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Qu’est-ce qui fait un bon documentaire musical ?

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Alors qu’on était tous occupés à trouver de nouvelles manières de tuer le temps durant cette période de confinement, les fans de musique en ont sans doute profité pour se taper la multitude de documentaires disponibles gratuitement sur Internet. C’est mon cas, et je me suis effectivement fadé pas mal de Kinks, trouble-fêtes du rock anglais, Kraftwerk : les inventeurs de la musique électronique, et toute la tripotée de documentaires sur Netflix sur l’histoire de Miles Davis ou ce qui a bien pu se passer dans la vie de Nina Simone. Ces docus n’ont rien eu de déplaisant au visionnage, mais l’impression qui m’en est ressortie est que je les avais sans doute déjà vus avant même de les avoir vus – il suffisait même parfois juste de lire le titre pour déjà tout comprendre.

Mais on n’attend pas grand-chose de ce type de documentaire, formaté pour la télévision et fabriqué dans le but d’offrir du temps de cerveau disponible à un segment de la population donné – dans le cas précis, les fans et les mélomanes. Ce qui m’a le plus surpris cependant, c’est la vision de Beastie Boys Story, réalisé par Spike Jonze, grand ami (et clippeur) du groupe certes, mais cinéaste émérite avec un regard propre, soit autre chose de ce qu’on légitimement attendre du simple faiseur d’image. Pourquoi l’histoire d’un groupe par ailleurs si fou et imprévisible s’avère-t-elle aussi paresseuse et attendue à l’image ? Et surtout, qu’est-ce que ça nous dit des documentaires sur la musique d’une manière générale ?

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Il n’y a pas une seule et même histoire de la musique

Le problème avec Beastie Boys Story, c’est que pendant près de deux heures, le film ressemble à toutes ces histoires qu’on a déjà entendues mille fois, et qui pourraient s’appliquer un peu à n’importe qui d’autre que les Beastie Boys – alors même que la carrière du groupe ne ressemble à aucune autre, ce qui est tout de même un peu ballot. Le dispositif est étrange également : sur la scène du Kings Theatre de Brooklyn, Mike D et Ad-rock nous racontent leur histoire avec derrière des images d’archives (certaines inédites, d’autres non), faite forcément d’amitiés et de trahisons (à soi-même, et un peu aux autres), avec en ligne de fond cette volonté manifeste d’échapper aux poncifs habituels du documentaire sur la musique. Sauf que le film finit par ressembler à un Ted Talk de ce qu’il faut faire et ne pas faire lorsqu’on lance une carrière dans le music business – et plus généralement dans l’entertainment. Comment se fait-il que le récit des Beastie Boys, dont la carrière a autant été faite de chausse-trappes que de tours de passe-passe envers l’industrie, apparaisse comme aussi linéaire, désincarné, voire même un peu pontifiant sur les bords ?

Dans une interview en 2012 pour le site The Drone, Ian Svenonius, soit l’un des types les plus versatiles du rock’n’roll (il a écrit plein de bouquins théoriques sur le sujet, et il a été le chanteur d’un des groupes les plus enthousiasmants en la matière, The Make-Up), résume ainsi la situation : « Le récit officiel du rock est d’un ennui… C’est toujours la même chose : “les Beatles ont inventé la pop”, “Elvis Presley a inventé le sexe”, “le punk rock a tué les années 70”. Tout le monde répète ces mythes et ils sont vraiment chiants. Tout le monde cite ces groupes, tout le temps, comme si ça devait être le socle de tout ce qu’on doit faire. »

« Certains événements à l’échelle infinitésimale importent parfois plus à long terme que les grands mythes mille fois rabâchés des grands vainqueurs de la postérité »

Depuis (au moins) l’arrivée de cette bibliothèque infinie à ciel ouvert qu’est Internet, on a compris que l’histoire de la musique était autre chose que ce simpliste récit national qu’on se raconte le soir au coin du feu. C’est bien dommage qu’on ne retrouve aujourd’hui que ces formes qui font bailler d’ennui dans la plupart des documentaires sur la musique, avec des gens face caméra qui racontent que tel artiste était « drôlement doué pour la musique » à un si jeune âge ou qu’il savait depuis le début qu’il allait devenir une rock star. On peut se dire ainsi que c’est précisément ces récits linéaires, avec un début, un milieu et une fin qui ne rentrent plus en connexion avec le monde de la musique tel qu’il est aujourd’hui. Lequel se compose avant tout de passerelles vers des genres, théories et histoires dont on ne soupçonnait pas l’existence jusqu’ici. Bref, toutes ces choses qui font que l’histoire de la musique est quelque chose de bien plus mouvant et liquide qu’une simple belle histoire officielle ne voudra bien le faire transparaître.

Comme l’écrivait le journaliste Olivier Lamm, toujours dans The Drone, « certains événements à l’échelle infinitésimale importent parfois plus à long terme que les grands mythes mille fois rabâchés des grands vainqueurs de la postérité ». Le passé est plus que jamais une boite à jouets à double-fond, et peut-être bien qu’il va falloir apprendre à changer de disque pour raconter autrement la musique.

Éviter le simple l’outil promotionnel

C’est inévitable, beaucoup de documentaires musicaux ressemblent aujourd’hui à des gros encarts publicitaires – que ce soit pour leur propre sujet, ou pour les compagnies de distribution et/ou de production qu’il y a derrière. Celui sur les Beastie Boys, pour n’en citer qu’un car il vient de sortir, ressemble méchamment à une grosse pub Apple TV déguisée, compagnie qui distribue le produit soit dit en passant. De là, on peut retenir une chose : en général, quand on est face à un press junket déguisé (ce que sont pas mal de docus aujourd’hui), on va vouloir du positif, un message qui rassemble la famille et fait plaisir aux enfants – pour les Beastie Boys, en gros, ça donne quelque chose comme « l’amitié triomphera toujours ».

Même quand l’histoire va raconter le parcours d’Avicii, dans le documentaire Avicii : True Stories, qui finira tout de même par se trancher les veines et la gorge à l’aide d’une capsule de bouteille, le film se finit par une lueur d’espoir, sous-entendu : le spectacle peut continuer. Ne parlons même pas de Travis Scott : Look Mom I Can Fly, où, sous couvert de le suivre dans son intimité, avec divers régimes d’images (Iphone, extraits d’interviews chez Fallon, etc…), on se retrouve avec un bête clip promotionnel pour Astroworld à la fin. Quant à quelque chose comme les Étoiles Vagabondes de Nekfeu, objet plus ou moins assumé comme tel, j’aimerais bien trouver quelqu’un qui arrive à tenir à peu près deux minutes face à cette voix off pour le coup lunaire. Mais bon, c’est peut-être aussi tout simplement dû à la musique de Nekfeu. Pas évident en même temps de magnifier l’eau tiède.

C’est mieux quand le sujet est passionnant à regarder

On peut avec par exemple Metallica, ou bien encore Daniel Johnston, dont les docus restent au final assez plan-plan, se contenter d’un documentaire à la narration classique, si le sujet derrière en vaut la peine. C’est le cas du premier, où dans Some Kind Of Monster, les quatre gaillards durs à cuire de Los Angeles se mettent à pleurer face caméra lorsqu’un psy leur dit qu’à partir du moment où ils étaient devenus célèbres, ils avaient arrêté de grandir et demeureraient encore longtemps des bébés dont il faudrait torcher le cul s’ils ne se décidaient pas tous à suivre une thérapie – je cite de tête. Le second, The Devil and Daniel Johnston, raconte l’histoire de l’un des songwriters les plus cultes de l’histoire de l’indie music, diagnostiqué schizophrène à l’âge de vingt ans, élevé par des parents fondamentalistes chrétiens, et dessinateur de comics à ses heures perdues. Piètre musicien, la qualité brute et magnifique de ses cassettes enregistrées au fond de sa cave avec un magnétophone 4 pistes de fortune contribuera largement à la popularité de l’esthétique lo-fi des décennies plus tard – ça et parce que Kurt Cobain portait des T-Shirts à l’effigie de Johnston à pas mal de ses concerts. Avec une histoire pareille, pas besoin de forcer le trait sur l’esthétique.

Un documentaire comme Last Days Here est encore plus surprenant. Au premier abord, le film ressemble à toutes ces histoires de rise and fall, à la différence qu’il parle de losers, le film racontant l’histoire de Bobby Liebling, qui chasse la gloire et le dragon depuis le début des années 70 à travers son groupe de heavy metal infructueux. Aidé en cela par le cachet de sa société de distribution à l’esprit indé Sundance Selects, cette histoire tient malgré la route grâce à des images à la fois poignantes et grotesques qui surlignent la normalité d’un homme qui, à plus de 60 ans passés, continue de répéter dans des studios pourris de type Luna Rossa.

« Il suffit parfois d’un léger élément perturbateur pour rajouter du réel dans une entreprise souvent lénifiante »

Dans la série beautiful losers, on peut également compter sur deux mètre-étalon du genre : Dig ! et Searching For Sugar Man. Encore une fois, si leur structure respective ne révolutionne pas le genre, leurs sujets, et la façon dont ils le traitent (dans la durée) font foi. Pour ce qui est de Searching For Sugar Man, le documentaire consacré à la figure de Sixto Rodriguez, il est amusant de suivre la trajectoire d’un grand oublié de la musique qu’on a cru mort pendant des années, avant de découvrir qu’il était resté à Detroit la majeure partie de sa vie – et accessoirement qu’il était une star en Afrique du Sud. Pour ce qui est de Dig !, le film suit les élucubrations d’autres losers, californiens cette fois, le Brian Jonestown Massacre, qui s’évertue pendant les années 90 à faire du rock psyché 60’s tout seul dans son coin (et en avalant un nombre incalculable de drogues), avant que le mot revival ne devienne à la mode et que les Strokes rendent les guitares de nouveau sexy. C’est alors le fait de les suivre sur des années, de déboires en galères et de plans foireux en pétages de plomb, qui rend le documentaire fascinant par sa résilience et sa pugnacité.

Inventer d’autres formes

Ça parait bête dit comme ça, mais étant donné qu’il est bien compliqué de retransmettre l’intensité ou l’électricité d’un artiste sur pellicule, certains en ont profité pour emprunter des chemins de traverse et se déjouer du sempiternel axe début-milieu-fin, souvent la voie des ténèbres lorsqu’il s’agit du documentaire rock. Ainsi, ce n’est pas l’histoire qui prime, mais bien le regard. Un des exemples les plus frappants est sans doute le documentaire Gimme Shelter des frères Maysles, qui suit les Rolling Stones durant leur concert géant donné en 1970 et voulu comme une réponse à Woodstock, auquel ils n’avaient pas pu participer un an plus tôt. Le concert finira tragiquement, tout le monde étant défoncé jusqu’à l’os, et le service d’ordre des Rolling Stones (en la personne des Hells Angels, déjà pas une idée lumineuse) finira par poignarder un jeune Afro-Américain, sur fond de racisme larvé et de canettes de bières enfilées comme des mini-bouteilles Cristalline en plein cagnard. Ce qui change là-dedans, c’est le regard de la caméra des frères Maysles, qui captent mieux que quiconque la folie qui entoure les cinq Anglais en en 1970, ainsi que l’idéal hippie qui se tape une sacrée gueule de bois cette année-là.

Des films comme Step Across The Border n’hésitent pas à emprunter la voie du documentaire expérimental pour parler du musicien noise Fred Frith, et de l’accompagner au travail, afin de restituer au mieux l’expérience du processus créatif. Enfin, un film comme Let’s Get Lost, sur le chanteur et trompettiste américain Chet Baker, s’emploie à suivre le musicien à la fin des années 80, quelques années avant sa mort, et alors qu’il traverse une période de toxicomanie de plus en plus prononcée. Totalement ingérable, il demeure quasiment impossible à suivre. Les documentaristes s’emploient alors à essayer de l’attraper au vol en permanence, au bar, en répétition, sur la plage, etc… Le documentaire fini correspond alors à ces moments saisis au débotté, dont on imagine qu’ils ont dû patienter des heures durant avant de pouvoir saisir quelque chose d’un minimum substantiel. Sauf que c’est précisément le caractère chaotique de l’ensemble qui transmet le mieux la rareté et la fugacité que constituaient alors la parole et la musique de Chet Baker.

Il suffit parfois d’un léger élément perturbateur pour rajouter du réel dans une entreprise souvent lénifiante. Les images d’archive du documentaire Montage Of Heck sur Kurt Cobain, par ce qu’ils dévoilent de l’intimité brute du couple Cobain-Love, rattrapent un documentaire par ailleurs ce qu’il y a de plus classique – tandis que les images en animation donnent par ailleurs donner envie de se tirer une balle. Comme quoi, ça tient souvent à pas grand-chose.

Marc-Aurèle Baly est vaguement sur Twitter.

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