Le business de la drogue n’échappe pas à l’ubérisation de la société. C’est la principale information qui ressort du dernier rapport de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) publié mardi 19 décembre.
Ainsi, une nouvelle pratique s’est récemment généralisée dans les cités : l’embauche de dealers « Kleenex », recrutés à la journée ou à la semaine. « Les candidats du jour sont alignés, le chef de réseau leur dit, “toi je te prends, toi non” », peut-on lire dans le rapport. Ce turnover incessant a un but : faire en sorte que ces « petites mains » en sachent le moins possible sur l’organisation du trafic – pour qu’elles n’aient rien, ou presque, à balancer à la police en cas d’arrestation.
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Comme souvent, cette flexibilité accrue a pour conséquence directe le rajeunissement du cheptel de dealers. À Lyon, « ils ont parfois une quinzaine d’années et revendent buvards de LSD et cachets d’ecstasy », précise le rapport. Et comme souvent, encore, précarisation rime avec féminisation : à Bordeaux, l’OFDT a constaté une augmentation du nombre de dealeuses de MDMA. La raison ? Elles seraient ainsi moins susceptibles d’être fouillées à l’entrée des boîtes de nuit.
Le client est roi au Deliveroo de la came
Une flexibilité de la main-d’œuvre devenue indispensable pour s’adapter aux envies d’un consommateur toujours plus exigeant. Pour appâter le chaland, les Zuckerberg du deal développent ainsi des stratégies marketing tout droit empruntées au commerce traditionnel : textos de relances (“bientôt le week-end ! Pensez à faire le plein”), offres promotionnelles (“pour Noël, 6 euros seulement le gramme de weed !”), échantillons gratuits ou encore des tickets à gratter glissés dans les pochons de shit.
Côté distribution, les dealers adoptent aussi les méthodes éprouvées de l’économie légale. Pour faire grimper les ventes, ils montent ainsi des supermarchés ambulants de la dope dans lesquels toutes les drogues sont disponibles. Par le passé, les dealers étaient généralement mono produit, mais aujourd’hui, la MDMA côtoie la coke, la weed et la kétamine sur le même étal. Ainsi, les produits que l’on trouvait uniquement dans la sphère festive sont désormais accessibles dans ces « épiceries ».
Comme chez McDo, les dealers sauce start-up montent aussi des « drive » : le consommateur vient récupérer sa dose sans quitter son véhicule. Mais le drive ce n’est pas non plus le top de la R&D, et en ville ce n’est pas optimal. Du coup, ils ont adapté ce qui a tué le drive – Deliveroo – en proposant des livraisons « minute » (30 minutes à domicile à Paris). Et pour ceux qui n’ont vraiment pas le temps, il est possible de se rabattre sur des chauffeurs qui proposent un large choix de drogues pendant le trajet.
Cannabis Social Club à la française
Alors que les canaux de distribution se multiplient comme autant de vannes prêtes à inonder le marché, il faut que la production suive le tempo. Dans certains coins de France, comme à Toulouse, on assiste ainsi à une structuration de la production d’herbe de cannabis. Plusieurs petits producteurs amoureux de la nature se structurent en coopératives pour mettre en commun leur matériel de production. Ainsi, ils sont capables de produire d’importantes quantités de weed, à la manière des Cannabis Social Clubs catalans – qui sont eux légaux.
Si l’industrie de la drogue mime tant bien que mal les évolutions de l’économie légale, les trafiquants, eux, continuent de mourir dans l’exercice de leurs fonctions. Les règlements de comptes liés aux trafics de stupéfiants ont atteint leur plus haut niveau depuis 30 ans. À Marseille, 27 personnes ont été tuées à cause des trafics en 2016, alors que d’autres villes, comme Toulouse ou Lille, connaissent aussi une escalade de la violence armée. Ces homicides seraient dus à des conflits attenants à l’appropriation de territoires détenus par des groupes aujourd’hui démantelés.
Surtout, « la violence ne semble plus être l’apanage du trafic très organisé de “cités“ », prévient l’OFDT. Les « réseaux secondaires », qui se développent notamment en zone rurale, se livreraient aussi de violentes batailles de terrains. Les chercheurs indiquent que les saisies de drogue s’accompagnent de plus en plus de confiscations d’armes à feu, qui permettent aux petites bandes de se défendre contre des OPA hostiles initiées par des concurrents.
Et le client dans tout ça ? S’il y gagne en termes de service et d’offre, les prix des “valeurs refuges” restent stables ou augmentent selon le rapport. Le gramme de cocaïne a progressé de 18 euros depuis 2010, quand celui d’herbe de cannabis a pris 2 euros, comme celui d’ecstasy. Le krach n’est donc pas encore pour tout de suite.