« J’ai du scotch, 18 ans d’âge, tout ce que j’aime », disait la mère de Stifler au jeune Finch d’American Pie, film culte de toute une génération. Pour beaucoup d’entre nous, cette scène signe notre première rencontre avec une MILF. Que ce terme vous fasse penser à ce film en particulier ou à un porno bien sale mettant en scène une femme âgée à la poitrine généreuse en train de séduire un type beaucoup plus jeune, il est indéniable que l’acronyme (MILF vaut pour « Mother I Like to Fuck », au cas où vous ne vivez pas avec votre époque) s’est fermement installé dans le vocabulaire commun.
Qu’il s’agisse de figures maternelles attrayantes ou de sirènes sexuelles plantureuses, la fétichisation des femmes âgées s’appuie sur le désir autrefois tabou d’une personne qui soit à la fois maternelle et sexuelle — la mère et la putain, en somme. Mais avec des émissions télévisées comme MILF Manor qui attestent la récente renaissance du phénomène MILF, ce terme aurait-il acquis une connotation plus négative que positive ? Et que pensent les vraies MILF de ce titre qui les range dans une catégorie bien précise ?
Videos by VICE
Apparu en 1999 dans la comédie pour ados American Pie, le terme MILF a connu une notoriété fulgurante à mesure que les mères devenaient des figures emblématiques du désir. Du tube Stacey’s Mom de Fountains of Wayne aux séries télévisées telles que Desperate Housewives, les MILF sont devenues omniprésentes dans la pop culture des années 2000 : des femmes d’âge mûr, conventionnellement attirantes et tout de suite plus séduisantes parce qu’elles sont aussi la mère de quelqu’un. Même en 2017, Fergie a encore sorti une chanson littéralement intitulée MILF $, prouvant par-là que les « yummy mummies » étaient plus qu’un simple phénomène de mode. Un peu comme s’il y avait une sexy MILF à l’affût à chaque coin de rue. Le terme est même entré dans le dictionnaire Oxford en 2008, consolidant officiellement sa place dans le lexique culturel.
Évidemment, la MILF s’est également taillé une place de choix dans l’univers du porno. Lisa Ann, star du porno MILF (et étrange sosie de Sarah Palin), a déclaré précédemment que c’est autour de 2005 que ce phénomène a vraiment explosé, encore plus après qu’elle ait sorti Who’s Nailin’ Paylin en 2008. À partir de ce moment-là, la tendance n’a fait que monter en flèche, atteignant la première place sur Pornhub pour la première fois en 2012.
Une dizaine d’années plus tard, ce terme était le troisième terme le plus recherché au niveau mondial, juste derrière « hentai » et « Japanese », selon le Pornhub’s 2022 Year in Review. Au Royaume-Uni, au Canada et aux Pays-Bas, « MILF » a chopé la première place dans les termes de recherche et figurait dans les cinq premières recherches pour 16 des 20 pays les plus consommateurs du site pour adultes. La catégorie « Mature » est celle qui a comptabilisé le temps de visionnage moyen le plus long, soit 18 minutes et 41 secondes. Alors pourquoi ces femmes d’âge mûr plaisent tant ?
Selon Kristen Mark, spécialiste du sexe et des relations, le désir pour les femmes plus âgées peut provenir du fait qu’il est toujours considéré comme tabou, et c’est la sexualisation qui pose problème. « Dès qu’une personne devient mère, il y a cette idée que ce n’est plus acceptable pour elle d’avoir ouvertement une sexualité. Mais il s’agit toujours de la même personne ! Simplement, elle a entretemps mis au monde un enfant », explique Kristen. « Ces deux rôles peuvent coexister : on peut à la fois être un être sexuel et être mère, et ne pas être fétichisée comme “MILF”. C’est la fétichisation qui pose problème ».
Compte tenu de la perception que notre société a des MILF, il n’est pas étonnant que de nombreux jeunes hommes fassent une fixette sur elles : ces femmes ont de l’expérience, sont sûres d’elles et sont aussi, par définition, hors de portée. C’est à travers ce type de dynamique (où un jeune homme inexpérimenté sexuellement n’a rien d’autre à offrir que son apparence et sa jeunesse) que la MILF entre en relation avec son partenaire, tout en prenant soin de lui en tant que figure maternelle et nourricière. En fait, l’attention portée à la MILF est simplement centrée sur ce qu’elle peut offrir aux hommes. Son seul avantage dans ce scénario ? C’est qu’à son âge, elle devrait s’estimer heureuse d’être encore désirée par un mâle jeune et vigoureux.
Tout cela perpétue un double standard évident — où la MILF est fétichisée en tant qu’objet de désir pour de jeunes hommes aux hormones insatiables. D’un autre côté, une « cougar » sera vilipendée parce qu’elle implique une relation prédatrice entre une femme plus âgée et une jeune victime masculine impuissante (ça donne Maneater de Hall & Oates, tmtc). Les deux visions sont tout aussi sexistes. « Les termes sont toujours régis par le regard masculin et le patriarcat, et ils ne laissent pas de place à la capacité de la femme à déterminer qui l’intéresse », poursuit Kristen.
Trevor, étudiant américain, pense que l’attrait pour les femme plus âgées réside simplement dans le fait qu’elles savent ce qu’elles veulent, sans chercher à s’engager. « Une femme plus âgée est douée pour le sexe et elle ne veut pas d’une relation », explique ce jeune homme de 23 ans qui a demandé à garder l’anonymat pour des raisons de confidentialité, comme d’autres personnes mentionnées dans cet article. « Elle veut juste du cul, ce qui convient aux jeunes, vu que c’est aussi notre cas. »
Malgré ça, de nombreuses femmes embrassent ce titre, comme Lola, escort-girl et modèle webcam de 47 ans résidant en Suède. « J’aime que les hommes me considèrent comme hors de portée, et aussi comme une sorte de tabou, explique-t-elle. C’est excitant pour moi de savoir que je suis toujours sexy et désirée, même si je suis mère ». C’est avec des clients plus jeunes, dans la vingtaine, que Lola se sent la plus valorisée dans son rôle de MILF. « Bien sûr, les hommes qui viennent me voir sont de tous âges, mais certains n’ont que 23 ans. Je pense que ces hommes reviennent parce qu’ils veulent qu’une femme plus âgée leur montre comment devenir meilleur au pieu, et ça me donne du pouvoir, ajoute-t-elle. Avoir presque 50 ans et être encore désirée sexuellement par des hommes plus jeunes, franchement, je ne sais pas quelle femme ne voudrait pas ça, si elle est honnête avec elle-même. »
Pourtant, ce n’est pas le cas de tout le monde. En fait, au-delà du fétichisme, une myriade de femmes affirment que le titre de MILF est aussi une forme d’âgisme et peut être préjudiciable aux femmes plus âgées, ces dernières pouvant se sentir obligées de répondre à des attentes irréalistes.
Geneviève, une infirmière de 55 ans, travaille depuis trente ans dans l’industrie de la chirurgie plastique et de l’esthétique en Australie et aux États-Unis. Elle a vu de ses propres yeux les effets de la pression que subissent les femmes pour rester éternellement jeunes. « Si on est constamment inquiètes de perdre de notre valeur, c’est parce que la société dans laquelle nous vivons est obsédée par la jeunesse. Ça n’a rien de nouveau, explique Geneviève. Mais quand vous atteignez un certain âge, on attend soudainement de vous que vous ne soyez plus un être sexuel. Quand vous n’êtes plus en âge d’enfanter, votre valeur en tant que femme s’amenuise. On ne vous remarque plus, vous devenez invisible ».
Presque tout ce qui est proposé aux femmes de son âge, dit-elle, tourne autour de l’arrêt ou du ralentissement du processus de vieillissement. Avec des produits comme le maquillage anti-âge et des buzzwords comme « age-appropriate », les femmes ne peuvent tout simplement plus échapper à cette pression, même si elles choisissent de ne pas avoir recours au filling ou au botox. « Que vous restiez naturelle ou que vous optiez pour des solutions cosmétiques, vous serez de toute façon critiquée. En fin de compte, lorsque vous atteignez un certain âge et que vous ne faites pas tout ce qui est en votre pouvoir pour paraître plus jeune, on ne veut plus de vous », poursuit Geneviève.
Il est difficile de ne pas être d’accord avec elle. On a l’impression que pour être visible et valorisée dans la société, une femme âgée doit se tonifier, se teindre les cheveux, combler ses rides et s’habiller d’une certaine manière — et ce phénomène ne fait que s’amplifier une fois qu’elle a eu des enfants. C’est pourquoi la pression pour devenir une MILF semble exploser. Mais il y a encore pire : bienvenue au MILF Manor.
Les personnes qui ignorent totalement l’existence de cette série de télé-réalité — une machine à drama qui flirte dangereusement avec les limites de l’inceste — ne mesurent pas leur chance. Car ce truc est un véritable cauchemar. L’émission télévisée, qui est assez vulgaire, réunit huit femmes âgées de 40 à 60 ans (appelées « MILF ») dans un centre de villégiature au Mexique, où elles espèrent trouver l’amour auprès d’hommes plus jeunes, âgés d’une vingtaine d’années. Mais attendez, ce n’est pas fini. D’où peuvent bien sortir ces jeunes types qui espèrent tirer leur coup avec une MILF sexy ? Eh bien, ce sont les fils de ces mêmes femmes.
Outre les épreuves perverses auxquelles les participant·es doivent se plier (comme lorsque les types doivent masser sensuellement et à l’aveugle chacune des femmes, y compris leur propre mère, qui a elle aussi les yeux bandés) et les critiques défavorables (The New Yorker a qualifié l’émission de « nouvelle déchéance pour la télé-réalité » et le Daily Telegraph de « cauchemar œdipien »), c’est le dispositif de l’émission qui est particulièrement catastrophique.
Alors que l’écart d’âge chez les célébrités est vivement désapprouvé par le public (pensez aux critiques envers Cher, 76 ans, récemment en couple avec Alexander Edwards, 36 ans), notre société attend des femmes âgées qu’elles acceptent sereinement leur processus de vieillissement et qu’elles sortent avec quelqu’un de leur âge. Dans cette optique, le fait que MILF Manor s’attaque à cette attente en encourageant les femmes plus âgées à explorer leur désir pour des hommes plus jeunes pourrait presque passer pour admirable. Presque. En réalité, envoyer les fils de ces femmes dans cette station balnéaire mexicaine ne fait que tourner en dérision le désir sain d’une femme pour l’amour et le sexe. Résultat : les « MILF » sont présentées comme des dégénérées, des femmes aux envies malsaines.
Même avec la renaissance culturelle de la MILF, il est indéniable que ce titre autrefois en vogue a tourné au vinaigre — c’est-à-dire que les femmes plus âgées sont toujours emprisonnées dans l’idée qu’elles sont là pour servir les hommes avec leur expérience sexuelle inégalée, tout en restant un objet de désir fétichisé utilisé pour répondre à des besoins masturbatoires. Bien sûr, certaines femmes acceptent ce titre, d’autres non, mais une chose ne fait pas l’ombre d’un doute : la « mère de Stacey » était bien plus qu’une MILF « qui avait tout ce qu’il fallait ».