Tech

Quand la CIA croyait à la magie

Dans une vidéo produite par l’Université de Stanford dans le cadre d’un projet de recherche sur les phénomènes psychiques financé par le gouvernement, on peut voir l’illusionniste israélien Uri Geller réaliser diverses prouesses semblant témoigner de ses capacités psychiques extraordinaires. En voyant le film, certains membres de la CIA furent “très impressionnés”, tandis que d’autres affirmèrent rapidement qu’il s’agissait là de simples tours de passe-passe réalisés par un escroc ayant recours à des techniques de prestidigitateur. Finalement, l’illusionniste James Randi se mêla au débat grâce à son livre consacré à Uri Geller, et fut surpris de découvrir que l’un des chercheurs impliqués dans le projet soutenait que les prouesses de Geller étaient authentiques.

On peut voir une copie de la vidéo, montée à partir de divers exemplaires de longueur et de qualité variables, ci-dessous ; un transcript est également consultable à cette adresse.

Videos by VICE

Au bout de cinq semaines d’expériences, un mémo (jusqu’ici tenu secret) décrit le moment où la vidéo a été présentée au Bureau de recherche et développement de la CIA, en janvier 1973. Dès le lendemain, la CIA avait pris contact avec l’ARPA (l’agence du département de la Défense des Etats-Unis en charge des nouvelles technologies militaires).

Le mémo décrit plusieurs expériences qui ont été réalisées, dont l’une où Geller devait reproduire des dessins qui avaient été placés dans des enveloppes scellées et qu’il n’avait donc pas pu voir. Dans d’autres expériences, Geller devait dire quelle face d’un dé était tournée vers le haut à l’intérieur d’un container scellé, ou deviner quel container – parmi plusieurs – contenait de l’eau ou un morceau de fer. D’après le mémo rédigé par la CIA, si l’on “se fie au film“, alors “il y a de fortes raisons de croire que Geller possède des capacités extraordinaires.”

Sauf que les responsables des expériences, tout comme la CIA, n’avaient pas l’intention de se fier au film. Les Drs. Targ et Hal Puthoff étaient “bien conscients du risque inhérent au fait de se fier à un magicien professionnel dont le but avoué est de se voir décerner le titre de médium certifié.”

Pour eux, les choses étaient claires : ces expériences ne pourraient constituer une “preuve” des pouvoirs paranormaux de Geller que si l’on parvenait à écarter toute possibilité de tricherie ou de prestidigitation de sa part. Le film lui-même insistait sur la nécessité d’effectuer davantage de recherches avant de tirer la moindre conclusion. L’ARPA (ancêtre de l’actuelle DARPA) était loin d’être convaincue.

Les Drs. Kibler et Lawrence, de l’ARPA, s’étaient rendus au Stanford Research Institute (SRI) pour observer les expériences menées sur Geller. D’après leurs observations, ils “doutaient fortement que les exploits de Geller dépassent le simple cadre des astuces d’un illusionniste talentueux.” Ils doutaient également de l’objectivité des Drs. Targ et Puthoff, aveuglés selon eux par leur “désir de découvrir des résultats inédits.” Enfin, ils insistaient sur les liens que Geller entretenait alors avec Andirja Puharich, raison supplémentaire, selon eux, de se montrer sceptique.

Pour sa part, l’auteur du mémo affirmait “n’avoir observé… aucun comportement particulier de la part de Puthoff ou Targ susceptible de corroborer le jugement de l’ARPA.” Il n’était toutefois pas en mesure d’exclure totalement la possibilité que le film ait été falsifié ou manipulé, en dépit du “sérieux absolu” du SRI.

Ensuite, dans un passage digne des meilleures citations d’Aleister Crowley, l’auteur du mémo va plus loin en affirmant qu’au final, peu importe si ce que fait Geller est normal ou paranormal. Ce qui compte, c’est de savoir s’il est possible de reproduire ses prouesses de manière fiable. Quelle importance si Geller était simplement capable d’utiliser des techniques de perception complexes ou des formes raffinées de logique pour parvenir à la réponse correcte, s’il était possible de répliquer ses méthodes et de les appliquer dans des opérations concrètes ?

Si quelqu’un était capable de reproduire des plans cachés dans un coffre sans avoir à les regarder, ou si quelqu’un était capable de distinguer rapidement un leurre d’un véritable missile, alors cet individu constituerait un atout considérable.” Dès lors, l’auteur du mémo recommandait de mener davantage de tests, portant à la fois sur les aptitudes de Geller et sur Geller lui-même, afin de déterminer si sa vision ou son ouïe dépassaient “les limites normales de l’être humain.”

L’auteur conclut en soulignant que les tentatives précédentes de prouver l’existence de phénomènes psychiques s’étaient soldées par “des échecs répétés.” Malgré tout, nuance-t-il, le passé ne préfigure pas nécessairement l’avenir, et “il convient simplement de conserver cette idée à l’esprit lorsque l’on envisage de financer de telles expériences et leurs bénéfices potentiels.”

L’auteur note aussi que tout le monde ne se montrait pas aussi sceptique au sein de la CIA. Des responsables de la Direction de la science et technologie (DS&T) pensaient que “quelque chose d’utile” pouvait ressortir de ces expériences. Un membre de la DS&T avait même confié à l’auteur avoir été “très impressionné” par le film.

Toutes les références au film dans les archives de la CIA demeurent classifiées, à une exception près : James Randi, lui-même magicien mais surtout connu comme démystificateur des pseudo-sciences, s’est intéressé de près à Uri Geller, aux expériences du SRI et au film en question. Au début des années 80, il publia même un livre intitulé The Truth About Uri Geller, dans lequel il démontait les affirmations de celui-ci. Cet ouvrage agaça manifestement le Dr. Puthoff, qui lui répondit par le biais d’un court texte signalant, selon lui, les “erreurs” commises par Randi.

Ce que reprochait surtout Randi à Puthoff et Targ, c’est d’avoir été trop disposés à croire à l’existence de phénomènes psychiques.

À un moment, le Dr. Puthoff répond à l’accusation selon laquelle lui et son collègue auraient été abusés par de simples trucs d’illusionniste en soulignant que, dans le film, ils reconnaissaient déjà que certaines prouesses auraient pu être réalisées grâce à des moyens n’ayant rien à voir avec le paranormal. Bien que rien n’ait indiqué que Geller avait “triché”, Puthoff et Targ avaient choisi de ne pas considérer les expériences comme des preuves de quoi que ce soit.

On retrouve la même accusation au sujet de la soi-disant capacité de Geller à tordre des cuillers et d’autres objets en métal par la pensée ; l’auteur souligne que Geller s’est montré incapable de reproduire de tels exploits en laboratoire. Le film montre Geller en train de tordre des cuillers, mais on voit qu’il n’en est pas capable sans les toucher. On voit par ailleurs clairement que non seulement Geller touche les cuillers, mais qu’il les frotte rapidement entre ses doigts. Il s’agit d’une technique fréquemment utilisée par les magiciens, étant donné que leur chaleur corporelle et la chaleur générée par la friction chauffent et ramollissent le métal, ce qui le rend plus facile à tordre. Sans compter qu’en frottant le métal, le magicien peut également le manipuler en exerçant une pression dessus et en le tordant de quelques degrés.

Dans un autre passage de son texte, le Dr. Puthoff semble contredire à la fois les commanditaires de l’expérience et le film lui-même. Dans son livre, James Randi cite le capitaine Edgar Mitchell, qui aurait déclaré qu’il était “présent presque en permanence” et que les auteurs de l’expérience avaient cédé à “tous les caprices” de Geller. En réponse à cette accusation, le Dr. Puthoff affirme que le capitaine Mitchell n’était en fait présent à aucune des expériences mentionnées dans l’article publié par le SRI dans Nature.

Cette affirmation de Puthoff contredit les déclarations de Mitchell, ce qui est d’autant plus étonnant que le capitaine est mentionné à la fois dans l’article de Nature et le mémo de la CIA pour son soutien personnel et financier. Plus surprenant encore, on voit clairement qu’il est présent au début du film, et qu’il participe activement à l’une des expériences.

Au final, le Dr. Puthoff défend sans équivoque les résultats des expériences menées par le SRI avec Uri Geller, et affirme que toutes les attaques de James Randi sont nulles et non avenues. Et selon Puthoff, l’échec de Randi “apporte une nouvelle preuve de l’authenticité des phénomènes observés et décrits.”

Regardez donc la vidéo, et jugez par vous-même : a-t-on affaire à d’authentiques phénomènes paranormaux, ou à de simples tours de passe-passe ? Êtes vous “impressionné”, ou clairement sceptique ?