La décision du gouvernement sud-africain, de libérer celui qui est considéré comme le plus tristement célèbre tueur de l’époque du régime de l’apartheid, dans l’intérêt de la réconciliation nationale, divise le pays.
Eugene de Kock, responsable d’un escadron de la mort de la police a été jugé coupable de 89 chefs d’accusation, dont des actes de torture, de fraude et de six meurtres. Il pourra sortir de sa cellule après avoir purgé seulement 18 des 212 années auxquelles il a été condamné.
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Connu sous le surnom de « Prime Evil », que l’on traduit souvent en français par « tueur numéro 1 », De Kock a torturé et tué des militants noirs sud-africains pendant les années 1980 et au début des années 1990. Il a obtenu une liberté conditionnelle « dans l’intérêt de la réconciliation nationale », et parce qu’il s’est excusé, a expliqué le ministre de la justice Michael Masutha, qui a annoncé sa décision vendredi. Masutha n’a pas dévoilé la date à laquelle De Kock sera libéré.
De Kock a reconnu ses crimes devant la Commission vérité et réconciliation (TRC, pour Truth and Reconciliation Commission), lors d’une série d’audiences historiques, présidées par Monseigneur Desmond Tutu. Pendant ces audiences, les responsables de crimes politiques ont obtenu l’amnistie en l’échange de leurs confessions. Depuis, De Kock purgeait une peine pour deux crimes qui eux n’avaient pas de motivation politique.
Quand il a fait une demande de mise en liberté en juillet, on a demandé à De Kock, âgé de 66 ans, d’aider à chercher les corps des victimes disparues pendant l’apartheid. On lui a également fait savoir que le gouvernement consulterait les familles des victimes.
Décrit par le juge qui l’a condamné comme un homme glaçant, comme un agent des aspects les plus ignobles l’apartheid, De Kock s’est repenti ces dernières années, et s’est excusé auprès des familles de ses victimes — mais beaucoup de Sud-Africains remettent en question la sincérité de ces remords.
Catherine Mlangeni, la mère d’une de ses victimes, qui a clairement dit qu’elle souhaitait qu’il « pourrisse en prison » a déclaré hier qu’elle ne lui avait pas pardonné. « Je ne lui pardonnerai pas, tant qu’il ne me dit pas pourquoi mon fils devait mourir ainsi, et qui a décidé de son tragique destin, » a-t-elle déclaré d’après le journal sud-africain Times.
Quand il était en prison, De Kock a écrit aux familles de ceux qu’il avait torturés et tués, demandant leur pardon, et exprimant le souhait de les rencontrer. Certains l’ont fait.
« En grandissant, je connaissais le visage du meurtrier de mon père. Eugène était en prison, et a purgé sa peine. Ma famille lui avait déjà pardonné avant de le rencontrer, » a déclaré Candice Mama, la fille d’une des victimes de De Kock, Glenack Mama. « Ses excuses venaient du coeur. »
Sandra Mama, la veuve, a déclaré vendredi qu’elle estimait qu’accorder la liberté conditionnelle au meurtrier de son mari était la bonne chose à faire.
« Je pense que cela va refermer un chapitre de notre histoire, parce que nous avons fait du chemin, et je pense que sa libération va aider au processus de réconciliation, parce qu’il nous reste encore beaucoup de choses à accomplir en tant que nation, » a-t-elle déclaré, en ajoutant que De Kock n’était pas le seul à avoir commis des meurtres sous le régime de l’apartheid.
« Il a reçu des ordres de la part de ses supérieurs qui n’ont pas été inquiétés. Ils sont en vie vous savez… Ils sont parmi nous, et un seul homme trinque pour eux, » a-t-elle déclaré à la BBC.
Connu sous le nom de Vlakplaas, du nom de la ferme près de Pretoria qui servait de quartiers généraux aux paramilitaires, et où beaucoup d’exécutions ont eu lieu, on estime que ce groupe a tué jusqu’à 1 000 personnes. Après leurs opérations, les assassins allumaient deux feux, l’un pour faire un braai de célébration (la version sud-africaine du barbecue), et un autre pour réduire leur dernière victime en cendres.
Parmi les crimes célèbres de De Kock, il y a la tentative de meurtre sur Dirk Coetzee, son prédécesseur à la tête des Vlakplaas, qui a avoué certains de ses actes à partir de 1990. De Kock lui a envoyé un walkman bourré d’explosif, en lui faisant croire qu’il était de la part de Bheki Mlangeni, un avocat du Congrès national africain (ANC) avec lequel il était en contact. Suspicieux, Coetzee n’a pas accepté le paquet, qui a été « renvoyé » à Mlangeni, qui lui, a appuyé sur le bouton « lecture ». Il a explosé dans le garage de sa mère.
Vingt ans après l’avènement de la démocratie en Afrique du Sud, les blessures laissées par le régime raciste sont toujours là. L’inégalité en raison de la différence de couleur de peau existe toujours : les blancs sont payés environ six fois plus que les noirs, ce que le président Jacob Zuma a qualifié de « mauvais pour la réconciliation ». Monseigneur Desmond Tutu a demandé l’instauration d’un impôt sur la fortune pour les blancs, une mesure voulue par le TRC mais qui n’a jamais été implantée.
Tutu a salué la libération de De Kock, tout en demandant au gouvernement de revenir sur sa décision de libérer un autre célèbre assassin sud-africain, Clive Derby-Lewis, pour des raisons de santé. L’homme qui a tué Chris Hani, le leader du parti communiste sud-africain assassiné en 1993, serait en phase terminale d’un cancer, mais son appel a été rejeté, notamment parce qu’il n’y a aucun signe indiquant qu’il avait des remords.
« On doit faire attention à ne pas donner l’impression qu’il y a deux poids deux mesures, » a déclaré Tutu.
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