Culture

Anti-Nowhere League retiré de la programmation de festivals pour propos jugés homophobes

Anti-Nowhere League retiré de la programmation de festivals pour propos jugés homophobes

Début décembre 2018, une partie de la programmation du festival punk 77 Montréal, produit par Evenko, est dévoilée. Certains ont la surprise d’y trouver le nom du groupe anglais Anti-Nowhere League (ANL), fondé en 1979. Depuis la parution de sa chanson The Day The World Turned Gay, en 2014, le groupe fait face à des accusations d’homophobie.

Fin janvier 2019, Guillaume « Wood » Nadeau, promoteur de concerts chez D.I.T. (Do It Together) Booking, à Montréal, lance le bal des protestations sur les réseaux sociaux, demandant le retrait du groupe de la programmation. Son message a été partagé une vingtaine de fois. « Même si ANL n’ont jamais joué ladite toune live, ils l’ont enregistrée, ils ont cru bon de mettre ces paroles-là. Même si c’est une histoire inventée, même s’ils ne sont pas homo[phobes] ou transphobes, ils ont choisi de mettre ceci sur disque. Pour moi ça ne passe juste pas et leurs excuses ne tiennent pas debout », juge-t-il.

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Son initiative a fait boule de neige, et Evenko a retiré ANL de la programmation de 77 Montréal sans tambour ni trompette. « Evenko n’est pas juge de la libre expression dans le cadre d’une œuvre artistique, qui est par nature subjective. L’organisation ne sent pas le devoir ni le droit de censure, affirme Philip Vanden Brande, gestionnaire principal des relations publiques chez Evenko. Cependant, nous ne supportons pas les propos discriminatoires. C’est ce qui gouverne nos choix. »

« Si vous n’aimez pas des chansons, ne les écoutez pas . »

La décision n’a pas plu à Nick « Animal» Culmer, chanteur d’Anti-Nowhere League. Mais Evenko n’est pas le premier diffuseur qui décide de retirer ANL de ses événements. Le groupe s’est vu refuser la participation à quelques événements en Europe, notamment en Allemagne, ainsi qu’à un spectacle qui devait se tenir à Norwich, en Angleterre, en mars dernier. Animal a senti le besoin de se justifier sur le site web de son groupe.

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Saisie d’écran tirée du site web d’Anti-Nowhere League

Comment cette justification a-t-elle été reçue? On a demandé à Stéfane Campbell, issu de la scène punk québécoise, gérant d’artistes et responsable de la découverte de nouveaux artistes pour le label Étiquette, et membre actif de la communauté LGBTQ+.

« Par-delà le faux débat du punk/pas punk – dont je me fous éperdument, pour être honnête – un individu quel qu’il soit, et dont les propos et/ou paroles portent atteinte à une communauté X, et qui se réclame de la liberté d’expression pour légitimer le tout, en 2019, à la lumière du flot de conversations de parts et d’autres concernant les communautés « marginalisées » (LGBTQ+, racisées, religieuses, culturelles, etc.), c’est non seulement épouvantablement irresponsable et juvénile, c’est carrément insultant. Et en tant que fier individu cis très impliqué dans ma communauté LGBTQ+ et ayant grandi dans les sphères punks depuis ma tendre adolescence, EN RIEN cet homme ne me représente ou m’intéresse », dit-il catégoriquement.

Guillaume « Wood » Nadeau s’est aussi réjoui de la décision d’Evenko. « La libarté [sic] d’expression ne s’applique pas quand on propage de la haine envers des groupes minoritaires », dit-il.

Et ça recommence

Quelques mois après cet épisode, le nom d’Anti-Nowhere League est apparu de nouveau dans la programmation d’un festival québécois. Cette fois, c’est le Montebello Rock qui les présente, aux côtés de MXPX, Venom, Black Flag, Cro-Mags, notamment, mais aussi des groupes québécois The Sainte Catherines et les Vulgaires Machins, qui vont y effectuer leur retour sur scène.

La présence d’Anti-Nowhere League au festival Montebello Rock a été indiquée aux membres des Sainte Catherines par un internaute, sur leur page Facebook. « Je connaissais pas vraiment le band, j’en avais seulement une idée générale alors j’y avais pas vraiment porté attention. C’est quand j’ai vu les références à leur chanson que je me suis senti mal à l’aise, et je trouvais ça vraiment cave », affirme Marc-André Beaudet, guitariste.

La discussion a été lancée entre les membres du groupe à savoir s’ils devaient se retirer du festival, ne désirant pas être associés aux propos d’ANL. Aucune décision n’a été prise, mais Hugo Mudie, le chanteur, a contacté Alex Martel, président du Montebello Rock, pour en discuter avec lui.

De son côté, Alex avait déjà reçu les doléances de festivaliers. « Ça fait 15 ans que je suis dans le domaine des festivals et c’est la première fois qu’on reçoit des plaintes concernant un groupe, affirme Martel. On a pris connaissance de la chanson en question et on a décidé à l’interne de les retirer. Je ne connais pas les motivations du groupe concernant cette chanson – certains nous disent que c’est sarcastique ou parodique – mais étant un festival qui se veut accueillant et inclusif, où tout le monde devient une belle grande famille, ça ne valait simplement pas la peine de créer des malaises ou malentendus inutilement. »

50 nuances de punk

Hugo Mudie voit cette décision d’un œil positif, mais plusieurs nuances doivent être apportées dans ce débat, croit-il. En tant qu’artiste, il revendique le droit de pouvoir raconter des histoires fictives ou humoristiques qui traitent de sujets controversés. Mais ici, son analyse est simple : les paroles de la chanson d’Anti-Nowhere League sont beaucoup trop simplistes, du premier degré et réactionnaires pour être défendables. « C’est juste stupide », juge-t-il.

En tant que programmateur du festival punk Pouzza Fest, il affirme qu’il aurait pu se trouver dans la même situation. Sa décision aurait été la même que celle de Martel : retirer le groupe de la programmation le plus rapidement possible.

« Je crois qu’il faut simplement user de bon jugement, affirme Martel. D’un côté, c’est évident que ça n’aurait aucun sens par exemple d’inviter un groupe ouvertement raciste. De l’autre côté, c’est impossible de commencer à décortiquer chaque parole de chaque chanson de chaque groupe, et il ne faut pas tomber dans la censure. Je crois que c’est juste une question de gros bon sens et d’être à l’écoute des festivaliers. »

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Cette décision a une nouvelle fois été décriée par Anti-Nowhere League, sur Facebook.

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Dans cette histoire, « who’s punk, what’s the score? » comme le demandait Jawbreaker en 1994? « Selon moi, être punk ce n’est définitivement pas juste de choquer pour le fun de le faire, croit Marc-André Beaudet des Sainte Catherines, mais de revendiquer une sorte de justice sociale sur les sujets qui te touchent, de ne pas avoir peur d’aller à contre-courant et de prendre son avenir en main. Le punk s’est toujours fait marginaliser. Le fait de marginaliser les autres communautés, ça va en sens contraire de l’esprit. C’est un esprit communautaire et égalitaire. C’est plus que des fuck you et faire peur aux matantes. »