Crime

Au procès du suicide collectif d’une famille persuadée d’être persécutée par les services secrets

Des codes lois

Ce n’est pas tous les jours que la cour d’assises de Saintes en Charente-Maritime accueille un procès aussi singulier. La semaine dernière se tenait celui d’un clan familial, persuadé d’être persécuté par les services secrets, obnubilé par les réseaux « pédophiles et francs-maçons » et qui a décidé un soir de novembre 2015 de commettre un suicide collectif qui aurait bien pu faire exploser tout un pâté de maisons. Sur le banc des accusés, deux des trois survivantes : Éliane 75 ans et sa fille Carole 51 ans, sont mises en examen pour une tentative d’assassinat sur Camille. Une petite fille de deux et demi à l’époque des faits et qui n’est autre que la petite-fille d’Éliane et la fille de Carole. Elles ont trois jours pour expliquer leurs gestes, trois jours où la rationalité de la justice et la folie délirante d’une tribu refermée sur elle-même s’entrechoqueront sans jamais se comprendre.

Tout commence le 22 novembre 2015. Il est 6H30 du matin à Nieul-sur-Mer quand les voisins d’Éliane et Carole sont alertés par « une forte odeur d’hydrocarbure ». Les gendarmes sont appelés, ils tambourinent à la porte. En vain, celle-ci étant bloquée par le frigo familial. En forçant une fenêtre les militaires réussissent à pénétrer dans le pavillon plongé dans l’obscurité. Au rez-de-chaussée, « l’odeur pique les yeux » et le sol est maculé de suie. Ils découvrent deux femmes, Carole et Eliane, allongées sur le canapé du salon mais également Camille, 2 ans et demi, retrouvée elle aussi inconsciente, entre sa mère et sa grand-mère. Au premier étage, sur le palier de l’escalier, une quatrième personne, déjà morte. C’est Éric le fils d’Éliane et le grand-frère de Carole qui git près d’un départ de feu. Ses habits sont « imbibés de white spirit ». À proximité du corps et un peu partout dans la maison, on a disséminé des allume barbecue, des bidons d’essence et deux bonbonnes de gaz ouvertes. Dans la poubelle de la cuisine, les enquêteurs trouvent des plaquettes vides de tranquillisants, d’anti douleurs et d’anxiolytiques. Ils mettent la main sur une enveloppe barbouillée d’écritures, à l’attention de « Chirac / Taubira » et du père de la petite Camille. À l’intérieur, les cartes d’identité des quatre membres de la famille ont été découpées en plusieurs morceaux. Et puis sur les murs, des inscriptions déconcertantes : « Déni depuis 2003 – Déni de justice pour la famille S. et M. transgénérationnelle avec ma petite fille Camille », « Il n’y a plus de mot et il n’y aura plus de maux ni de larme mon amour. TA MAMAN. JE T’AIME MA POUPÉE. »

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Alors que les trois femmes sont emmenées d’urgence au CHU de La Rochelle, le père de Camille, séparé depuis février 2015 de Carole est appelé par les gendarmes. Il est brocanteur et comme tous les dimanches il tient son stand. « Ils m’ont appelé pour me dire : Camille est à l’hôpital, moi je leur ai dit tout de suite : c’est sûr, c’est un suicide collectif ».

Retour dans les boiseries cossues de Saintes. Éliane, la matriarche est la première à être invitée à s’exprimer. La salle retient son souffle. De son enfance à Casablanca de parents franco-espagnols, cette petite femme brune au regard vif insiste sur sa « très bonne éducation ». À 18 ans, elle rencontre à l’Église Évangélique celui qui sera son futur mari « très beau mais colérique ». Avec une voix calme, celle qui se dit « très croyante » continue sur sa lancée : « Les fiançailles ont duré deux ans, tout se passait bien sauf que la mère de mon époux s’oppose au mariage et dit qu’elle veut me vitrioler… ». La petite phrase a le don de faire réagir le public qui soupire. Elle inaugure aussi le sentiment de persécution qui habite mère et fille depuis des décennies.

Recadrée par la présidente, Éliane poursuit. Le mariage à Casablanca en 64, un premier enfant mort-né à cinq mois et puis la naissance d’Eric en 66. Ses yeux s’illuminent puis s’embuent : « mon fils m’a redonné le goût de vivre tout simplement », dit-elle. Comme tout au long de ces trois jours de débats, les hommages appuyés à ce fils décédé « intègre, honnête et merveilleux » ne discontinueront pas. Elle sanglote, se perd en qualificatifs élogieux. La présidente, elle, aimerait plutôt que l’on revienne à la chronologie. En 68, elle accouche de Carole et se décrit elle-même comme « une mère très protectrice ». La famille s’installe en France mais en 86, le couple vacille : « Mon ex-mari quitte le domicile, il avait rencontré quelqu’un d’autre ». Selon elle, il les abandonnera tous les trois. Lui témoignera après le drame et racontera qu’« ils étaient ligués contre moi, je me sentais comme un pestiféré au sein de ma propre famille » et ajoutera que son ex-femme « a une force de persuasion immense sur ses enfants ».

On comprend dès lors, qu’à partir du départ du père, Éliane et ses deux enfants ne feront plus qu’un. Mais ce seront les évènements survenus en 2003, qui les ligueront définitivement contre le reste du monde.

Carole développe et indique plusieurs lieux. Un plus précisément, près d’une « base militaire secrète » où elle voit une « fusée nucléaire » « un lac » mais aussi « Lionel Jospin dans un hélicoptère ». Il est question d’un réseau pédophile et d’hommes politiques.

À cette époque, Éric le frère aîné est policier depuis 17 ans. Il ne travaille pas pour n’importe quel service mais pour l’Office centrale pour la répression du banditisme. C’est à cette même époque que sa sœur commence à se passionner pour des disparitions d’enfants : Léo, Marion puis Estelle. Des visages devenus familiers que l’on retrouve punaisés dans toutes les gares et les commissariats français. Carole a des dons « depuis l’enfance », sa mère et son frère en sont convaincus. Lors de « séances extrasensorielles » qui lui permettent d’avoir « des visions du passé mais aussi de l’avenir », le trio s’improvise enquêteurs. Carole « voit », Éliane « décrypte ses visions tel un scripte », et Éric qui a accès à de nombreux fichiers au travail, regroupe les éléments d’enquêtes.

En 2003, la sœur et le frère entrent dans une gendarmerie grenobloise. Ils ont des révélations à faire. Ils sont accueillis aimablement, on les installe, on va les écouter. Après tout, le brigadier Éric S. n’est pas n’importe qui. Bien sûr, les enquêteurs reçoivent à chaque disparition d’enfant, quantité de témoignages spontanés de mediums et de voyants mais dans un premier temps, Carole et Éric sont entendus avec sérieux. Alors Carole développe et indique plusieurs lieux. Un plus précisément, près d’une « base militaire secrète » où elle voit une « fusée nucléaire » « un lac » mais aussi « Lionel Jospin dans un hélicoptère ». Il est question d’un réseau pédophile et d’hommes politiques. Au passage, Carole décrit un homme. Le gendarme prend des notes, le frère et la sœur se sentent entendus et compris dans leur « démarche altruiste au service des familles des enfants disparus ».

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©M. Deghati / AFP

À la sortie de cet entretien qui s’éternise, Carole se souvient les propos qu’aurait tenus le gendarme : « Nous avons vérifié́ la validité de vos révélations. Il se trouve que les éléments et les indices que vous nous avez apportés sont inconnus du grand public. Je peux vous certifier que nous avons pris très au sérieux vos révélations…» Toujours selon elle, le fonctionnaire lui aurait demandé davantage de détails en vue d’une recherche de corps et aurait ajouté « Vous savez, nous connaissons beaucoup de choses sur vous depuis un certain temps, faites attention à ce que vous dites, même au téléphone. » L’entretien se conclue et Carole dans ses écrits se souvient « l’audition que je signe sera classée SECRET DEFENSE. Sur le premier feuillet, la mention me saute aux yeux. J’ai du mal à rattacher un cas de disparition à une affaire de Défense Nationale. »

Et pour le trio, la conviction d’être des lanceurs d’alertes au cœur d’un scandale « politico-pédophile » ne s’arrêtera plus jamais. Du côté des gendarmes, le suspect indiqué sera entendu mais la piste aussitôt abandonnée, faute de cohérence. On priera alors à Eric, Carole et leur mère de cesser les relances. Mais eux n’en démordent pas et inondent les commissariats, les préfectures, les tribunaux et Jacques Chirac de courriers à rallonge sur le fameux « Secret-Défense ». Entre deux envois à la poste, le frère, la sœur et la maman continuent d’arpenter la France à la recherche des lieux « évoqués durant les séances ». Et puis très vite, le trio se sent suivi et épié. En voiture, dans la rue, à leur balcon, partout. Petit à petit, la surveillance supposée de leurs lignes téléphoniques et de leur domicile se mue en une menace de plus en plus hostile. La famille se sent « en grand danger », ils le savent, « on veut les faire taire ». Les mots sont lâchés, on veut les « éliminer ».

S’en suivra la même année, un départ tambour battant vers Londres où la famille réclame l’asile politique de toute urgence pour bénéficier d’une « protection rapprochée ». Dans leurs bagages, rien ou presque. Leurs précieux documents sur le complot, des économies déjà bien entamées mais aussi le nouveau petit copain de Carole et sa mère de 80 ans, eux aussi « dans la ligne de mire ». Las de ne pas être pris au sérieux, ils vivent comme des parias, la famille est à bout. Ils s’envolent six mois plus tard pour New York. Arrivés à JFK, Carole dans un anglais approximatif tente d’expliquer la thèse du « Secret-défense ». Elle explique qu’ils sont en danger poursuivi par des espions français depuis qu’ils ont découvert l’existence d’un vaste réseau pédophile. Sans surprise et dans un pays encore traumatisé par le 11 septembre, la douane américaine n’y croit pas et pour toute protection d’état, les gratifier de 22 jours de détention dans une prison de Pennsylvanie.

Sans argent et sans ami, ils ressassent 24H/24 le « Secret-défense », tout en continuant leurs « recherches ».

À leur retour à Paris, c’est ruiné et amer que le trio décide de s’installer dans le petit 30 m2 d’Éric de banlieue parisienne. Ils n’ont plus rien. Voilà plusieurs mois que l’ancien policier a été mis à pied puis totalement demis de ses fonctions. Pendant sept ans, ils vivront alors du RMI (ex-RSA) de l’ancien fonctionnaire et se ruineront en courriers. Des centaines de pages imprimées encore et encore, adressées à ce que toute la France compte de médias et d’institutions. Sans aucun succès. Reclus tous les trois et se méfiant de tous et de tout, le trio enrage. Carole décide de prendre la plume et rédige la folle épopée de la famille dans un livre qu’elle publie à compte d’auteur (auto-édition ?). « Les piliers de la trahison » imprimé en 500 exemplaires est envoyé à toutes les ambassades, et de nombreuses associations. Il fait bien la joie de quelques amateurs de complots qui en discutent sur des forums mais la famille, elle, vit en vase clos. Sans argent et sans ami, ils ressassent 24H/24 le « Secret-défense », tout en continuant leurs « recherches ».

De ce livre dont elle est très fière, Carole dit « c’est la genèse de tout ». Elle a l’air fatigué mais semble habituée à ce que ne la croit pas. Pour les nombreux experts qui les ont rencontrées, les « Piliers de la trahison », représente pour la mère et la fille un « objet sacré qui prouve le déni de justice ». Un pavé de plus de 300 pages dont elles peuvent « citer de mémoire » des passages entiers. Carole dira de la sortie du livre, « il nous a permis de survivre psychologiquement… et politiquement ! » et de conclure : « il nous a aussi permis de calmer le jeu et nos têtes ont été préservées ».

Peu convaincue des talents littéraires de l’accusée, la présidente s’impatiente et invite Carole à poursuivre sur sa rencontre en décembre 2010 avec Jean, le père de Camille. Ses réponses sont longues et confuses, émaillées d’anecdotes incompréhensibles qui laissent la cour parfaitement imperméable. On comprend cependant que leur mariage a lieu 8 mois plus tard. Elle veut un enfant, lui est d’accord et Camille voit le jour en juin 2013. La petite a moins de deux ans quand ses parents se séparent. Si Carole n’est guère volubile sur son ancien bonheur conjugal, elle multiplie, tout comme Éliane, les déclarations d’amour à la petite Camille. « S’il vous plaît Madame le juge, pardon, Madame la présidente, je suis sa maman, j’ai besoin de voir ma fille, je souffre le martyre ». Hors sujet pour la présidente qui aimerait qu’on avance sur les faits. L’indignation se lie alors dans ses yeux, le ton monte : « Je ne puis supporter de telles accusations sur les débats, cet anéantissement… le point crucial ce sont les ébats sexuels de Monsieur Jean M. sur sa propre fille !!! ».

Et c’est bien là le cœur du réacteur du trio familial. Cette nouvelle révélation qui va s’emparer d’eux dès lors que Carole quittera Jean pour s’installer avec sa mère à Nieul-sur-mer en début d’année 2015. Carole obtient la garde de la petite et Jean le père installé près de Dax, n’hésite pas à rouler 400 km pour voir sa fille un week-end sur deux. Mais souvent, presque toujours, il trouve porte close. On refuse tout simplement de lui donner Camille. Puis tout s’emballe en juillet 2015, Jean va avoir la garde de Camille pendant un jour et demi. Des retrouvailles heureuses et on ne peut plus classiques. Mais la mère, la grand’mère et le tonton ont une tout autre vision : « Ma fille est revenue totalement traumatisée de cette nuit passée à l’hôtel ». Elle s’agrippe à nouveau au micro « Mon ex-mari s’est livré à des actes sexuels devant ma fille avec sa maîtresse… ». Elle développe : « Quand la petite est revenue à la maison, elle se tapait la tête et se pinçait les joues, elle a mis quatre doigts dans sa bouche et a dit « comme papa ». Et le trio à nouveau dans la tourmente doit libérer la petite Camille des « griffes de l’ex-mari ». Eux qui ont combattu depuis 2003, un complot de « pédophiles assoiffés de sang » sont persuadés que Jean l’ancien gendre, « un franc-maçon lié à la mafia corse, mêlé au proxénétisme et au grand banditisme » s’en prend maintenant à sa fille de deux ans.

Commence alors une valse de courriers, un nombre incalculable de visites auprès de médecins pour attester des faits d’attouchements. Déterminé à sauver « leur petite princesse », le trio, sollicite la terre entière et se répand en lettres fleuve. Jean, est tour à tout dénoncé sur le site « Camille-secret-defense.org », on envoie des mails à tous ses contacts pour « dire au grand jour la vérité » et la spirale ne s’arrête plus.

Parce qu’ils harcèlent un service pédiatrique à Toulouse censé attester les sévices subis par Camille, l’équipe de l’hôpital commence à comprendre l’ampleur du délire familial. En octobre 2015, l’équipe qui a rencontré plusieurs fois Camille, sa mère et sa grand’mère envoie un signalement à la justice. Ces trois professionnels évoquent « une conviction maternelle déraisonnable qui revêt un caractère quasi pathologique ». Ils ne peuvent « objectiver de mauvais traitements par le père » mais alertent indubitablement sur « la conduite pathogène de la mère ». Un courrier décisif qui sera transmis au juge pour enfant de La Rochelle, pressé de prendre une décision.

Cette décision sera rendue le 19 novembre 2015, soit deux jours avant le suicide collectif. Le juge des enfants maintient la garde chez Carole et sa grand-mère mais les somme de respecter à la lettre les droits de visite du papa. « Anéantis par la nouvelle », persuadés de « l’appétit sexuel démesuré de Jean », la grand-mère, l’oncle et la mère de Camille décident alors d’en finir tous les quatre, de « s’endormir tous ensemble ».

Carole pleure et répète inlassablement « Nous sommes tombés dans ce piège fatal, personne n’a prévu que ça prendrait une telle ampleur… Je devais te sauver ma fille, t’arracher de ce malheur… Le plus important c’est la vérité, rien que la vérité ». Tuer et se tuer pour protéger son enfant, une tragédie grecque en somme.

La présidente y voit l’occasion inespérée de dérouler les faits précis de cette nuit de désespoir. Ce sera peine perdue, Carole et sa mère, se souviennent « de leur profonde tristesse, inqualifiable », louent les nombreuses qualités du fils décédé « il a dit : Ne vous inquiétez de rien, je vais vous protéger, tout ira bien. Je veillerais sur vous jusqu’à la fin ». Alors, la matriarche et le fils ont pillé des médicaments dans la cuisine, tout ce qu’ils avaient sous la main. Le mélange a été réparti dans trois verres et un biberon pour la petite. De son côté, Carole joue avec sa fille, l’embrasse, lui dit qu’elle l’aime. Elle lui fait boire le biberon amer que Camille vomit dans la seconde. Alors, « on va chercher une pipette » et c’est la tête maintenue par trois adultes que la fillette de deux ans et demi ingurgite la mélasse qui va leur permettre « d’être sauvés tous ensemble et de s’en aller ». Elle conclut piteuse, « on se disait qu’on se retrouverait tous au ciel ».

La présidente s’adresse à Carole « Vous n’arrivez pas à dire mourir ? ». Carole balbutie : « Je ne sais pas… c’est insupportable ». « Mais est-ce que vous avez essayé de tuer Camille ou pas ? », elle répond en pleurant « Je me suis rangé à une décision collective et puis… mon frère que j’aime est sorti de la maison pour vérifier si l’homme sur le parking correspondait à mon ex-époux mais… il ne l’a pas retrouvé ». Dans un dernier délire paranoïaque, le trio croit voir Jean rôder autour de la maison. Mais ce soir, « cette décision inimaginable est prise » et le frère commence à barricader la maison, ouvrir le gaz et disposer un peu partout, de quoi tout faire flamber.

En face, la partie civile qui défend les intérêts de Camille et de son père pointe la responsabilité commune d’Éliane et Carole. Maitre Cocoynacq tonne : « Éliane, finalement c’est la reine mère ou Bernadette Soubirou qui cite la Bible et Saint-Mathieu et à côté la Vierge » en désignant Carole du regard « puis il y a le Christ, mort pour sauver Camille ! ». « Comment sauver un enfant en le tuant ? Moi je ne vois pas. Alors oui les psychiatres ont utilisé le joli terme de « suicide altruiste » mais parmi eux, il y en a une qui n’a rien pu décider et c’est Camille ». Au sujet de la préméditation, cela ne fait aucun doute « on connaît le tempo de ce qu’ont fait les uns et les autres, les cachets écrabouillés ensemble, ça, ce sont des actes préparatoires » et de finir « la tentative d’assassinat est là ! ». Il balaie d’un revers de main la possibilité d’une « abolition du discernement au moment de passer à l’acte » et pointe l’esprit manipulateur des accusées. « Madame Bernadette Soubirous, elle est perchée ou elle essaie de faire croire qu’elle est perchée ? ». Éliane lève les yeux au ciel. Elle qui ne comprend toujours pas pourquoi tous les experts psychiatres lui ont diagnostiqué à elle et sa fille « un trouble délirant paranoïaque ». Au sujet de Carole, l’avocat ironise « une théâtralisation, une mise en scène extraordinaire… du pur spectacle ! ». Carole ne le regarde même plus et bougonne dans son coin devant tant d’incongruités. Au sujet de son couple, il ajoute « On cherchait et on a trouvé sur internet. Jean M. a une bonne situation, on a la belle vie, les voyages… l’enfant est là maintenant et il faut se débarrasser du géniteur. Elles sont tellement narcissiques que la décision du juge pour enfants leur parait une marque de désaveu (…) et c’est ainsi, on préfère se tuer tous ensemble ».

Au tour de l’avocate générale de prendre la parole, elle évoque un dossier « particulièrement difficile, un cas d’école compliqué ». Pour elle, aucun doute :« On est bien sur l’intention de se tuer et de donner la mort à quelqu’un d’autre et requiert 20 ans de prison pour la mère et la fille.

La parole est donnée aux avocates de la défense, maître Noel et maître Coutand. Cette dernière qui défend Éliane s’adresse plus d’une heure aux jurés. Elle revient sur le délire paranoïaque du trio. « Je me contrefiche de la véracité du livre mais eux à ce moment-là, ils étaient morts de trouille et ce cauchemar qui revient… ». Elle poursuit « Quand on est dans un tel désespoir, est-on en capacité de réfléchir ? Pas dans cette histoire-là. Ça monte, ça monte et on est acculé » Elle réfute toute idée de préméditation « La préméditation, c’est cet homme qui va s’entraîner tous les jours à la carabine dans son jardin et qui un an plus tard, va tirer sur son ex-femme qui sort du travail. » Elle revient à sa cliente et sa fille Carole « elles, elles disent : on a décidé ça sur un coup de tête, un moment de folie ! ». Sa voix se muscle, oui les faits sont graves et une petite fille a failli mourir mais « heureusement Camille va bien ». « On ne condamne pas les gens qui n’ont pas leur libre arbitre. Pour des raisons d’humanité bon sang ! ». Un juré qui somnolait reprend ses esprits.

Sa cliente n’ajoutera rien. Carole, elle, prendra la parole, s’excusera une fois de plus auprès de Camille qui n’est bien évidemment pas là pour assister au procès. « J’aime ma fille jusqu’à mon dernier souffle… Quoi qu’en pensent les gens, elle est estampillée du sceau du « Secret-défense » puis se perd à nouveau dans un monologue sur la détention de sa mère Éliane pour finalement ajouter : « Je suis son bâton de vieillesse ».

Il faudra quatre heures à la cour pour rendre son verdict. Il est presque 22 heures dans la salle, quand la présidente et les jurés reviennent. Pour les deux accusées, « L’altération du discernement » sera retenue, la préméditation aussi. Carole est condamnée à 20 ans de réclusion criminelle, 15 pour Éliane « aux vues de son âge avancé ». En silence, elles prennent acte de la décision et tentent de se toucher la main. Éliane regarde sa fille et chuchote « Ça va aller, ne t’inquiète pas ».

Quelques jours plus tard, elles décideront de faire appel ensemble de la décision.

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