FYI.

This story is over 5 years old.

fifa-gate

« Il n’y avait pas de choix, il fallait que Blatter soit réélu »

VICE News a interviewé Jérôme Champagne, ancien haut responsable de la FIFA et ex-candidat à sa présidence. Il est revenu pour nous sur la crise qui frappe la fédération.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image via jeromechampagne2015.com

Note de la rédaction : cette interview a été publiée avant l'annonce en fin de journée de la démission de Sepp Blatter.

Depuis mercredi dernier, la FIFA (Fédération internationale de football association) se retrouve sous le coup d'une pression médiatique et juridique jamais vue. À la veille d'un congrès pour élection de son président, qui a vu la réélection de Sepp Blatter, la fédération s'est retrouvée au centre de deux enquêtes — une de la justice américaine et une autre suisse — pour des faits suspectés de corruption et de blanchiment d'argent.

Publicité

Ce mardi matin, le New-York Times annonçait que Jérôme Valcke, le secrétaire général de la FIFA (numéro 2 de la fédération internationale) pourrait avoir supervisé un versement de 10 millions de dollars à destination de Jack Warner, vice-président de la FIFA de l'époque, dans le cadre l'attribution de la Coupe du monde 2010 à l'Afrique du Sud. La FIFA a reconnu dans un communiqué, ce mardi matin, qu'un transfert d'argent avait bien eu lieu, mais que les 10 millions étaient destinés « à aider la diaspora africaine dans les Caraïbes » et précise que « ni Jérôme Valcke ni aucun haut responsable de la FIFA n'étaient concernés ». Ce dernier rebondissement permet, selon le NYT, de rapprocher l'enquête du président de la FIFA, Sepp Blatter.

VICE News s'est entretenu ce mardi matin avec un homme qui a travaillé pendant plus de 10 ans avec Sepp Blatter et pour la FIFA, le français Jérôme Champagne. Ancien diplomate, il a été l'un des hauts responsables de la fédération de 1999 à 2010. Il prône un football plus égalitaire, ce qui l'a poussé à être candidat à la présidence de la FIFA cette année, avant de se retirer. Retour sur les événements de ces derniers jours avec ce spécialiste des arcanes du football mondial.

VICE News : Quel a été votre rôle au sein de la FIFA ?

Jérôme Champagne : Avant de rentrer dans le corps diplomatique et d'y passer 15 ans, j'ai travaillé pendant mes études à Paris comme pigiste à France Football. J'ai ensuite été conseiller diplomatique et chef du protocole du Comité d'organisation de la Coupe du monde en France, en 1998. C'est après cette expérience, que je suis entré à la FIFA. J'ai commencé en même temps que Michel Platini, on était tous les deux conseillers du président de la FIFA [Sepp Blatter à l'époque]. Ensuite, je suis devenu Secrétaire général adjoint et directeur des relations internationales. J'ai finalement été viré en janvier 2010, sous la pression du Qatari Mohamed bin Hammam, de la Confédération asiatique et de Michel Platini. Depuis, je fais du consulting dans le football et j'ai été candidat [à la présidence de la FIFA] pendant un an.

Publicité

Quel est votre regard sur les événements de la semaine passée, vous avez été surpris ou bien au contraire, vous vous êtes dit « Enfin » ?

Moi je vais vous dire franchement, je trouve ça très sain, parce qu'il faut toujours nettoyer et savoir ce qu'il se passe. Après, cela ne me surprend pas. Je vais vous donner un exemple. Dans l'enquête américaine [qui court depuis 24 ans], on ressort la controverse sur la signature dans les années 1990 par la Fédération de football brésilienne d'un contrat avec Nike pour être l'équipementier de l'équipe nationale du Brésil. J'avais suivi cette affaire de près puisque j'étais en poste à Brasilia à l'époque. Certains parlementaires brésiliens avaient voulu lancer une commission d'enquête [NDLR, sur l'attribution du contrat à Nike, qui aurait été entachée par des pots-de-vin selon la justice américaine], mais des liens entre la fédération brésilienne et des parlementaires avaient permis de bloquer la procédure. Donc pour avoir vécu ça en observateur, ça ne me surprend pas. C'était d'une certaine façon inévitable, des controverses entouraient un certain nombre de choses. En revanche, ce que je tiens à dire ici, même si cela n'est pas politiquement correct, c'est que les deux enquêtes en cours ne touchent pas la FIFA directement.

Qu'est-ce que vous entendez par là ?

D'abord, permettez-moi de faire un petit rappel sur l'organisation de la FIFA. La FIFA est composée des 209 fédérations nationales. Ces fédérations ont le droit de s'organiser « continentalement » en confédérations, par exemple l'UEFA pour l'Europe [NDLR, la CONCACAF et la CONMEBOL, mises en cause dans l'enquête de la justice américaine, sont les confédérations de l'Amérique du Nord et du Sud]. Mais ces confédérations continentales ne sont pas membres de la FIFA. L'enquête [américaine] qui est en cours porte sur des faits suspectés de corruption concernant des compétitions de confédérations [comme la Copa America ou la Copa Libertadores] et non pas des compétitions de la FIFA [comme la Coupe du monde]. Moi je ne suis pas là pour défendre la FIFA, mon objectif n'est pas de défendre telle ou telle personne. Je crois simplement que dans l'hystérie de la semaine passée, tout le monde a accusé la FIFA de faits qui relèvent des confédérations.

Publicité

Ce raisonnement fonctionne certes pour l'enquête américaine, mais pour l'enquête suisse qui se concentre sur l'attribution des Coupes du monde 2018 et 2022, respectivement à la Russie et au Qatar ?

Vous avez raison. Seulement, il faut rappeler comment est formé le Comité Exécutif. [NDLR, il détermine le site et les dates des compétitions finales de la FIFA, donc des Coupes du monde.] Il n'y a que 2 personnes au Comité Exécutif qui sont élues par le Congrès de la FIFA, et sont donc des représentants de la FIFA : le président et le membre féminin du Comité Exécutif. Tous les autres sont envoyés au Comité Exécutif par les confédérations continentales. Les seuls membres du comité exécutif qui sont pour le moment sous le coup d'une enquête, ce sont ceux qui sont envoyés par les confédérations. La FIFA n'a donc pas de responsabilité dans l'enquête suisse. Les personnes qui sont mises en cause sont celles qui sont suspectées de s'être enrichi avec les votes [pour le Qatar]. Dans le climat actuel, on simplifie tout ça. Ce ne sont pourtant pas des détails, mais des points juridiquement très importants.

Et dans le cas de l'accusation du New-York Times dans le qui vise de Jérôme Valcke ?

Là cela touche la FIFA elle-même. Donc pour Valcke, laissons l'enquête se faire.

Donc selon-vous la FIFA n'est pas une organisation corrompue ?

Non, la FIFA n'est pas une organisation corrompue. Mais oui, il faut la réformer, c'est pour ça que j'ai été candidat.

Publicité

Vous êtes l'homme qui prone la réforme dans le football, pourtant vous avez décidé de soutenir Blatter dans le week-end. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Le choix était très simple. D'un côté, Sepp Blatter, avec ses qualités et ses défauts, son bilan et les zones d'ombre, est quelqu'un qui a de l'expérience. Il est placé dans une situation (sans contrainte électorale) qui va lui permettre, je l'espère, de faire les réformes qui s'imposent. De l'autre côté, vous aviez un candidat de 39 ans [le prince jordanien, Ali bin al-Hussein], sans expérience internationale, sans véritable programme, et surtout manipulé par l'UEFA. Avant la défaite de Stanley Rous en 1974 contre João Havelange [président brésilien de la FIFA entre 1974 et 1998], la FIFA était un objet des Européens, un objet de Blancs, un objet des riches. [La défaite de Ali bin Al-Hussein] c'est une défaite de l'européocentrisme. Cette arrogance de penser que ce qui est bon pour Chelsea ou le Real Madrid est forcément bon pour le football mondial, c'est ce qui a été défait vendredi [avec l'élection de Blatter]. Je ne suis pas là pour défendre Blatter, mais les fédérations l'ont réélu pour ces raisons-là : expérience, défense d'une vision universaliste et force de la gouvernance de la FIFA face au contrôle européocentriste.

Blatter va pouvoir mener les réformes attendues ?

De toute façon, ça ne pouvait pas être le Jordanien. Un des éléments de sa campagne révélait qu'il mettrait en place un comité des présidents des confédérations qui aurait le pouvoir au-dessus du comité exécutif : le Roi est nu, une vraie tentative de prise de contrôle de l'UEFA sur la FIFA. Il n'y avait pas de choix, il fallait que Blatter soit réélu. Maintenant Blatter n'aura plus de contraintes électorales et la violence des attaques contre lui le rendra encore plus déterminé pour faire les réformes. Ça ne pouvait pas être une marionnette de l'UEFA qui les ferait. J'ai été soutenu par Pelé que je connais depuis 20 ans. Qu'est ce qu'a dit Pelé ? il a dit la même chose que moi, il fallait réélire Blatter.

Suivez Pierre Longeray sur Twitter @plongeray

Image via jeromechampagne2015.com