot, » explique Jonathan. « New York ou pas, tout ce que je peux vous dire, c'est que samedi j'ai travaillé pendant 11 heures pour 180 euros brut. En retirant les frais, il ne me restait rien. »

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Un manifestant devant le cordon de CRS déployé devant le siège de Uber. (Pierre Longeray / VICE News)

Si d'autres applications — comme Chauffeursprivés.com ou AlloCab — pratiquent des conditions tarifaires semblables, c'est malgré tout contre Uber que sont dirigées toutes les revendications. Pour Mohammed Radi, Uber est « un gourou, qui fait la pluie et le beau temps sur le transport parisien ». Si bien que tous les chauffeurs de VTC se doivent de travailler avec Uber. Difficile aussi de faire pression contre une entreprise qui n'a aucun mal à trouver de nouveaux chauffeurs, selon Radi.

La décision d'Uber de baisser ses tarifs intervient deux semaines après l'interdiction définitive par le Conseil constitutionnel du service UberPOP, dont les chauffeurs n'étaient pas des professionnels, mais de simples particuliers. Pour certains chauffeurs croisés ce mardi à la manifestation, la double baisse tarifaire imposée vendredi est une réaction à la fin de ce service — Uber ne souhaitant pas perdre la clientèle conquise par leur service bon marché.

« On est devenu des UberPOP, à faire des courses à 5 euros. Mais nous, on ne roule pas en Clio, on a des frais bien plus élevés, » nous explique un chauffeur qui a préféré garder l'anonymat. D'après plusieurs chauffeurs présents ce matin, des comptes Uber ont été désactivés par l'entreprise ce mardi, en géolocalisant les chauffeurs qui étaient présents à la manifestation. Ainsi, certains tiennent à rester discrets sur leur engagement. Nous n'avons pas pu vérifier cette information auprès d'Uber dans les délais de parution de cet article.

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Un manifestant allume un fumigène. (Pierre Longeray / VICE News)

« Je suis sorti de mon chômage pour me lancer là-dedans, mais je n'arrive pas à m'en sortir, » explique Lamine [le prénom a été changé], conducteur VTC depuis avril. « Qu'on soit là ou en train de travailler c'est pareil. Je perds de l'argent en conduisant. » Lamine hésite à tout arrêter, mais il attend de voir si les choses peuvent encore évoluer.

Sur les coups de 14 heures, les deux têtes du nouveau syndicat créé la veille, Mohammed Radi et Farid Aieche, sont reçues par Uber après de nombreux coups de téléphone et un premier refus en milieu de matinée. À leur retour, les deux chauffeurs néo-syndicalistes sont accueillis en héros, et se saisissent d'un mégaphone.

Rapidement c'est la douche froide pour des chauffeurs impatients et fatigués. Les deux hommes expliquent que Uber est prêt à négocier sur les conditions tarifaires, mais pas aujourd'hui, puisque aucun responsable n'est présent au siège. Rendez-vous est pris ce jeudi entre le syndicat et des représentants d'Uber.

Certains plus déterminés que d'autres prennent leurs voitures pour aller bloquer à nouveau la Porte Maillot, alors que d'autres restent devant chez Uber — déçus et sans grand espoir quant à la réunion de ce jeudi. Si la solution ne vient pas d'Uber, elle pourrait venir de l'État français, du moins c'est qu'espèrent certains chauffeurs. Ce mercredi, des délégués du nouveau syndicat seront reçus au ministère de l'Économie pour discuter de leur situation.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter : @PLongeray