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Life

Je suis confiné dans une maison avec 22 colocataires

La « Villa Philosophe » située en banlieue parisienne, n’est ni un squat d’artistes ni une communauté de start-upers. Mais c’est quand même un beau bordel.

« KKrrRR….Kiki au rapport….KrrcRRr… je répète Kiki au rapport…c’est l’heure de l’apéro ». On est vendredi soir, 18h, les Français n’ont plus le droit de sortir de chez eux. Au quatrième étage de la « Villa Philosophe », une grande bâtisse nichée au milieu des arbres, « Kiki » mon voisin de chambre et jeune diplômé en finance de marché actuellement sans emploi, émerge de sa sieste. Armé de son talkie-walkie et vêtu d’un seul short de sport, il appelle sur le canal 4 tout ceux qui voudraient le rejoindre dans un des trois salons de la maison. Il n’en faut pas plus pour que sa bande de potes se joigne à lui pour une partie de beer-pong. Déboulent alors, 4 étages plus bas, dans un demi-sous-sol sombre, mais spacieux, Maxence* et « Loupette », 23 ans, tous deux alternants en école de commerce, ainsi que François-Xavier*, 29 ans ingénieur dans l’aérospatial, sans emploi depuis un an. Sur un canapé, à distance, Lou, 21 ans et Marie, 20 ans, la cadette de la communauté, sont scotchées à « La villa des cœurs brisés ».

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Quelques membres de la coloc qui appellent l'apéro.

Avant d’arriver dans cette maison de 400m² en banlieue parisienne, j’ai vécu seul durant trois ans dans un appartement du XIXe. J’étais quasiment devenu adulte : mon intérieur était parfumé à la bougie, des coquillages étaient délicatement déposés sur ma table basse. Je pouvais même inviter une fille sans avoir peur de faire du bruit. Mais ça, c’était avant le confinement. Quelques mois à contempler ma vie sociale se déliter jusqu’à sa plus simple expression, auront suffi à me faire renoncer à mon petit confort de quasi-trentenaire. Dès le déconfinement, après être tombé sur une petite annonce internet, j’ai eu envie d’aller vivre avec cette vingtaine d’inconnus plutôt portés sur la boisson.  Une bière dans le jardin avec Maxence, Loupette et Kiki et j’étais accepté. Signer le bail a été tout aussi expéditif. Je n’ai pas eu à fournir le moindre document pour attester d’un salaire suffisant, ni même un garant. « On fonctionne au feeling dans cette maison », m’a expliqué, en toute décontraction, un des deux proprios.

Depuis 20 ans, cette maison accueille des jeunes en recherche de chaleur humaine. J’y suis allé après un confinement traumatisant. Pour Lise*, 28 ans avocate pénaliste c’était une douloureuse rupture avec son copain avec qui elle vivait. D’autres, plus nombreux, fraichement débarqués de province, sont venus y chercher un environnement plus propice aux rencontres qu’un 9m² sous un toit. « Le changement est brutal, les premiers jours on se demande ce que l’on fait ici. On prend du temps avant d’oser se balader dans les couloirs, mais très rapidement on se créer une nouvelle famille, c’est ça que les gens viennent chercher ici », explique Lise.

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La maison.

Aujourd’hui, mon salon a changé. À première vue, il est jonché d’objets incongrus à moitié cassés dont plus personne ne connait le propriétaire. Notamment une collection de sculptures en capsules de bière qui grandit de jour en jour. Au fil des mois j’ai appris à comprendre ce chaos, beaucoup plus organisé que l’on ne pense. Jusqu’au jour où j’ai réalisé que cet immense bidon de protéine en poudre, posé sur un meuble, entouré d’un amoncèlement de légumes est en fait parfaitement rangé à sa place. Même la montagne de bouteille en verre qui menace de s’effondrer à tout moment ne me parait plus si surprenante.

« Même si je suis juriste de formation, je n’ai jamais eu à travailler »

Dans cet univers un peu déglingué, les limites du mauvais gout sont parfois repoussées, mais toujours dans la bonne humeur. Pour Kiki, son grand moment c’était durant le confinement : « c’était l’anniv’ de la mère d’un coloc. Elle s’appelle Margaux*, et on l’adore tous.  J’ai accepté, vers 10h du matin, après un Skype avec elle, complètement bourré qu’on me taille sur le crâne un énorme « M » en son honneur. J’ai fini par m’endormir pendant la tonte. Au réveil j’ai mis un peu de temps à comprendre ce qu’il m’était arrivé ». François-Xavier l’ingénieur, abonde : « on est tous un peu en crise d’adolescence ici. Moi j’ai commencé à vraiment vivre pleinement l’expérience en plein coronavirus quand j’ai perdu mon travail et ma copine en même temps.

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L'un des multiples salons.

Ce sont deux frères jumeaux, qui possèdent le lieu et préfèrent rester anonymes. Au début des années 2000, ils décident de créer cette coloc XXL. Ils avaient alors 25 ans. À l’origine, il s’agissait d’une maison appartenant à leur tante. « Notre mère devait hériter de la baraque et était contre notre projet, alors on lui a racheté ses parts grâce à un héritage et nos économies ». S’ils se sont lancés dans cette aventure, c’était avant tout pour pouvoir s’occuper de leur troisième frère. « Il était bipolaire et avait fait une tentative de suicide. Ce n’était pas possible de s’occuper de lui tout en travaillant à temps plein. Avec la coloc, on pouvait gagner suffisamment d’argent tout en l’entourant de gens sympas pour qu’ils se sentent bien », raconte l’un des deux. Il a fini par s’ôter la vie quelques années plus tard, mais la villa a continué d’accueillir du monde. Pour les deux proprios, la coloc est devenue leur gagne-pain. À environ 700 euros par mois la chambre, l’affaire est très rentable. « Même si je suis juriste de formation, je n’ai jamais eu à travailler », admet-il.

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À l’origine il n’y avait que sept chambres : « on n’aurait jamais cru que ça allait prendre une telle ampleur. Pour accueillir plus de monde, on a fait des travaux pour surélever le toit, on a aussi divisé des chambres en deux. On est sur un modèle quasi industriel maintenant ». Pour maximiser la rentabilité, certaines chambres, comme celle de Lou, n’ont d’ailleurs pas de fenêtres. « Les proprios ont tenté d’égailler tout ça ». Résultat : un papier peint style tropical a été posé sur un des murs. « J’y passe le moins de temps possible et suis toujours posée dans le salon », explique Lou.

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Une chambre sans fenêtre

Pour que le quotidien dans la maison soit vivable, elle a été divisée en trois sous-colocs. Elles sont dispatchées sur les 4 étages que compte la baraque. Chacune a son salon, sa cuisine et son propre fonctionnement. Même l’aménagement change. L’une d’entre elles a des moulures au plafond, du marbre au sol, un miroir chargé de dorure. Avec ses 9 colocs, la mienne est la plus grosse en nombre d’habitants. Elle a un côté beaucoup plus modeste et moins spacieux.

Même si la règle non dite est “pas de cul entre nous”, il arrive que les choses dérapent

Finalement, les deux frères proprio ont passé près de 10 ans dans la coloc et en gardent un souvenir ému « cette maison permet de réaliser des petits miracles sur certaines personnes. Un copain, très laid, avait beaucoup de mal à trouver l’amour. Il a réussi à sortir avec la plus belle fille de la coloc. Ici c’est possible, car on croise beaucoup de monde et on les côtoie vite de façon très intime », se remémore le proprio. Même si la règle non dite est « pas de cul entre nous », il arrive que les choses dérapent. Notamment durant le confinement : « Il y a eu des histoires avec la sœur d’une coloc. Elle était venue la rejoindre pour ne pas rester seule. Elle a couché avec quelques mecs, ça a fini par créer des rivalités. », se souvient François-Xavier. Depuis mon arrivée deux couples se sont également formés.

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Mais la « Villa Philosophe » est aussi passé par des moments plus tristes raconte le proprio : « on a eu deux accidents de la route il y a quelques années. Deux morts. C’était des moments affreux, mais beaux aussi, car tout le monde est venu aux obsèques ». Dans cette promiscuité permanente, même l’actualité internationale affecte profondément les relations entre colocataires. « Juste après les attentats du 11 septembre les RG nous ont contactés, car un coloc tunisien consultait des sites djihadistes ». Manque de bol il cohabitait avec une Israélienne. « Je crois qu’il n’y a jamais eu de disputes aussi violentes qu’à cette époque », se rappelle le proprio.

Car finalement, rien ne nous lie vraiment. On arrive dans cette fourmilière après un entretien éclair, et franchement le seul critère c’est d’aimer être entouré de gens. Cette absence de véritable sélection fait qu’on ne partage pas tous les mêmes valeurs et qu’on a peu d’activités en groupe. Mis à part un repas le mardi soir, et les fêtes évidemment : « On ne vient pas ici, car a des points en communs, finalement c’est la vie de tous les jours qui nous unis. Quand t’emmène ton coloc à l’hôpital parce qu’il s’est ouvert avec un tesson de bouteille ça forge un lien. Mais ça ne suffit pour se projeter à long terme. « Je ne me vois pas me poser ici, c’est plus un lieu de passage, les gens restent une année en moyenne, le temps de vivre l’expérience », confie Clarisse, 23 ans, dans la coloc depuis 2 ans, alternante dans le secteur associatif.

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Comme tout lieu de passage, les profils sont très divers. Parmi les gens avec qui je vis, on trouve deux étudiants à Science Po Paris, une astrophysicienne, pas mal d’étudiants en écoles de commerce, une institutrice, une apprentie comédienne, une artiste, des ingénieurs, un courtier en assurance. Un cocktail étonnant. « Il faut savoir s’adapter aux gens avec qui tu vis, dans notre cas ça demande un peu plus d’effort que lorsqu’on choisit ses colocs en fonction d’intérêts communs. C’est très enrichissant, mais ça peut être aussi fatigant. On peut finir par se sentir seul même entouré par 22 colocs », poursuit Clarisse.

Évidemment ces mondes différents finissent par s’entrechoquer : « Si on parle de féminisme, ça va probablement partir en clash. Moi je suis de droite et une bonne partie de la coloc est de gauche assez radicale, forcément c’est frustrant. J’ai appris à adapter mes blagues », explique « Kiki ».

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Personnellement, je pense que recréer une mini-société en faisant cohabiter des gens aux opinions opposées est le plus bel aspect de cette coloc. Et c’est quelque chose que je n’avais jamais vécu dans ma sphère intime. Réussir à apprécier la compagnie de personnalités différentes, à l’heure des trolls sur Twitter et des plateaux nauséabonds de CNews, est une victoire en soi. « Pour mon anniv j’ai fait une soirée thème tour de France, il fallait peindre des ronds rouges sur des t-shirts, c’était long et chiant, mais tout le monde a participé. Même si on est très différents on se retrouve dans les moments importants comme ça », se rappelle Kiki.

Si les débats sur l’existence du racisme anti blanc durant les repas communs sont parfois éreintants, ils sont aussi une indispensable piqure de rappel : il est possible d’avoir des opinions opposées sans pour autant arrêter de jouer au beer-pong ensemble.

*Les prénoms ont été modifiés.

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