Si on devait oser une comparaison avec le foot, il serait plus Cyril Rool que Riquelme, plus Cahuzac que Pastore. De prime abord pourtant, on imagine mal Antonin Manavian, bel athlète d’un mètre 90 et 100 kilos, en terreur des glaces. Malgré son physique intimidant, le barbu est plutôt réservé et discret. Quand il n’est pas sur la glace du moins, car dès qu’il chausse les patins, c’est une toute autre histoire. Lors de la saison 2012-2013, alors qu’il joue à Innsbruck (Autriche), il totalise 160 minutes de pénalité en Erste Bank Liga, le surprenant championnat austro-tchéco-slovéno-italo-hongrois. Un record. Mieux, entre les Dock’s du Havre, le Titan d’Acadie et les Olympiques de Gatineau (Canada), les Brûleurs de Loups de Grenoble, les Condors de Bakersfield (Californie), les Ducs d’Angers, les Dragons de Rouen, l’Autriche et les Bleus, il a croupi quasi 15 heures et demi en captivité.
Depuis son atterrissage en Hongrie fin 2015, Antonin s’est un peu calmé même si son tempérament tempétueux le rattrape parfois. Sa deuxième saison à l’AV19 Székesfehérvár, colosse du palet magyar, est après tout celle de la trentaine. Celle où il est descendu sous la barre du quintal et surveille mieux son alimentation grâce à madame. Celle où il est devenu un cadre du vestiaire au milieu des A hongrois comme Rajna, Kóger et Sofron. Celle où il se focalise sur les Mondiaux de mai prochain avec l’équipe de France et espère un gros coup.
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Pendant que ses camarades de lycée échangent leurs premiers palots, Antonin fonce découvrir le Canada, la Mecque du palet. Sa mère l’accompagne deux mois et lui trouve une famille d’accueil. Il savoure ce voyage initiatique puis retourne dans l’Hexagone se faire la main en D2, au Havre, avant de débouler chez les U18 rouennais. Antonin retente ensuite une percée au pays de l’érable mais il galère. Son talent ignoré, il est utilisé comme monnaie d’échange dans une transaction pour obtenir une place de draft plus avantageuse. Son ultime expérience outre-Atlantique (2010-2011) tourne tout aussi court : sept matches et puis s’en va.
« Honnêtement, j’ai souffert durant cette période nord-américaine. J’attendais beaucoup du Canada même si je n’étais pas du genre fan-boy à veiller la nuit pour mater le championnat mais je pensais que je pourrais me faire une petite place là-bas », avoue un brin frustré le fan des Canadiens de Montréal. « Aux States, c’était pire. Le courant passait pas avec le coach et je me sentais trop limité athlétiquement face aux grands gaillards hyper-musclés pour séduire les recruteurs de NHL qui veillaient au grain. J’estimais ne pas avoir assez bossé comme un taré alors qu’on me disait que j’avais tout pour réussir ».
Manavian ressuscite en Ligue Magnus. D’abord avec Grenoble qui l’extrait du bourbier canadien et lui dégote un job d’employé administratif au sein du club bien qu’une blessure le prive d’une majeure partie de la saison 2006-2007. Deux championnats, deux coupes de France, deux coupes de la Ligue et une sélection all-stars clôturant en apothéose ses années iséroises. Ensuite à Rouen où il décroche une coupe continentale au finish face aux Ukrainiens de Donetsk puis une Magnus couronnant un exercice 2011-2012 exceptionnel (82 minutes de placard en 26 matchs de saison régulière). Sans oublier ses débuts remarqués en Bleu (dont une exclusion rapide contre la Slovaquie) à l’aube des Mondiaux 2014.
« Toni est une machine de guerre », lance Viktor Szélig, directeur sportif de l’AV19 Székesfehérvár et ex-briançonnais qui s’est frotté à l’animal un paquet de fois en France. « Il n’a pas peur d’aller au clash et s’est bien intégré à l’effectif. Les gars ont confiance en lui, ses relances amènent régulièrement des possibilités de but et il excelle en power-play (supériorité numérique, ndlr). Cette saison, c’est l’un des meilleurs scoreurs chez les défenseurs (onze réalisations, ndlr). Toni fait le boulot et suscite le respect. On aimerait vraiment le garder chez nous », souligne l’ancien arrière aux plus de 200 capes nationales.
Plusieurs formations allemandes seraient en effet en train de pister “Toni” qui n’a jamais dissimulé son souhait de se jauger dans un championnat européen majeur et la DEL teutonne est de ceux-là. Pour l’instant, Manavian ignore ces bruits de couloir et préfère insister sur la sociabilité hongroise même si le magyar lui échappe complètement. Lui qui croyait débarquer dans une contrée « vraiment de l’Est » au sens péjoratif du terme apprécie sa terre d’adoption où son fiston de trois ans et demi est déjà bilingue et où son pote, le portier Zoltán Hétényi, l’aide à s’occuper des démarches administratives. Côté bouffe, il a essayé le goulash mais privilégie la viande blanche histoire d’entretenir sa silhouette.
« On mise clairement sur son shoot puissant et son physique impressionnant. C’est pour ça que je l’aligne quasi-systématiquement dans le cinq de départ, explique franco Benoît Laporte, illustre Bleu sollicité aux JO d’Albertville 1992 et entraîneur québécois de Székesfehérvár débarqué l’été dernier. Toni comprend mieux le jeu qu’auparavant et s’est clairement adouci même s’il en impose avec sa barbe de bûcheron et qu’il faut parfois lui taper sur les doigts. Il veut gagner coûte que coûte quitte à se prendre des minutes mais ses prisons sont utiles, du genre pour sauver une occasion dangereuse ou protéger ses coéquipiers. Mettre des coups de crosse à l’emporte-pièce, c’est plus du tout de son âge ».
Vrai. On aurait cependant totalement compris qu’il se mette en rogne après le sévère 8-2 encaissé le 15 février face aux autrichiens de Dornbirn, un résultat qui bousille les chances d’accession aux playoffs. Malgré ses quatre succès de prestige contre les mastodotes Vienne et Salzbourg, l’AV19 a terminé avant-dernier du championnat devant Ljubjana. Qu’importe la débandade, “Toni” semble avoir enfin trouvé l’équilibre après lequel il galopait tant. De bon augure à l’approche de la Coupe du Monde.
« Jouer à la maison procure forcément une sensation hallucinante. Les supporters de l’Alba Volan sont chauds bouillants et ne nous ont jamais abandonnés malgré les deux saisons consécutives sans playoffs. Ils ont même monté une mini-vidéo avec des remerciements en anglais destinés aux joueurs étrangers ! En France, dès que ça chie un peu, les types te tombent dessus direct et c’est dommage. J’ai quand même hâte de me démener à Bercy devant mes proches aux Mondiaux (co-organisés par la France et l’Allemagne, ndlr) de mai. De mon point de vue, on a les armes pour viser les quarts », espère Manavian.
L’un de ses rares regrets ? Le prix du poisson, très élevé en Hongrie vu que le pays n’a plus d’accès à la mer depuis le fameux traité de Trianon de juin 1920 ayant sucré les deux-tiers de son territoire initial. Sa plus grande fierté au-delà de sa progéniture ? Avoir réussi à rameuter sa grand-mère, ses parents et une partie de sa belle-famille angevine pour le voir tâter du palet à Fehérvár. Quand l’AV19 plante à domicile, ce refrain mythique du groupe magyar Republic retentit : « Je suis petit, je suis petit, si je grandis, je te tire dessus. Encore, encore, encore, encore, encore, trop ce n’est jamais assez ». Comprenez par là que s’il a souvent bu la tasse, Antonin l’opiniâtre a toujours su redresser la barque.