Après les attentats du 22 mars, Donald Trump a déclaré que Bruxelles était un enfer sur Terre. Comme la majorité de ce qui passe entre ses lèvres, c’est totalement faux. Pour lui prouver le contraire, il y a par exemple MolenGeek. Cette école de codage vieille de deux ans et demi à peine fait le bonheur de géants de la technologie comme Samsung et Google. Ce dernier a d’ailleurs récemment fait don de 200.000 euros pour montrer son soutien envers cette initiative. Coïncidence ou pas, cette success story bruxelloise trouve son siège Rue de L’Avenir. Mignon.
En parlant d’avenir, il m’arrive d’être inquiète. Je n’ai pas encore trente ans, je parle cinq langues et je possède deux diplômes, mais en ce qui concerne les technologies, je suis complètement analphabète. Les gosses qui aujourd’hui s’intéressent au code plutôt qu’aux Pokémons viendront bientôt me piquer mon job.
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Cette Coding School bruxelloise est accessible aux NEET, ces jeunes « not in education, employment or training » (ni aux études, ni à l’emploi, ni en formation). L’apprentissage à MolenGeek se fait de façon très pratique et tout le monde y aide tout le monde. Après six mois de cours, les étudiants peuvent postuler pour des postes de développeurs web à plein temps. Certains vont encore plus loin en devenant eux-mêmes enseignants. L’entraide y est donc vraiment le mot d’ordre.
En 2016, Julie Foulon et Ibrahim Ouassari, les instigateurs de ce projet, ont commencé à organiser des ateliers afin d’apprendre à coder. Petit à petit, ces ateliers ponctuels se sont transformés pour devenir une école de codage à part entière avec des espaces de travail et de co-working mis à disposition. MolenGeek a reçu des aides de la part du Digital Skills Fund du gouvernement fédéral, ainsi que de Samsung et Google par la suite. Grâce au dernier chèque d’une valeur de 200 000 euros, Julie et Ibrahim ont construit un étage supplémentaire à MolenGeek et ouvert une seconde école à Schaerbeek. En ce moment même, plus de cent jeunes sont plongés à temps plein dans le monde de la programmation.
Je rejoins un groupe qui vient de commencer une session de travail. Nous apprenons comment changer une ligne d’éléments en une colonne d’éléments avec un mot supplémentaire dans le code. Je ne comprends clairement rien . Il me manque les bases. Mais, à côté de moi, Quentin (28 ans) m’est très utile. « Je suis étonné de voir à quel point c’est facile de coder », dit-il en se frottant le visage. Auparavant, Quentin était conducteur de métro. Il était présent le 22 mars 2016, lorsque la bombe a explosé à Maalbeek. Paradoxalement, pas en tant que conducteur mais en tant qu’ambulancier. « Ce jour-là, j’étais en congé et il m’arrive parfois d’aider aux urgence. Nous avons été envoyés à la station Maalbeek. Je n’oublierai jamais ce que j’ai vu là-bas. J’ai été tellement effrayé que je n’ai plus voulu remonter dans la cabine du métro. J’ai décidé d’arrêter. Après quelque recherches infructueuses, je me suis retrouvé ici. »
Hajar (23 ans) est aussi débutante. Elle était secrétaire dans une école secondaire de Wallonie mais une fois arrivée à Bruxelles, elle s’est entendue dire qu’elle ne retrouverait jamais de job car elle ne parlait pas néerlandais. Elle a donc décidé d’apprendre une langue. Pas le néerlandais, mais le code. « Je veux voyager dans le monde. Et en tant que développeur, c’est possible. Il faut juste un ordinateur. » Je lui demande si le système scolaire classique peut tirer des enseignements de MolenGeek. « Absolument. Vous n’avez jamais l’impression d’être à la traîne. Je fais partie des moins bons de la classe mais on n’est pas en compétition, il ne s’agit pas d’obtenir le plus de points possibles. Le gens se tirent vers le haut les uns les autres. Je me sens bien ici. Après de longues recherches, j’ai enfin trouvé quelque chose qui me plait vraiment. »
Ismail, Molenbeekois de 21 ans, pense la même chose. Il a quitté l’école en troisième année et après quelques boulots foireux, il s’est lui aussi retrouvé à MolenGeek. Il a récemment configuré Badgeme, une application qui détecte votre présence grâce à votre connexion Wi-Fi. Ismail se porte bien. Aujourd’hui encore, il était jury pour les TFE de l’option informatique de son école secondaire, d’où il était sorti sans diplôme.
En mars 2017, Amelia (26) et Sumaya (24) ont également commencé à coder. Après six mois, elles sont devenues entrepreneuses. Leur projet s’appelle Amaaya, une agence de création numérique. Elles enseignent aussi à l’école. Ce sont des exemples au féminin qui, selon Julie et Ibrahim, font la différence. Quarante pour cent des participants aux cours de codage sont des femmes. C’est un meilleur score en termes d’égalité de sexes que chez la plupart des grands acteurs de la Silicon Valley.
Ibrahim, fondateur de MolenGeek : « La technologie est toujours associée aux hommes. Il y a trop peu de modèles féminins. C’est pourquoi nous centrons un peu plus notre communication sur les femmes. Pas que nous voulions uniquement toucher les femmes, mais surtout pour leur rappeler qu’elles sont les bienvenues. Les femmes qui sont ici possèdent les compétences et les capacités pour y arriver, au même titre que les hommes. »
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Tout cela sonne très bien, mais comment se fait-il que Google prenne ceci tellement à coeur ? Je les soupçonne d’offrir ces 200.000 euros afin de se donner bonne conscience. « Non, vraiment pas », m’explique Julie. « MolenGeek doit atteindre des KPI stricts (Key Performance Indicators, ndlr), à la fois quantitatifs et qualitatifs. Nous devons organiser un certain nombre d’événements et atteindre un nombre suffisant de participants. Nous devons former les élèves correctement et leur mettre en main des compétences précises. Nous sommes minutieusement surveillés. »
Google veut combler le fossé numérique et, d’ici 2020, former un million de personnes aux emplois digitaux. L’entreprise donne donc un petit pourcentage de son bénéfice à des projets tels que MolenGeek. Un petit pourcentage, ça semble minime, non ? « C’est cent millions d’euros ! » S’exclame Ibrahim. « C’est vraiment beaucoup. De plus, je ne pense pas que ce soit le pourcentage qui importe le plus, mais plutôt l’intention. Au moins, ils le font. Où sont les entreprises européennes ? Où sont les entreprises belges ? Pourquoi ne parrainent-ils pas des projets comme ceux-ci ? Que devons-nous dire à ces jeunes accueillis ici ? Que seules les entreprises américaines et coréennes croient en ce projet ? Il y a beaucoup de grandes entreprises belges qui pourraient nous soutenir, comme Telenet ou Proximus, mais où sont-elles ? »
Je demande quand même ce que deviennent tous ces développeurs après l’aventure MolenGeek. Ibrahim me dit qu’il les encourage à monter leur propre affaire. « Et bien souvent, ils suivent ce conseil. D’une part parce qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent sans l’approbation d’un patron. Mais aussi parce qu’ils n’ont généralement pas de formation académique. Pas que ce soit un problème sur le plan technique, car ils possèdent les qualités. Le problème réside dans la mentalité des départements RH des grandes entreprises. Leur attitude doit changer. Mais c’est lent. C’est pourquoi nous sommes plus susceptibles de diriger nos jeunes vers l’entrepreneuriat. »
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