Quand je me sens nostalgique et permets à mon cerveau d’être visité par les fantômes des amant·es du passé, je me rappelle souvent de plein de détails : leurs habitudes agaçantes, leurs cicatrices, leurs rires. Mais il y une chose dont je ne me souviens jamais : leur pénis.
Je pense que si on me mettait face à une rangée de bites, je pourrais peut-être en reconnaître une ou deux, grand maxi. Certains pénis que j’ai rencontrés au cours de mes presque 30 ans de vie avaient des caractéristiques distinctes, mais je suis incapable de les visualiser de la même façon que les yeux de la même personne, ses lèvres ou même ses poils corporels.
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Si je me retrouvais dans un scénario catastrophe où je devais dessiner une représentation photoréaliste de l’un des bites de mes exs partenaires sexuels et que ma vie en dépendait, je commencerais direct à planifier mes funérailles. Et je sais que je ne suis pas seule dans cette situation. En effet, quand j’ai posé la question à une personne, elle m’a dit : « Je ne peux littéralement pas me souvenir d’un seul pénis. » Comme toutes les autres personnes avec qui j’ai parlé, elle a préféré rester anonyme car elle trouvait le sujet gênant.
On a décidé d’appeler ce phénomène « l’amnésie de la bite », à ne pas confondre avec le plaisir intense qu’une bite peut vous procurer au point d’en oublier que son propriétaire est super problématique. Non, il s’agit d’une amnésie de la partie anatomique elle-même. Le phénomène se résume dans les mots d’une autre jeune femme que j’ai interviewée : « Je ne me souviens même pas de qui avait un prépuce ou non. »
Mais cette condition est-elle autant répandue que je le pense ? Et si c’est le cas, y existe-t-il une explication scientifique ?
Avant de consulter des spécialistes, j’ai mené un sondage pas du tout scientifique lors d’un week-end avec neuf amies. Je connais la plupart d’entre elles depuis 20 ans et j’ai rencontré leurs partenaires dotés de pénis plusieurs fois.
Je leur ai demandé : « Est-ce que vous pourriez reconnaître les pénis de vos exs dans un groupe de personnes nues ? » La réponse était un grand « non » unanime. Une de mes amies particulièrement romantique a offert une justification partielle : « Peut-être que oui, s’il s’agit d’un partenaire sérieux avec qui j’ai passé une grande partie de ma vie. » – « Ou une petite partie aussi, a immédiatement interrompu une autre, ça dépend du gars ! »
Au nom du journalisme, je n’ai pas lâché l’affaire. « Même si on parlait de quelqu’un d’important avec qui on a été pendant longtemps, est-ce que vous pourriez vraiment affirmer avec confiance “Ça, c’est le pénis de mon ex” si on vous montrait une photo d’une bite molle ? »
« Je ne pense même pas que je pourrais le reconnaître si c’était mon mec actuel », a répondu une amie que je vais appeler Lily, en parlant du gars avec qui elle est depuis huit ans. « Ça ne veut pas dire que chaque pénis n’est pas unique, bien sûr, a ajouté la romantique du groupe, mais je ne les reconnaîtrais pas. »
L’amnésie de la bite semble avoir une drôle de logique. Comme l’a dit Chloe, la vingtaine : « Les gens voient des bites à différents stades. En érection, en semi-érection, en super érection. » Ça fait beaucoup de versions différentes d’une même bite.
Il y a aussi une autre raison technique pour laquelle certaines personnes qui couchent avec des hommes peuvent avoir du mal à se rappeler exactement à quoi ils ressemblent. Cette raison a été exprimée de la manière concise par l’acteur James Spader lors d’une conférence de presse à Cannes pour le film Crash de David Cronenberg en 1996. Au cours de l’événement, un membre du public a commenté que l’une des choses les plus stéréotypées du film était qu’on y voit plus de femmes nues que d’hommes. Sa question, en gros : pourquoi on ne voit aucune bite dans ce film ? James Spader s’est alors penché vers le micro : « Je pense que c’est plutôt une question de géographie, a-t-il plaisanté. Dans la plupart des scènes, on fait l’amour. Et quand on fait l’amour, on ne voit pas le pénis. » Du coup, peut-être que l’amnésie du pénis est aussi une question de géographie ?
Heureusement, certaines personnes ont mené des recherches un peu plus scientifiques et rigoureuses sur la question. Une étude de 2015 sur les préférences de taille du pénis chez les femmes suggère que le facteur temporel pourrait être responsable. Dans le cadre de l’étude, 33 modèles de penis en plastique ont été imprimés en 3D, et les 75 participantes en recevait un seul. « En général, les gens peuvent se rappeler si le pénis était décrit comme grand, moyen ou petit, ou sans description », ont écrit les chercheur·ses. Mais, même si « la plupart des femmes avaient sélectionné le modèle correct [en termes de longueur et de circonférence] immédiatement, après un délai de seulement dix minutes, seulement environ la moitié des participantes a sélectionné la bonne réponse. »
Le fait que les gars complexés se vantent et exagèrent la taille de leurs pénis est un cliché connu (une étude récente a même révélé qu’on ne peut pas faire confiance aux hommes quand il s’agit de la taille de leur engin, même dans un cadre purement scientifique). De plus, peu importe le genre ou le sexe, les gens se préoccupent de leur apparence « en-bas ». Une obsession qui peut même mener à des interventions chirurgicales risquées pour allonger, resserrer ou éclaircir ses parties génitales.
Du coup, est-ce que l’amnésie de la bite est un phénomène positif ? Après tout, si on sait que tout le monde finit par tout oublier de toute façon, ça pourrait nous aider à passer au-dessus de nos complexes.
Malheureusement, cette conclusion est hâtive. Les personnes avec un pénis risquent de ne pas aimer cette info, mais la même étude de 2015 a aussi indiqué qu’un nombre significatif de femmes « avaient tendance à légèrement sous-estimer la longueur des modèles de pénis » après dix minutes, même si elles se rappelaient de la circonférence.
Mon mini sondage auprès de mes copines a aussi révélé qu’il y a des pénis qu’on n’oublie jamais. « Je me souviens d’un micro pénis », a dit Chloé. Une autre amie a déclaré qu’un de ses exs n’avait pas de poils pubiens, il était « complètement imberbe, comme un dauphin », en expliquant que cela était dû à un trouble de stress post-traumatique. Cela implique potentiellement que, pour qu’un pénis soit mémorable, il doit être spécial. Mais cela ne répond toujours pas à la question de pourquoi cette amnésie.
« Il pourrait y avoir de nombreuses raisons », explique Georgina Vass, sexologue et thérapeute de couple. Par exemple, « l’excitation sexuelle peut inhiber les fonctions exécutives, continue-t-elle, ce qui peut entraîner des oublis. » Elle note également que l’augmentation du cortisol, l’hormone du stress, peut altérer la récupération de la mémoire. « Si vous êtes stressé·e à propos de quelque chose avant ou pendant l’expérience sexuelle, comme, par exemple, si vous vous inquiétez de ce que va se passer, de votre performance, de la satisfaction sexuelle de l’autre, votre apparence, votre odeur ou vos bruits, ou de tout ça à la fois », alors elle suggère « qu’il est possible d’oublier des détails tels que l’apparence des parties génitales de votre partenaire ». Mais dans ce scénario, vous pourriez également oublier « la couleur de leurs chaussettes », ajoute-t-elle.
Une autre raison encore plus simple : « L’alcool peut contribuer à la perte de mémoire, ainsi qu’à des difficultés de sommeil, suggère Georgina. Combinez l’excitation sexuelle, le stress, l’angoisse, le mauvais sommeil et l’alcool, et vous obtenez une parfaite recette pour l’amnésie de la bite. »
Tout cela semble donner une image assez négative de la sexualité, mais Georgina m’assure qu’il y a encore de l’espoir. Elle souligne que le plaisir pendant le sexe est lié à des « perceptions génitales plus positives ». Plutôt qu’une mauvaise chose donc, le fait d’oublier les bites du passé prouve-t-il que « ce n’est pas la taille qui compte, mais ce que vous en faites » ?
« J’ai des souvenirs très clairs des sensations de mes pénis précédents, a dit mon amie Emma. J’ai l’impression de me souvenir de leurs l’effet plutôt que d’une image. » En fin de compte, si l’idée que votre dernier·e partenaire sexuel·le ne se souvienne pas de vos parties génitales vous inquiète, ne vous en faites pas trop. Comme mon amie Abby le suggère, ces oublis n’ont souvent rien à avoir avec le sexe en lui-même. « Je veux dire, je ne me souviens même pas de ses pieds. »