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Ça se passe comment un vrai exorcisme ? On a posé la question à un prêtre

cum arata o exorcizare reala

Le rituel d’exorcisme est un grand classique du cinéma d’horreur : voix démoniaques, yeux injectés de sang, lévitation, possession. De Annabelle à The Conjuring, en passant par le plus célèbre d’entre tous, L’Exorciste, notre obsession du monde des esprits s’accrochant à nos pauvres vies humaines frise le malsain. Mais dans quelle mesure un exorcisme dans la vraie vie ressemble-t-il à ce qu’on voit dans les films ? Ça existe vraiment ces choses-là ?

On a posé la question au père John Corrigan, un prêtre de l’Église catholique romaine basé à Ballarat, une ville rurale d’Australie. (Il me rappelle un peu le prêtre de Fleabag : jeune, branché, cool). Pendant sept ans, il a dédié sa vie à l’étude de la théologie, de l’histoire, du latin, du grec et de l’hébreu avant de devenir prêtre. Puis, il y a quelques années, il s’est envolé pour la Cité du Vatican pour suivre leur cours annuel d’exorcisme. Il a ensuite écrit un article sur le sujet.

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À l'école de l'exorcisme
Un enseignant présente une leçon pendant le cours intensif théorique et pratique sur le rituel de l’exorcisme à l’Athénée pontifical Regina Apostolorum, le 12 janvier 2012 à Rome, en Italie. (Franco Origlia via Getty)

« Le père Amorth, un exorciste très célèbre, a organisé ce cours parce qu’il s’est rendu compte qu’il y avait des diocèses où [les exorcismes] n’étaient pas pris au sérieux et où les gens pouvaient être ignorés ou même, blessés », raconte Corrigan à VICE.

« Il a organisé le cours, qui a eu la bénédiction du pape à Rome, où il est désormais semi-officiel. »

Sous l’impression qu’il prendrait part à un cours pratique d’exorcisme, Corrigan a été un peu déçu quand il s’est rendu compte que le cours avait plus des allures de séminaire que de formation pratique. Malgré cela, il a pu découvrir de l’intérieur la réalité de l’exorcisme moderne. 

À ce jour, le père John Corrigan n’a encore jamais eu à exorciser une personne possédée. « J’espère ne jamais avoir à le faire », dit-il. Mais il s’est occupé de questions d’infestation – une maison hantée par des esprits.

Nous avons donc voulu lui poser quelques questions pour mieux comprendre à quoi ressemble un vrai exorcisme. 

VICE : Quand je pense à l’exorcisme, je vois un « crucifix » et de « l’eau bénite ». Évidemment, il y a beaucoup de mythes autour des exorcismes…
Père John Corrigan :
Oui, il y a beaucoup de versions hollywoodiennes de l’exorcisme. Et le film L’Exorciste est le plus connu, mais il est très loin de la réalité. The Rite, avec Anthony Hopkins, est une meilleure représentation de ce à quoi ça ressemble, de la façon dont l’Eglise gère ça. Bien entendu, il faut aussi savoir qu’un grand nombre de chrétiens protestants qui pratiquent l’exorcisme ont une approche totalement différente. Et ça peut être dangereux. Tous ces gros titres où quelqu’un meurt lors d’un exorcisme… ça n’arriverait pas dans l’Église catholique parce que nous avons beaucoup de règles. Quand Hollywood traite de l’exorcisme, c’est toujours des prêtres catholiques.

L’Exorciste est donc le film le plus célèbre et tout est faux ?
C’est le côté sensationnel. Comme la lévitation, les vomissements, grimper au mur… Et ce sont vraiment des trucs extrêmes. Le film plus flippant à mon avis est L’Exorcisme d’Emily Rose. C’est très intéressant. Tous ces films sont basés sur des cas historiques. Je pense qu’il faut être prudent avec le sensationnalisme, parce que le danger, c’est de rendre intéressants des sujets sombres et dangereux. Les gens deviennent curieux et peuvent se mettre en danger.

Alors, à quoi ressemblerait un exorcisme bien fait ?
L’une des choses que j’ai apprises à Rome, c’est que le rituel de l’exorcisme n’est pas une sorte de magie qui peut tout changer du jour au lendemain. C’est important, mais ce qui l’est encore plus, c’est de changer drastiquement le style de vie. C’est en fait très similaire à ce que j’ai appris en psychologie. Vous pouvez aller voir votre thérapeute et suivre une heure de thérapie, mais ça ne change pas autant la vie d’une personne que le fait d’être bien entouré, d’avoir de bons amis, de bien manger… d’avoir une famille qui vous soutient. 

Le rituel d’exorcisme en lui-même est très simple. Je me contente de lire le livre, d’asperger d’eau bénite. On peut le faire en latin ou dans n’importe quelle langue. Il y a beaucoup de prières à notre Père, notre Seigneur et aux Saints. Tout le monde peut le faire… Ce qu’il vous faut, c’est le livre. Ce qui est intéressant avec ce livre, c’est qu’il est très difficile à obtenir. Mon évêque a dû le demander en mon nom. Les évêques y ont accès, mais pas les prêtres.

Manuel d'enseignement de l'exorcisme
Un étudiant assiste à une leçon pendant le cours intensif théorique et pratique sur le ministère de l’exorcisme à l’Athénée pontifical Regina Apostolorum, le 12 janvier 2012 à Rome, en Italie. (Franco Origlia via Getty)

Pour reparler de ces exorcismes, il faut savoir que c’est très réglementé par l’Église catholique. Nous prenons ça très au sérieux. Certaines personnes diraient que c’est dingue, mais pas moi. Je pense que le mal existe, qu’il est intelligent, et qu’il est plus malin que nous.

Au début, je croyais que je n’étais pas assez pieux pour pratiquer un exorcisme. Je n’étais pas assez bon, ou que je n’avais pas ces dons que beaucoup d’exorcistes semblent avoir. Je ne suis qu’un pauvre pécheur. Mais on nous apprend vraiment dans ce cours qu’il n’est pas tant question de la sainteté du prêtre que de l’église qui dispense ce rituel, et le prêtre agit simplement au nom de l’église. 

Si je devais pratiquer un exorcisme sans la permission de mon évêque et sans la bénédiction de l’église, je me retrouverais seul et cela pourrait être dangereux pour moi et pour la personne possédée. Et c’est pourquoi il y a eu des morts avec ces exorcismes sauvages. 

Je fais ça depuis quelques années, et presque toutes les personnes qui viennent me voir ont simplement besoin d’un bon suivi psychologique. Je les aide donc à créer une communauté de personnes partageant les mêmes idées et leur vie s’améliore souvent ainsi, mais ils ne sont pas possédés. Les phénomènes de possession sont très rares en Australie, où les gens ne croient pas à ce genre de choses. En Amérique du Sud ou en Afrique, où il y a beaucoup de pauvreté, de violence et une forte pratique religieuse, il y a aussi de la sorcellerie. Les catholiques mélangent donc la sorcellerie à leur foi pour essayer de se libérer de la pauvreté ou autre. Et c’est là que l’on voit apparaître des phénomènes démoniaques vraiment sombres. Alors qu’ici, on a quelques ados qui vont utiliser une planche Ouija, faire des séances de spiritisme et essayer de parler aux esprits, mais ils n’organisent pas de messes noires et ne blasphèment pas. C’est donc ironiquement, l’athéisme et l’agnosticisme dans ce pays qui nous protègent contre des phénomènes vraiment sombres et maléfiques.

Je ne veux pas déprécier les personnes qui viennent me voir – elles ont des problèmes – mais elles ne sont pas possédées. La possession est le plus grand niveau de mal dans la vie d’une personne. 

Croyez-vous que certaines des personnes qui sont venues vous voir étaient réellement possédées ?
L’aspect le plus effrayant pour moi, et c’est le plus courant, c’est l’infestation. Les humains sont possédés, mais pour les maisons ou les espaces, on parle d’infestation. Et ça peut vraiment être très étrange. Peut-être vous ou certains de vos amis en avez déjà fait l’expérience : vous entrez dans une pièce et il y fait toujours quelques degrés de moins que dans le reste de la maison. Même par une journée chaude, lorsque vous ouvrez la fenêtre, il fait toujours froid dans cette pièce. 

Beaucoup de gens voient des fantômes dans une certaine partie de la maison, ou ont des fourmis dans les jambes ou la chair de poule quand ils passent à un endroit précis. C’est flippant, parce qu’on a du mal à se dire que c’est dans leur tête si on entre dans la pièce et qu’ont fait la même expérience qu’eux, mais ça peut être le pouvoir de la suggestion. Ça arrive souvent. 

Une autre chose qui m’a surpris, c’est de découvrir qu’un exorcisme peut durer des mois, voire des années. Ça peut être vraiment décourageant. Vous entrez, vous aspergez de l’eau bénite et des sels bénis. Les catholiques connaissent bien l’eau bénite. Le sel béni est plus rare. Mais c’est le même principe. Le truc avec l’eau bénite, c’est qu’elle s’évapore rapidement. Mais le sel est saupoudré dans une pièce et y reste jusqu’à ce qu’il soit absorbé. Donc on utilise ces sacrements ou ces objets, pour combattre cette présence spirituelle invisible, ça semble marcher un peu. Mais il faut souvent des semaines, des mois ou des années pour que cette froideur ou cette présence disparaisse complètement. 

Le plus souvent, les fantômes sont juste le fruit de l’imagination. Il y a une explication logique, comme dans Scooby Doo. Les fantômes, ou les esprits humains, ont parfois des affaires inachevées et ils ont besoin de prières. Ils sont emprisonnés dans cet espace physique et c’est difficile de donner un sens à ça parce que les esprits n’ont pas de corps. Mais souvent, ces fantômes ne sont pas des esprits humains, ce sont des démons qui se font passer pour des esprits humains, juste pour nous piéger. Donc je traite tous les fantômes, tout d’abord, comme étant imaginaires. Et une fois que j’ai éliminé cette possibilité, je les traite comme des esprits maléfiques et non comme des esprits humains.

Un professeur d'exorcisme
Cours intensif théorique et pratique sur le rituel de l’exorcisme à l’Athénée pontifical Regina Apostolorum, le 12 janvier 2012 à Rome, en Italie. (Franco Origlia via Getty)

Avez-vous déjà parlé avec un esprit ?
Non. C’est quelque chose qui dans L’Exorciste peut induire en erreur. Les prêtres parlent aux démons. Bien que même dans le film, il est présenté comme dangereux de leur parler parce qu’ils sont plus intelligents que nous et qu’ils peuvent nous piéger. C’est mieux de ne pas le faire. 

Dans le cours que j’ai suivi à Rome, on nous explique qu’ il n’est pas question de dialoguer de quelque manière que ce soit avec ces esprits. Ils vous parleront, mais vous les ignorez et vous vous contentez de parler à Dieu, continuer à prier Dieu. Donc j’éviterais de jouer avec ce genre de choses. Je crois aux séances de spiritisme, à la planche Ouija, mais je ne l’ai jamais fait. Pour la plupart des gens qui essayent, rien de mal ne se produit, mais une personne sur dix qui essaie de communiquer avec les morts voit sa vie basculer. Et ces films… ils n’ont pas tout faux. 

Je pense que dans L’exorcisme d’Emily Rose, on voit qu’il y a une longue période de malchance avant que cette personne n’appelle le prêtre. Par exemple : licenciement après licenciement, échec relationnel après échec relationnel, instabilité, psychose et délires. Je pense que c’est dangereux de communiquer avec les esprits. Une fois sur dix, ça peut marcher, mais après, ça pourrit la vie. 

Alors ce n’est pas toujours comme si quelqu’un débarquait, parlait avec une autre voix et que ses yeux changeaient de couleur ?
Dans ce cas, on peut parler de possession. Et je n’y ai pas encore été confronté. J’espère ne jamais l’être. J’imagine que ça se passera un jour. Tout ce que je peux faire, c’est de me fier au témoignage des autres. Ce sont les trucs bizarres qu’on ne peut pas expliquer. N’importe qui peut changer de voix. Mais souvent, les gens qui sont gravement possédés, non seulement ont cette voix bizarre, mais ils vomissent des objets métalliques qu’ils n’ont pas avalé ou cela passe à travers leur peau. 

Je sais que beaucoup de gens en dehors de l’église pensent que tout ça est pure superstition, mais l’une des règles de l’exorcisme catholique est que vous devez d’abord éliminer toutes les explications naturelles. Donc, si je devais trouver quelqu’un que je crois possédé, je travaillerais avec un psychologue – on effectuerait un bilan psychiatrique – parce qu’il y a peut-être là aussi une psychose et un délire. Il faut faire appel à toutes ces disciplines pour traiter la personne, et pas seulement à quelques prières et à des superstitions, car souvent, si une personne souffre de délires religieux et qu’elle se fait exorciser à l’église sans recevoir d’aide psychologique, cela risque d’aggraver ses délires et donc de contribuer à la détérioration de sa santé mentale.

Il existe aujourd’hui un trouble cérébral très rare – un trouble neurologique plutôt qu’une maladie mentale – qui manifeste des symptômes très similaires à ce que nous appelons la possession et qui peut être traité par la chirurgie cérébrale. Dans la Bible, il y a beaucoup de cas où Jésus guérit des personnes dites démoniaques. Ils sont possédés par de mauvais esprits et beaucoup de sceptiques modernes diront : « Ils souffraient juste d’une maladie mentale. Cette personne était épileptique. Ils n’étaient pas possédés. Celle-là souffrait de schizophrénie paranoïde », mais les gens pensaient à l’époque que c’était des démons. Et peut-être que parfois, c’était le cas. Il faut discerner les troubles physiques et médicaux des troubles spirituels. Je trouve ça fascinant.

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