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Bientôt des peines de prison pour avoir signalé des contrôleurs sur Internet

Deux mois de prison et 3750 euros d'amende. Et pas la peine de les appeler "les petits hommes verts" ou "la Team Rocket", vous vous ferez gauler quand même.

L'Assemblée Nationale a adopté hier à l'unanimité une proposition de loi visant à lutter contre les incivilités, la fraude et le terrorisme dans les transports, et qui contient des mesures très variées. Cela va du renforcement des pouvoirs des agents de sécurité, à la possibilité pour les sociétés de transport de demander au fisc ou à la Sécu d'identifier les usagers ayant reçu une amende (histoire d'éviter les fausses déclarations d'identité, comme ce petit malin se faisant passer pour le rappeur américain Kendrick Lamar), en passant par la lutte contre les violences faites aux femmes.

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Mais pour une petite communauté d'internautes, c'est surtout l'article 13 qui risque de changer leur quotidien. Il prévoit deux mois de prison et 3750 euros d'amende pour ceux qui diffuseront "par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, tout message de nature à signaler la présence de contrôleurs ou d'agents de sécurité employés ou missionnés par un exploitant de transport public de voyageurs".

Il existe en effet toute une panoplie de sites, applications et groupes Facebook sur lesquels les utilisateurs signalent la présence de contrôleurs dans les transports en commun. Il y a par exemple CheckMy!Metro, disponible sur Web et mobile à Paris, Lyon, Lille et Toulouse, ou encore le site et appli "Où sont les contrôleurs?" pour Clermont-Ferrand. Sur Facebook, on trouve des groupes fermés pour de nombreuses villes de France, dont certains comptent plusieurs dizaines de milliers de membres, comme à Montpellier ou Bordeaux. Depuis 2011, les régies de transport en commun tentent de faire interdire ces plateformes, qu'elles considèrent comme une incitation à la fraude. Elles n'ont jamais réussi jusqu'ici, car ces sites sont protégés par la liberté d'information.

"Est-ce que la liberté, c'est de pouvoir contourner la loi ?", demande Sandra Bernard, en charge des questions de sécurité au Sytral, l'autorité organisatrice des transports dans la métropole lyonnaise. "La fraude est interdite. Donc signaler la présence de contrôleurs pour permettre la fraude, ce n'est pas une liberté," affirme-t-elle. Benjamin Suchar, fondateur de CheckMy!Metro, rappelle qu'il n'est "absolument pas contre les mesures prises à l'encontre des fraudeurs". "Mais c'est la peine de deux mois de prison qui me choque, explique-t-il. C'est complètement disproportionné." Le Sénat était également de cet avis. Il avait supprimé la peine de prison lors de son examen de la loi en première lecture fin janvier. Mais elle était réapparue en commission mixte paritaire, qui réunit députés et sénateurs afin qu'un texte de consensus émerge en cas de désaccord entre les deux parlements. Les sénateurs ont finalement cédé aux demandes des députés, et voté ce nouveau texte début mars.

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Image : Abdellah Manha via Flickr.

Les députés ont notamment justifié cette peine par le contexte terroriste de 2015, qui a transformé cette proposition de loi luttant seulement contre la fraude à ses débuts, pour y ajouter de nombreuses mesures sécuritaires. Ils estiment qu'en signalant la position des contrôleurs et des équipes de sécurité qui les accompagnent, les internautes pourraient permettre à un terroriste d'éviter les contrôles de sécurité. "Quelle belle mascarade, affirme Romain Favraud, qui gère la page Facebook bordelaise Cache Cache Infos. Il me semble qu'un terroriste - en fuite ou non - va préférer payer 1,5€ ou tout simplement éviter les transports en commun plutôt que de prendre le risque de se faire remarquer." "Et ce n'est pas parce que vous signalez la présence de contrôleurs que vous aidez les terroristes, renchérit Benjamin Suchar. Ca me fait peur : qu'est-ce qu'on ne peut pas faire sous couvert de lutte antiterroriste ?"

Mais pour emprisonner ceux qui aident leur prochain à sauter le tourniquet avec l'esprit tranquille, il faudra d'abord les attraper. Et c'est là que les choses se compliquent, car plusieurs questions se posent sur la manière dont la loi sera appliquée. D'abord, comment caractériser qu'une personne est en train de donner la localisation d'un contrôleur ? Si certains utilisateurs écrivent très clairement "des contrôleurs se trouvent à telle station", d'autres se contentent d'écrire le nom de la station. Certains utilisent même un langage codé, employant des termes comme "des petits hommes verts" ou "la Team Rocket" pour parler des contrôleurs, quand ils ne sont pas carrément transformés en agents du IIIe Reich :

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De la même manière, qui se chargera d'aller surveiller cette myriade de sites pour s'assurer que la loi est respectée ? La police ? Les sociétés de transport en commun ? "Nous n'avions rien prévu à ce sujet-là", reconnaît Sandra Bernard. Mais elle estime qu'il est trop tôt pour se poser ce genre de questions. "Il faut attendre les décrets d'application pour voir comment tout cela sera régulé et formulé." Pour Florian Borg, ceux qui signalent la présence de contrôleurs de temps à autre ne seront jamais poursuivis. "Il peut y avoir un rappel à la loi, mais de là à ce qu'il y ait une procédure engagée, ça voudrait dire que les services judiciaires n'ont vraiment que ça à faire. Le risque, c'est plutôt qu'on se serve de cette loi pour charger le dossier d'une personne qui est déjà poursuivie pour fraude : on pourrait aller vérifier au passage si elle n'a pas déjà signalé la présence de contrôleurs."

Dernière interrogation: la loi vise-telle les utilisateurs qui indiquent où sont les contrôleurs, ou les administrateurs de ces sites et groupes ? Le député (PS) Gilles Savary, rapporteur de la proposition de loi, a été très clair à ce sujet lors d'un débat sur RMC avec Benjamin Suchar, reconnaissant que l'objectif de la loi était de faire fermer les sites comme CheckMy!Metro. "C'est vous qui êtes visé, ce sont vos applications", lui a-t-il lancé. Sauf que le texte de loi n'est pas aussi équivoque: il interdit simplement le fait de "diffuser". "C'est un terme beaucoup trop imprécis pour viser des diffuseurs professionnels ou organisés, donc ça pourrait être laissé à l'appréciation des juges, estime Florian Borg. Pour l'avocat, "le texte aurait du préciser la notion d'organisation". Dans le doute, Romain Favraud a même consulté un juriste. "Selon son interprétation, la loi englobe à la fois le diffuseur du message (l'utilisateur) et la plateforme qui permet ce genre de publications."

Quoiqu'il en soit, la loi, à peine votée et même pas encore entrée en application, montre déjà ses premiers effets. Le groupe Facebook "Infos contrôleurs Téor/Métro Rouen" avait annoncé sa "fermeture définitive le 8/03", soit la veille du vote à l'Assemblée. Depuis, le groupe est devenu secret : plus personne à part ses membres ne peut le voir, ni demander à le rejoindre. Et à Bordeaux, Romain Favraud a déjà amorcé la mue de la communauté qu'il avait fédérée: En février, Il a quitté le groupe Facebook fort de 31 000 membres qu'il avait lancé il y a deux ans et demi ("Cache Cache TBC. Mais où sont les contrôleurs ?"), et invité ses membres à le rejoindre sur une nouvelle page Facebook, Cache Cache Info. Il avait laissé les utilisateurs continuer à s'échanger des signalements de contrôleurs sur ce nouvel espace, mais désormais, c'est terminé. "Nous informerons clairement notre communauté et modérerons tous les signalements de contrôles à compter le l'adoption de la loi, pour empêcher toute poursuite judiciaire à l'égard de nos membres," détaille-t-il.

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BREAKING">https://www.facebook.com/tebece.t.es.bien.cache/po… NEWS : Adoption à l'unanimité de la loi sur "la lutte contre les incivilités, les atteintes à la sécurité… Posted by [Cache">https://www.facebook.com/tebece.t.es.bien.cache/">…](Wednesday, March 9, 2016

Benjamin Suchar, le fondateur de CheckMy!Metro, a pour sa part choisi l'affrontement. Il avait d'abord tenté de mobiliser contre la proposition de loi avec une pétition sur change.org, mais elle n'a recueilli que 1400 signatures. Désormais, il prépare la riposte: Une fois la loi entrée en application, il va retirer le filtre "contrôleurs" de son site, qui affiche les messages de signalement des utilisateurs et la positions de contrôleurs sur une carte. Seuls les autres filtres, comme "Musiciens", "Coup de gueule", ou encore "Insolite&Autre" perdureront. Mais les utilisateurs pourront toujours s'en servir pour signaler subtilement la présence de contrôleurs, comme certains le font déjà. "Nous allons aussi renforcer l'anonymisation de nos utilisateurs, notamment en supprimant la possibilité de se connecter avec Facebook, précise Benjamin Suchar. Nous réfléchissons aussi àaller dans une logique d'ouverture, en mettant notre code en open source pour que la communauté et les usagers se l'approprient et qu'ils décident du futur de l'appli."